Par Justinien Raymond, Madeleine Rebérioux
Né le 18 juin 1879 à Agen (Lot-et-Garonne), mort le 23 février 1945 à Bordeaux (Gironde) ; militant socialiste, délégué à la propagande de la SFIO.
René Cabannes (Cabanes selon l’état-civil) naquit dans une famille de petits artisans profondément républicaine, anticléricale et patriote. Son père était tailleur d’habits, sa mère repasseuse : il travailla avec lui et continua, après sa mort survenue alors qu’il était très jeune encore, à exercer sa profession. Son frère Gaston, Marie, Léon Cabannes* fut député de la Gironde. Quoiqu’il ait eu dans sa jeunesse (il le raconte dans Une Poignée de souvenirs) des sympathies pour les anarchistes, il acquit dans des conditions qui nous sont mal connues une connaissance de la doctrine socialiste et des éléments du marxisme supérieure à celle de la moyenne des militants et il sut en faire usage : vulgarisateur habile, il garda toujours, de ses débuts de propagandiste en Lot-et-Garonne, une prédilection pour les milieux ruraux, mais il était capable de s’adapter à tous les milieux et le Parti socialiste mit à profit cette aptitude. Selon des sources policières, il aurait été surveillant de la Compagnie de l’Est à Paris.
René Cabannes fit ses débuts de militant en Lot-et-Garonne sous le pseudonyme de Théodule Mauve. C’est sous ce nom qu’il fut par exemple, du 3 septembre 1904 au 1er avril 1905, rédacteur en chef du Cri laïque et socialiste, organe mensuel du groupe laïque des jeunes d’Agen : il ne maniait pas encore la plume avec vigueur et ses articles riches en clichés sont empreints d’une poésie un peu fade. Il collaborait déjà depuis 1898 à diverses feuilles révolutionnaires. Son orientation guesdiste et son activité lui valurent, dans la petite fédération SFIO de Lot-et-Garonne constituée au moment de l’unité, de se voir confier le secrétariat fédéral. Il le garda jusqu’en 1907, représenta la fédération au congrès SFIO de Limoges (1906) et multiplia les réunions publiques non seulement dans « son » département, mais aussi dans celui de Tarn-et-Garonne où il porta courtoisement et efficacement, en 1906, la contradiction dans une réunion publique, à Montauban, au professeur C. Sabatier qui avait parlé sous les auspices de la Jeunesse laïque. Il militait également à cette époque à la Bourse du Travail de Marmande (voir Cazeaux*). En février-mars 1907, c’est en Haute-Garonne qu’on l’appelait pour une tournée de conférences à Revel, Blagnac et Toulouse. Pourtant, lorsqu’il se présenta en avril 1906 aux élections législatives à Agen, il n’eut que 10 005 voix, 500 de moins que Trouillé en 1898 ; les ponts en 1906 étaient rompus avec les radicaux.
Au printemps de 1907, René Cabannes quitta la fédération de Lot-et-Garonne. Il fut appelé à Bayonne pour diriger la rédaction d’un hebdomadaire commun aux deux petites fédérations des Basses-Pyrénées et des Landes, La Tribune socialiste. Fondée par une coopérative ouvrière d’imprimerie, elle s’était spécialisée dans l’antimilitarisme et son gérant venait d’être emprisonné. Cabannes parvint péniblement à la faire vivre de juin 1907 à août 1909, tout en multipliant les tournées de propagande, davantage dans les Basses-Pyrénées, d’ailleurs (Orthez, 6 juillet 1907 ; Saint-Jean de Luz, 23 octobre), que dans les Landes. C’est la fédération des Basses-Pyrénées qu’il représenta aux congrès de Nancy (1907), Toulouse (1908), Saint-Étienne (1909). C’est à Bayonne Nord-Est qu’il fut, en février 1907, candidat aux élections cantonales : il recueillit 167 voix. De plus en plus lié à la tendance guesdiste, il collaborait au Socialisme que celle-ci avait lancé le 17 novembre 1907 : il y opposait l’anticléricalisme socialiste à l’anticléricalisme bourgeois, attaquait la franc-maçonnerie, mettait l’accent sur la nécessité de « faire du socialisme » et du socialisme seul. Dans une brochure Le Socialisme et les paysans, il vulgarisa son expérience de propagandiste rural.
Aussi ne faut-il pas s’étonner si, le 31 octobre 1909, lorsque Compère-Morel*, spécialiste de la « question agraire », fut élu député du Gard, ce fut à René Cabannes que songèrent les guesdistes pour le remplacer comme délégué permanent à la propagande. Son élection donna d’ailleurs lieu à de vives discussions : les « jauressistes » manquaient d’enthousiasme. D’abord délégué suppléant, Cabannes inaugura ses fonctions à Pamiers dans l’Ariège lors d’une élection législative partielle. Du coup, son nom dépassa les limites de l’Aquitaine : on le vit candidat en 1910 aux élections législatives à Nantes ; il représenta la Corrèze et la Gironde au congrès de Paris (février 1910), la Corrèze seule à Saint-Quentin (1911), la Lozère à Brest (1913).
Le Parti socialiste SFIO l’envoya comme propagandiste en 1914 dans les Hautes-Alpes ; il créa le journal le Socialiste briançonnais dont il était le rédacteur principal, organisa des réunions publiques, bref prit en mains la Fédération socialiste du département. Aux élections législatives de 1914 il n’obtint que 7 %, puis 27 % des voix des inscrits, mais il avait ainsi rallié des isolés. Le département le délégua au congrès SFIO d’Amiens 25-28 janvier 1914. Le 28 mai 1921 il présidait encore un congrès fédéral à Veynes.
Devenu délégué titulaire, ce célibataire endurci parcourut désormais la France pendant trente ans, jusqu’en 1939.
Exempté de service armé en 1900, il fut affecté par le conseil de révision le 10 décembre 1914 dans le service armé. Le 21 juillet 1916, il fut versé à la 201e section des secrétaires d’État-major.
Après la guerre de 1914-1918, il figura en novembre 1919 en huitième position sur la liste électorale de 14 candidats, menée par Jacques Sadoul* dans la 3e circonscription de la Seine : la liste enleva trois sièges, et Cabannes, battu, ne fit néanmoins pas mauvaise figure avec 41 982 suffrages alors que la moyenne de la liste était de 41 863 voix. Comme délégué permanent, il assura le secrétariat du congrès de Tours (décembre 1920) et resta au Parti socialiste SFIO. Fermement anticommuniste, il maintint jusqu’à sa mort les positions guesdistes qui étaient les siennes avant 1914 et notamment son hostilité à la participation des socialistes aux ministères « bourgeois ».
« Propriétaire viticulteur » et « ancien combattant », il figura, lors des élections législatives de 1924, dans l’Aude, sur la liste homogène présentée par le Parti socialiste. Il avait été désigné, non par la fédération départementale, mais par les instances supérieures du parti. Il obtint 17 816 voix, soit à peu près 26 % des suffrages exprimés. Seul de sa liste fut élu Yvan Pélissier*.
Une note de police le décrit ainsi à cette date : « 44 ans, 1,68 m, cheveux et sourcils châtains, nez rectiligne, moustache châtain coupée à l’américaine, corpulance assez forte, élégamment vêtu. » Il continua plusieurs années encore ses tournées, en faisant une remarquée en Algérie en 1924. René Cabannes, qui avait pourtant fait des campagnes unitaires, soutenant la candidature André Marty en 1923, subissait régulièrement les interruptions communistes, allant parfois jusqu’aux violences.
Célibataire, résidant à Paris, il se rendait souvent à Bordeaux ou vivait son frère Gaston (député SFIO) et sa mère. Au lendemain de la guerre, il résidait chez son frère.
René Cabannes publia ses souvenirs dans Le Pays socialiste, en 1939, à la rubrique « Au fil de la propagande ».
Par Justinien Raymond, Madeleine Rebérioux
ŒUVRE : Outre l’action journalistique signalée dans la biographie, René Cabannes collabora au Populaire, organe du Parti socialiste SFIO.
Il est l’auteur de plusieurs brochures : Le Socialisme et les paysans, écrit avant 1914 (nous n’avons pu en retrouver un exemplaire). — Agriculteur et socialisme, sd. — Jules Guesde et les communistes, Ibid. — La Nation armée et le Parti socialiste, Ibid. — De Jules Guesde à Staline, Ibid. — Tableautins, Ibid. — Les Assurances sociales et le socialisme, Ibid. — Pour le Combat socialiste, Ibid. — Les Congés payés, Ibid. — Le Marxisme aux champs, Paris, 1933, 29 p.
SOURCES : CAC, 1994437, art. 001. — Arch. Dép. Hautes-Alpes, 47 M 8. — Arch. Dép. Basses-Pyrénées, série M. (rapports de police). — Le Réveil socialiste 4 mars 1945. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit. (p. 118-119). — Les Fédérations socialistes I (p. 118, 362-364, 478, 532, 533) ; III (p. 156). — Rapports pour les congrès annuels nationaux du Parti socialiste, édités, 12, rue Feydeau jusqu’en 1934, et, depuis, 9, rue Victor-Massé, notamment : 1927 à Lyon (p. 23), 1933 à Paris (p. 62), 1937 à Marseille (p. 143). — La Cité (Toulouse) 1905-1908. — M. Dommanget, La Chevalerie du Travail, op. cit. — Le Congrès de Tours : édition critique, op. cit. — Notes de Gilles Morin.