CHILMANN Jacques, Robert, Frédéric (père)

Par Michel Cordillot et Jacques Grandjonc

Né le 4 octobre 1814 à Lasson (Calvados) ; commis-marchand, il devint par la suite ouvrier cordonnier-bottier, puis patron à la fin de sa vie ; opposant à la monarchie de Juillet ; communiste ; participant à la révolution de 1848 ; communard.

Il demeurait 40, rue de Montmorency (VIIe arr. ancien, maintenant IIIe) et, membre de la Société des Droits de l’Homme, était commissaire de quartier du IIe arrondissement. Il avait 20 ans quand il fut arrêté le 18 mars 1834 à Paris, sous l’inculpation d’avoir participé à la préparation de la révolte fomentée par la Société des Droits de l’Homme. Lors d’une perquisition, on avait saisi chez lui un moule à balles ainsi que des restes de plomb fondu. On avait aussi saisi des formulaires de convocation de la SDH, des listes de noms, le compte rendu de la séance du 4 janvier 1834 des chefs de section et commissaires de quartier, etc.

Peu après sa mise en détention, il devint membre du comité de défense des détenus de Sainte-Pélagie et co-signa à ce titre une circulaire adressée à des homme politiques avocats ou non, pour leur demander d’assister la défense. Ce texte fut également envoyé à des étrangers, entre autres D. O’Connell en Irlande, J. S. Mill à Londres et A. Gendebien à Bruxelles. Ce seront les défenseurs des accusés d’avril. (Voir Auguste Blanqui, Michel de Bourges, Ulysse Trélat).

Chilmann s’évada de Sainte-Pélagie, le 12 juillet 1835 avec vingt-sept autres détenus (ou vingt-quatre), dont Armand Marrast, Godefroy Cavaignac et Napoléon Lebon. Indésirable en Belgique, où il s’était d’abord réfugié, il s’exila en Angleterre. Après s’être vu refuser la défense d’Hippolyte Dussart, il fut condamné par contumace le 23 janvier 1836 à 5 ans de prison et à la surveillance à vie.

À Londres, il participa avec Berrier-Fontaine à la fondation d’un groupe de communistes néo-babouvistes français très mal connu, la Société Démocratique française dont l’existence est attestée dès 1839-40, comme à l’élaboration du Rapport sur les mesures à prendre, et les moyens à employer, pour mettre la France dans une voie révolutionnaire, le lendemain d’une insurrection victorieuse dans son sein, Londres, 1840. Il prit part à ce titre aux discussions qui eurent lieu au printemps 1843 au sujet du projet de Cabet de fonder une communauté restreinte à Paris. Il se prononça pour sa part contre les essais à petite échelle, comme manquant de puissance pour résister aux attaques du dehors et soumettre les prétentions individuelles du dedans. Pour lui les hommes avaient trop de défauts pour vivre dans une communauté à l’essai. Il faudrait attendre qu’une révolution ait établi une communauté générale avant que l’on puisse avancer dans cette voie. Chilmann fut un des orateurs qui accueillirent officiellement au nom de la Société Démocratique Française, de l’Association Communiste de Formation Ouvrière allemande (Communistischer Arbeiter-Bildungs-Verein), des Socialistes owenistes et des Chartistes le théoricien et organisateur communiste allemand Wilhelm Weitling à Londres le 22 septembre 1844, après un emprisonnement de 15 mois en Suisse et en Prusse. Le 22 septembre 1844, Chilmann fut l’un des orateurs du meeting international organisé à Londres pour célébrer l’anniversaire de la République française. Un an plus tard Chilmann était membre des Fraternal Democrats. Durant les discussions de la Société Démocratique Française et de l’Association Communiste de Formation Ouvrière allemande, il fut des adversaires déclarés de Cabet et de son émigration « en Icarie ».

Il rentra en France en 1848 et fut l’un des membres les plus actifs du Club de la Révolution de Barbès dont il fut élu membre du bureau (il signa le 19 juin l’adresse à Barbès, alors emprisonné). Son rôle y fut plutôt celui d’un élément modérateur. Ainsi, le 2 juin, il se déclara contre l’organisation du « Banquet du peuple » par peur que ne se renouvellent les provocations du 15 mai.

Il fut également l’un des orateurs attitrés la nouvelle Société des Droits de l’Homme qui tenait ses séances au conservatoire des Arts et Métiers.

Tout ceci ne l’empêcha pas de conserver de bons rapports avec l’Hôtel de Ville : en mai, il fut nommé par son ancien compagnon de prison et d’exil Marrast membre de la commission des Récompenses nationales, chargée de dédommager les républicains persécutés sous la Monarchie de juillet. Lors du procès de événements du 15 mai devant la Haute Cour, il fut appelé à témoigner.

Il semble avoir dès lors abandonné toute activité politique pour se consacrer à son activité de cordonnier-bottier. En 1871, il habitait à Paris, 484, rue de Puebla (XXe arr.).

Pendant le Siège de Paris, il s’engagea avec son fils dans la 2e compagnie de marche du 188e bataillon de la Garde nationale. Il continua de servir pendant la Commune et fut membre de la commission municipale du XIXe arr., avec Ansel, Debeaumont, Guyot, P. Mallet, Pascal, Passedouet, Pichot, Poujois et Vincent.
Arrêté fin juillet ou début août 1871, sans doute sur dénonciation, il fut incarcéré le 11 août à l’Île d’Aix à Rochefort (Charente-Maritime). Il fut libéré sur non-lieu en date du 3 octobre et se retira à Paris, 153, rue Saint-Charles (XVe arr.). Rejugé ultérieurement, il fut condamné par contumace par le 20e conseil de guerre le 21 mai 1872 à la déportation en enceinte fortifiée pour « avoir levé ou fait lever, organisé ou fait organiser des bandes armées et leur avoir procuré des armes ou des munitions ».

Veuf, il avait eu quatre enfants, dont Frédéric. Il était passé de nouveau en Angleterre, d’où il écrivit, en 1875-76, trois lettres à Edmond Adam ; ses idées paraissaient alors très modérées, et L’Indépendance belge, qui publia deux de ces lettres, ajoutait : « Le retour à Paris d’un tel homme serait utile à l’ordre, à l’apaisement et à la réconciliation ». Il fut gracié le 29 mai 1879, sous condition d’expulsion.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182651, notice CHILMANN Jacques, Robert, Frédéric (père) par Michel Cordillot et Jacques Grandjonc, version mise en ligne le 19 juillet 2016, dernière modification le 18 février 2020.

Par Michel Cordillot et Jacques Grandjonc

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/822. — Cour des pairs, Affaire du mois d’avril 1834. Rapport fait à la Cour des pairs par M. Girod (de l’Ain), Imprimerie royale, Paris, 1834-1836. — Tableau synoptique des accusés d’avril jugés par la cour des pairs établi par Marc Caussidière, Lyon, imprimerie de Boursy fils, 1837, Arch. Nat. BB 30/294, Bibl. Nat. in-4° Lb 51/24984. — Cour des pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983, CC 593 d 1 n° 11 ; 666 d 6. — A. Lucas, Les Clubs et les clubistes, Paris, Dentu, 1851. — Suzanne Wassermann, Les clubs de Barbès et de Blanqui en 1848, Paris, Cornély et Cie, 1913, réimpression Genève, Mégariotis Reprints, 1978. — Gabriel Perreux, Au temps des sociétés secrètes. La propagande républicaine au début de la monarchie de Juillet, Paris, Hachette, 1931. — A. Lehning, « Discussions à Londres sur le communisme icarien », in Bulletin of the IISG, Amsterdam, 1952, vo. 7 et 8. — J. Grandjonc, Vorwärts ! Marx et les communistes allemands à Paris, 1844, Paris, 1974. — Peter Amann, Revolution and Mass Democracy. The Paris Club Movement, Princeton University Press, 1975. — Jacques Grandjonc, Communisme/ Kommunismus/ Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes, Trier, Karl Marx Haus, 1989, p. 155, 163, 166. — Louis Bretonnière, Roger Pérennès, L’Internement des prévenus de la Commune à Rochefort, Nantes, 1995. — Note de R. Shapira. — Murailles... 1871, op. cit., pp. 242, 465. — Arch Paris, D2R4 36 et D2R4 128. — Arch. Min. Guerre, GR 8 J 434 (445), GR 8 J 442, GR 8 J 543, 547 et GR 9 J 1183. — Notes de Pierre-Henri Zaidman.

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