CLÉMENT Léopold, Émile

Né à Nangis (Seine-et-Marne) le 5 février 1826, marié, père de deux enfants, séparé de sa femme, cordonnier et concierge, membre de l’Internationale (?) et de la Commune, mort à Paris à l’Hôtel-Dieu, le 28 juillet 1881.

Émile Clément était fils d’une couturière et son acte de naissance le dit " de père inconnu ". Il fut légitimé quelques mois plus tard, le 9 novembre 1826, par le mariage de sa mère avec le berger Clément Jean, François, Auguste. Marié en 1849, ayant fui à Londres pour raison politique en 1851, il revint à Paris et se vit condamner le 22 avril 1856 à cinq ans de prison et 10 000 F d’amende pour activité dans une société secrète et une imprimerie clandestine ; il prétendit avoir été gracié en 1859 alors qu’il était à Poissy (Rapport du 14 février 1873. Arch. PPo., B a/1014).

Arrêté à nouveau le 2 mars 1862 sous l’inculpation de société secrète (Affaire Miot, Vassel, etc... Gazette des Tribunaux, 15 juin 1862), il fut écroué à Mazas, mais bénéficia, le 5 avril, d’un non-lieu qui s’explique sans doute par la lettre qu’il écrivit le 7 mars au préfet de police et dans laquelle il manifestait le désir d’être admis auprès de l’empereur pour " l’instruire de bien des grandes choses qui pourraient asseoir sa dynastie sur des bases inébranlables " (sic). Clément nia être l’auteur d’une seconde missive non datée dont l’auteur offrait beaucoup plus catégoriquement ses services (Arch. PPo.).

Membre de l’Association des Cordonniers (J. Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, op. cit., t. 2, p. 10) Clément était, si l’on en croit un rapport de police (12 février 1873), " un des plus habiles ouvriers en chaussures de luxe pour femmes. Il fabriquait celles de l’ex Impératrice et des principales dames de la cour. Il était laborieux, actif, intelligent et aurait pu se faire très facilement une belle position s’il ne s’était cru appelé à jouer un rôle politique " (Arch. PPo.). D’après ce même rapport et un autre du 1er octobre 1871, Clément aurait été alors concierge du marquis de Bouillé, 86, rue de la Pépinière, ou, 30, rue Abbatucci, " chez lequel il organisait des réunions de l’Internationale pendant que ses maîtres étaient à la campagne ". Il en partit le 1er juin 1870 pour loger, 114, rue des Dames, XVIIe arr.

À la fin de l’Empire, il s’occupait " un peu de politique, un peu de questions ouvrières, un peu de littérature " (Arch. Min. Guerre). Il avait pris goût aux réunions publiques où il se taillait des succès comme " orateur du genre pathétique " (Arch. Min. Guerre). Durant le Siège, il occupa divers emplois dans le XVIIe arrondissement, puis finit par administrer la boucherie municipale. Devant ses juges de 1873, il posera au fonctionnaire consciencieux enfermé dans son rôle purement administratif. Pourtant il prit part à la manifestation du 22 janvier 1871 et tenta de convaincre le maire du XVIIe que son devoir était de marcher en tête, " ceigné " de son écharpe ; il était connu dans son quartier, et le XVIIe l’élut à la Commune, le 26 mars, par 7 121 voix ; il siégea, le 29, à la commission des Subsistances et y dirigea la 3e division (vins et liqueurs, denrées coloniales : café, sucre, huile, savon...) Il vota pour le Comité de Salut public en vertu d’un argument spécieux : " Comme j’ai reçu de mes électeurs le mandat impératif, je vote pour ". Le 13 mai, il remplaça Vermorel à la Commission de sûreté générale. Mais on découvrit son rôle sous l’Empire ; il fut arrêté le 19 mai — rapport de police du 1er octobre 1871 — et détenu à la préfecture de police.

Selon un rapport de police sans date (Arch. PPo.), Ferré le fit libérer le 23 mai. Il erra à l’aventure, puis trouva refuge chez Rossignol, marchand de vins, 82, boulevard Saint-Germain, et enfin se réfugia sous le nom de Normand, 36, rue de Bourgogne. Il put enfin gagner l’Angleterre et fut condamné à mort par contumace, le 11 septembre 1872. À cette époque — si l’on en croit le rapport rédigé le jour de son arrestation, 14 février 1873, qui le dit concierge depuis sept mois à Paris — il était de retour en France où, sous le nom de Normand, il habitait, 85, rue de Rivoli, à Paris. Il comparut devant le 3e conseil de guerre, fin avril.

C’était alors " un petit homme replet, aux cheveux grisonnants ", à la physionomie " extrêmement douce " et dont la voix savait prendre " des tons insinuants, qui expliquent le genre pathétique qu’il adopta avec succès dans ses harangues " (Le Siècle, 1er mai 1873.) Il se montra étonné, presque indigné, que sa lettre de 1862 à l’empereur se retrouvât dans son dossier, et eut, devant ses juges, une attitude lamentable. Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, le 23 avril. Sa peine fut commuée en déportation simple, le 18 novembre 1873 et, après que sa grâce eût été refusée (1877), en dix ans de bannissement, le 24 juillet 1879.

Rapatrié en 1880 par le Navarin, il mourut l’année suivante, le 28 juillet, et fut enterré civilement, le 30, au cimetière d’Ivry. 40 à 80 personnes suivirent le convoi, immortelles rouges à la boutonnière. Des discours furent prononcés par des Communards et quelques assistants crièrent : " Vive la Commune ! " On donna lecture du testament de Clément qui déclarait pardonner à ses adversaires et calomniateurs (Arch. PPo.).

Dans une lettre adressée à Jules Simon le 5 février 1873 pour solliciter un entretien, Clément expliquait comme suit son attitude en 1862 et pendant la Commune :

" Mon cher Simon,
 
" Vous n’avez pas été sans savoir les désagréments fâcheux qui me sont arrivés sous la Commune, relativement à une lettre que j’avais écrite en 1862, où je protestais d’abord contre mon arrestation illégale, puis, comme c’est mon habitude de ne pas m’attacher fanatiquement à telle ou telle coterie, je ne craignais donc pas dans cette lettre, en m’adressant à l’Empereur, de lui soumettre un projet de réformes que je jugeais utile et indispensable au bien-être du pays.
 
[...]
 
" Ayant fait mon devoir jusqu’au bout, lorsque vinrent les élections de la Commune, je fus porté un peu malgré moi sur toutes les listes de la bourgeoisie de l’arrondissement (et, entre parenthèses, je fus exclu de la liste des ultras), enfin, obsédé, et pensant bien que là, comme ailleurs, je pourrais encore rendre quelques services à mon pays, j’acceptai et je fus nommé par 8 000 suffrages. Étant nommé, je fis plusieurs fois des avances pour tâcher d’aller en conciliation à Versailles ; mais hélas, ma persistance sur ce point me fit pour ainsi dire passer pour un suspect. "

Voir Culat*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182656, notice CLÉMENT Léopold, Émile, version mise en ligne le 19 juillet 2016, dernière modification le 3 mars 2020.

SOURCES : Arch. Min. Guerre, 3e conseil, — Arch. Nat. BB 24/792. — Arch. Nat., H colonies, carton n° 75. — Arch. PPo B a/1014, B a/1015 où se trouvent les papiers Clément saisis sous la Commune et, notamment, la lettre écrite le 7 mars 1862 et celle, non datée, dont Clément nia être l’auteur (Cf. Procès-Verbaux de la Commune de 1871.)

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