LIU Binyan 劉賓雁

Par Wotjtek Zafanolli

Né en 1925 à Changchun, dans la province du Jilin. Écrivain communiste de talent, ses prises de position lui valent d’être condamné comme « droitier » en 1957 ; il refait surface vingt ans plus tard et apparaît dès lors comme l’un des chefs de file de l’intelligentsia libérale du Parti à l’heure de la démaoïsation. Depuis la parution de Entre hommes et démons, il s’est fait une spécialité de dénoncer les abus de la bureaucratie.

Liu Binyan a fait ses études primaires et deux ans d’études secondaires à Harbin, où il a acquis une bonne connaissance du russe. Il adhère au P.C.C. en 1944 et prend alors part au travail clandestin du Parti en Mandchourie. Quelques années plus tard, sous la conduite de Jiang Nanxiang, il participe à la réforme agraire dans le Nord-Est. Quand elle se conclut, il se fait traducteur. A ce titre, il traduit en chinois nombre de romans et d’ouvrages de théorie littéraire soviétiques. A la veille du mouvement des Cent Fleurs, en 1956, il travaille au Zhongguo qingnian bao (Journal de la jeunesse chinoise), comme membre du comité de rédaction et directeur de la section du commerce et de l’industrie. Il est également vice-directeur des Éditions du peuple (Renmin chubanshe). Sans doute à cette époque se lie-t-il avec le groupe de personnalités dirigeantes de la Ligue de la jeunesse communiste, dans lequel Hu Yaobang (胡燿邦), bien des années plus tard, puisera ses proches collaborateurs. Pendant les Cent Fleurs, Liu Binyan publie coup sur coup deux nouvelles anti-bureaucratiques, Sur le chantier du pont et Nouvelles confidentielles du journal, qui ont immédiatement un très grand succès, surtout la seconde. Dans celle-ci, qui est directement inspirée de son expérience journalistique, il pose sans ambages la question du statut de la presse dans un pays socialiste et revendique pour les journalistes le droit à la liberté d’informer : « Faut-il, avant de pouvoir parler de quoi que ce soit dans la presse, attendre que le Comité central du Parti ait pris une décision à ce propos ? (...) Si oui, autant ne pas avoir de journaux du tout ! » fait-il dire à son héroïne.
Condamné comme « droitier anti-Parti et anti-socialiste », il est envoyé en 1958 en « réforme par le travail » (laogai) dans le Guangxi. Après son élargissement, en 1961, il reçoit une affectation à la section internationale de l’organe officiel de la Ligue de la jeunesse. Mais il est à nouveau critiqué et arrêté pendant la Révolution culturelle. Il est cette fois emprisonné dans le Henan, et ce n’est qu’au début de 1979 qu’on lui enlève son « chapeau de droitier », en même temps qu’on lui redonne une position officielle. Il est alors nommé journaliste au Quotidien du peuple et il entre à l’Académie des sciences sociales comme chercheur. A la fin de 1979, il est élu membre du secrétariat de l’Association des écrivains (Zuojia xiehui).
La période est à la libéralisation, aussi en profite-t-il pour faire sa rentrée littéraire, en faisant paraître un vrai brulot, Entre hommes et démons. L’œuvre est un remarquable exemple d’un genre typiquement chinois, la « littérature de reportage » (baogao wenxue). Prenant comme point de départ une enquête sur un fait divers, une affaire de détournement qui a défrayé la chronique en Chine en 1978-1979, Liu Binyan dresse une immense fresque sociale de la caste bureaucratique d’un xian du Heilongjiang. Il montre sur ce cas particulier que la corruption des cadres, loin d’être un phénomène marginal, doit être considérée comme faisant partie intégrante des mécanismes du pouvoir. Tous les cadres du xian, ou peu s’en faut, sont en effet liés les uns aux autres par un système de relations du type du don et du contre-don, dans lequel la « monnaie d’échange » est constituée par les passe-droits que la position de chacun d’entre eux au sein de l’appareil du Parti, de la production ou de l’administration met en mesure d’accorder à tous les autres. Comme le constate ironiquement Liu Binyan : « La supériorité de cette forme d’échange socialiste sur l’échange capitaliste est très nette, il n’y a pas besoin de capital et on ne fait jamais faillite. » En dépit de — ou peut-être à cause de son adhésion certaine à la doctrine communiste, il dédaigne dans cet ouvrage les explications toutes faites fournies par le Département de la propagande, qu’elles soient du type « sabotages de la “Bande des Quatre” » ou « influence pernicieuse de la bourgeoisie internationale », et il va directement à des causes plus vraisemblables, comme l’autoritarisme des cadres à l’intérieur du Parti et de la société chinoise en général. En 1979 et 1980, il intervient à plusieurs reprises dans des discours et des articles pour réclamer le « respect de la dignité et des droits de l’homme », et il se fait l’avocat de l’« humanisme grec » qu’il oppose à la haine de classe institutionnalisée.
Le parti pris qu’il témoigne dans ses écrits d’exprimer le point de vue des humbles et des sans-grades, en bousculant au besoin une bureaucratie indolente et jalouse de ses nombreux privilèges, fait de Liu Binyan un des écrivains les plus populaires en Chine aujourd’hui. Mais cela lui a attiré de nombreuses inimitiés parmi les cadres du Parti. N’a-t-il pas lui-même déclaré en 1980 : « Certains disent : Liu Binyan est un type incroyable. Depuis la Libération, on n’a jamais vu une herbe vénéneuse aussi gravement anti-Parti et anti-socialiste (qu’Entre hommes et démons). Qu’il y ait une autre Révolution culturelle, et rien que pour une œuvre comme celle- là, il lui faudra connaître une mort encore plus atroce que Deng Tuo » ? La profonde irritation des cadres qu’il a mis en cause dans le courant de son enquête au Heilongjiang s’exprime ouvertement dans un très long article, qui paraît en 1982 dans Beifang wenxue (Littérature du Nord), dans lequel la plupart des conclusions que tire Liu Binyan sont déclarées sans fondement. Le fait qu’on lui épargne alors une campagne de critique nationale, comme celle dont l’écrivain Bai Hua est victime en montre qu’il a la confiance absolue du régime, et, plus important peut-être, qu’il a des protections très haut placées.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182730, notice LIU Binyan 劉賓雁 par Wotjtek Zafanolli, version mise en ligne le 15 novembre 2016, dernière modification le 15 novembre 2016.

Par Wotjtek Zafanolli

ŒUVRE : Zai qiaoliang gongdi shang (Sur le chantier du pont), in Renmin wenxue (Littérature populaire), avril 1956. — Ben bao neibu xiaoxi (Nouvelles confidentielles du journal), in Renmin wenxue, juin et septembre 1956. — Ren yao zhijian (Entre hommes et démons), in Renmin wenxue, septembre 1979, version française in La face cachée de la Chine, traduction, W. Zafanolli, présentation, J. P. Béjà & W. Z., Paris, 1981. — Ying shi longteng- huyue shi (Ce serait le moment de nous retrousser les manches), in Dangdai (Actuel), mai 1982 — Qian qiu gongzui (Les œuvres du temps), in Shiyue (Octobre), juin 1982. — Il est impossible de donner une liste exhaustive des articles écrits par Liu Binyan. On en trouvera une bonne sélection in Liu Binyan de caifang xuan (Sélection de reportages par Liu Binyan), Chengdu, 1981. Citons également : « Ren shi mudi, ren shi zhongxin » (L’homme est le but, l’homme est le centre), in Wenxuepinglun (Critique littéraire), juin 1979 ; « Ying shi shei lai pinggong ? » (Qui doit apprécier les mérites ?), in Xin shidai (Temps nouveaux), n° 5, septembre 1980. — » Wuxing de jiqi » (Le mécanisme invisible), RMRB, 8 février 1984, illustre bien l’« immunité » journalistique dont il semble jouir en même temps que le caractère invariablement constructif de sa critique.

SOURCES : Lin Manshu et a/.(1976). — Mingbao (Les Lumières), 20 janvier 1980, 28, 29 et 30 avril 1980. — Zhengming (Rivalisons !), n° 57, juillet 1982. — Pour la critique de Liu Binyan en 1957, voir : Li Xifan in Renmin wenxue, octobre 1957 et He Jiahuai in Renmin wenxue, juin 1958. — Pour une remise en cause radicale des conclusions contenues dans Ren yao zhijian, voir : Wu Yungang, in Beifang wenxue (Littérature du Nord), février 1982.

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