LIU Hua 劉華

Par Alain Roux

Né le 6 janvier 1889 dans le village de Chenchetuo, xian de Yibin au Sichuan ; mort fusillé à Shanghai le 17 décembre 1925. Héros et martyr du mouvement du 30 mai 1925 à Shanghai.

Issu d’une famille de fermiers pauvres, orphelin de bonne heure, Liu Hua, dont les études ont été financées grâce à la solidarité familiale, est en 1920 correcteur d’épreuves aux éditions de Chine à Shanghai. En 1923 il est employé et étudiant à l’Université de Shanghai (Shangda) (voir Qu Qiubai (瞿秋白)). Il y devient communiste et consacre son temps à ouvrir des « clubs ouvriers » et des écoles du soir pour les travailleurs dans le quartier ouest de Shanghai, immédiatement en dehors de la Concession internationale (quartier de Xiaoshadu) où avaient eu lieu les enquêtes de Li Qihan (李啓漢) et de Yuan Dashi (袁大石) dès 1920 et où Li Qihan avait milité dès 1921. A la fin de l’année 1924, il a redonné vie au « club ouvrier de l’Ouest de Shanghai ». Très lié au monde du travail, tirant profit de sa haute stature et de sa forte présence, Liu Hua concentre ses efforts sur les ouvriers des cotonnières japonaises. Il cherche en effet, comme l’a proposé le premier Congrès du travail à Canton (voir Lin Weimin (林偉民)), à amener le prolétariat chinois à entrer en conflit direct avec les employeurs impérialistes, unissant ainsi la lutte de classes à la lutte anti-impérialiste du peuple chinois dans son ensemble.
Or, au début de février 1925, éclate dans la confusion un mouvement de grève dans les cotonnières japonaises. Les ouvriers exigent une augmentation des salaires et le paiement régulier des salaires en monnaie d’argent et non plus en monnaie de cuivre dépréciée. Ce mouvement est aussi une protestation contre les brutalités des contremaîtres japonais. Liu Hua et l’ouvrier des cotonnières Sun Lianghui décident de structurer cette agitation confuse qui tournait, comme à l’accoutumée, au bris de machines (« dachang ») et à la violence spontanée et inefficace. Il reçoit l’appui de militants communistes expérimentés comme Li Lisan (李立三) et Deng Zhongxia (鄧中夏). Tous les jours, à partir du 10 février — date du début de la grève — il réunit des assemblées générales : des délégués des grévistes sont élus. Liu Hua déploie un talent d’organisateur qu’apprécie fort Deng Zhongxia dans son Histoire abrégée du mouvement ouvrier chinois : « A l’époque des grèves des usines japonaises, Liu Hua s’est révélé un être d’exception pour l’audace et l’habileté. Plus encore, il était un expert en agitation et, de ce fait, les ouvriers l’estimaient beaucoup » (op. cit., p. 142). Liu Hua doit lutter contre les attaques de la Fédération ouvrière, anticommuniste et en bons termes avec le patronat (voir Wang Guanghui (王光煇)). Il multiplie les conférences de presse destinées aux journalistes chinois et conquiert ainsi l’appui d’un des journaux de la bourgeoisie chinoise locale, le Minguo ribao (La Nation), organise des collectes avec l’aide des étudiants, dénonce l’appel à la reprise du travail lancé par la Fédération ouvrière, et sollicite le soutien international. L’Internationale syndicale rouge envoie 60 000 roubles. On parvient ainsi à verser aux grévistes qui sont entre 40 000 et 60 000 une indemnité journalière de 20 centimes ; le 26 février les puissants compradores de la Chambre chinoise de commerce proposent leur médiation. Le 28, le travail reprend sur un compromis : les salaires seront régulièrement payés, les grévistes sont tous réintégrés et les brutalités des contremaîtres cesseront. Le club ouvrier se transforme en mars 1925 en un syndicat des cotonnières de Shanghai et Liu Hua, responsable de cette organisation, est reconnu de fait par le patronat et les autorités japonaises comme interlocuteur valable pour négocier à propos de tel ou tel licenciement abusif. L’autorité de son syndicat est considérable et la participation ouvrière au 1er mai 1925, et, surtout, à la « journée d’humiliation du 9 mai » (anniversaire des « vingt et une demandes » japonaises de 1915) témoigne du fait que la combativité de l’instable prolétariat shanghaïen a pu être canalisée.
Au cours du mois de mai 1925, le mouvement de grève reprend dans les cotonnières japonaises, marqué à nouveau ça et là par des bris de machines et la brutalité des contremaîtres. C’est ainsi que le 15 mai 1925, l’ouvrier de l’usine japonaise Naigai Wata Gu Zhenghong est abattu. Un article publié en mai 1975 en Chine Populaire le présente comme un ami de Liu Hua. Celui-ci organise très vite la réplique ouvrière, appelant à transformer les obsèques en manifestation. On sait la suite : la fusillade du 30 mai 1925, par la police anglaise, d’une manifestation ouvrière et estudiantine est le point de départ du mouvement du 30 mai, premier grand « mouvement » (yundong) anti-impérialiste animé par le P.C.C. Le 1er juin, le Syndicat général de Shanghai est fondé à Zhabei : Liu Hua en est le vice-président aux côtés de Li Lisan (président), et de Liu Shaoqi (劉少奇), Sun Lianghui et Yang Zhihua (楊之華). Le 4 juin, il y a 74 000 grévistes dans les usines anglaises et japonaises de Shanghai. Le 13, 160 000. Le 7 juin un comité s’est constitué pour l’action unifiée avec le Syndicat général, la Fédération des étudiants, et la Fédération des marchands de rue. Le programme mis au point le 11 juin, et présenté lors d’un meeting de 20 000 personnes à Zhabei, prévoit à la fois l’extension des libertés syndicales et la reconnaissance des droits politiques de la population chinoise des Concessions. Liu Hua est toujours l’excellent organisateur que l’on a vu à l’œuvre en février, multipliant les réunions de grévistes, collectant les fonds. Entre-temps, il est devenu membre de l’exécutif du Syndicat général pan-chinois créé en mai 1925 à Canton (voir Lin Weimin (林偉民), Su Zhaozheng (蔌兆症)).
Mais, en septembre, le mouvement s’essouffle, tandis que des accords partiels dont le premier a été négocié le 14 août par Li Lisan avec le consulat général japonais amorcent la reprise du travail, qui est définitive au début du mois d’octobre. Dans ce contexte de reflux où les dirigeants communistes essaient avec lucidité d’obtenir quelques succès au niveau des revendications économiques, la répression est facilitée. Le 19 septembre 1925, le Syndicat général de Shanghai est dissous, ses locaux placés sous scellés, ses dirigeants arrêtés ou contraints de prendre la fuite (voir He Songling (何松齡)). Appréhendé par la police le 29 septembre, Liu Hua est jugé par les autorités judiciaires de la Cour mixte qui décident son extradition et sa remise aux autorités chinoises. En novembre 1925, Sun Chuanfang, nouveau maître de la région, hésite encore sur l’attitude à tenir face au mouvement ouvrier. Liu Hua est mêlé à des négociations avec lui, ainsi que Sun Lianghui et Xiang Ying (項英). Le 29 novembre les communistes croient possible de rouvrir les locaux du Syndicat général et d’imposer ainsi la reconnaissance légale du syndicat. Mais Sun Chuanfang a choisi la répression : après le succès du meeting organisé le 7 décembre par le Syndicat général, il fait fermer les locaux le 10. Le rôle du banquier shanghaïen Yu Xiaqing semble déterminant dans la brutalité de la réaction du seigneur de la guerre : le 17 décembre Liu Hua est exécuté. La tradition ouvrière qui longtemps honorera cette date comme une des grandes dates du mouvement ouvrier shanghaïen attribue à Yu Xiaqing la responsabilité essentielle de cette exécution. La Chine Populaire célèbre Liu Hua comme un « héros ouvrier » et, au lendemain de la Révolution culturelle il passe pour l’exemple même du militant communiste lié aux masses.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182750, notice LIU Hua 劉華 par Alain Roux, version mise en ligne le 15 novembre 2016, dernière modification le 15 novembre 2016.

Par Alain Roux

SOURCES : Ayers (non daté). — Cadart/Cheng (1983). — Chang Kuo-t’ao (Zhang Guotao), I (1971). — Chesneaux (1962). — Deng Zhongxia (1949). — » Liu Hua wusan yundong zhong de zhuming gongren lingxiu » (Liu Hua, dirigeant ouvrier illustre du mouvement du 30 mai 1925), in Xuexi yu Pipan (Étude et Critique), mai 1975, p. 25-32. — Xu Luode in Zhongguo gongren (L’Ouvrier chinois), 27 mars 1957. — Zhongguo gongchandang lieshizhuan (Vies des martyrs du P.C.C.), p. 63-70 : « Dao Liu Hua tongzhi » (Pleurons le camarade Liu Hua).

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