LIU Renjing 劉仁靜

Par Yves Chevrier

Né en 1899 dans le Hubei. Représentant du « groupe de Pékin » au premier congrès du P.C.C. (juillet 1921) ; dirigeant des Jeunesses socialistes (future L.J.C.) jusqu’en 1925 ; dirigeant trotskyste dans les années 1930, il se rallie au régime de Nankin puis, après 1949, à la R.P.C.

Lors du mouvement du 4 mai 1919 (voir Chen Duxiu (陳獨秀)), Liu Renjing étudie l’anglais à Beida (l’Université de Pékin), l’un des principaux foyers du mouvement. Il appartient au groupe qui publie l’hebdomadaire Xin Chao (Renaissance) et fréquente le petit cercle marxisant (dit « pavillon rouge ») rassemblé par Li Dazhao (李大釗) autour de la Société d’étude du marxisme. C’est tout naturellement qu’il fait partie du « petit groupe » (xiaozu) de Pékin lorsque les intellectuels marxistes de la capitale décident de suivre l’exemple shanghaïen en s’organisant en parti (novembre 1920). Liu Renjing est avec Zhang Guotao (張囯燾) l’un des deux envoyés de ce groupe au congrès de Shanghai qui fonde le P.C.C. en juillet 1921. En 1922, il accompagne Chen Duxiu à Moscou. La délégation chinoise auprès du IVe congrès de l’I.C. (décembre 1922) s’entend dire par un Radek assez mordant que le P.C.C. doit rompre avec une stratégie ouvrière qui l’isole dangereusement. Ses membres — des intellectuels pour la plupart — sont invités sur le même ton à « sortir de la salle de classe confucéenne ». L’heure (moscovite) est en effet à l’alliance avec le G.M.D., alliance imposée en Chine même par Maring. Liu Renjing prononce un discours tout à fait conforme à la nouvelle ligne. De retour en Chine, il accède (suivant le témoignage de Peng Shuzhi (彭述之)) au secrétariat national des Jeunesses socialistes (rebaptisées L.J.C. en 1925) lors du second congrès de la Ligue (alors forte de 6 000 membres) qui se tient à Canton en août 1923.
Liu, cependant, préfère achever ses études (à l’Université nationale de Pékin) : il néglige ses activités militantes au grand scandale de ses camarades. Le IVe congrès du P.C.C. (janvier 1925) décide d’y mettre bon ordre : Peng Shuzhi, rentré depuis peu de Moscou, est chargé de réorienter le recrutement et la propagande de la Ligue en direction des ouvriers et des paysans ; le « scandale » doit être réglé à cette occasion. Contre la majorité des délégués au IIIe congrès de la Ligue, réuni peu après celui du Parti, Peng obtient que Liu ne soit pas exclu mais seulement blâmé. Il n’en perd pas moins son poste de secrétaire national où lui succède Zhang Tailei (張太雷) (assisté de Ren Bishi (任弼時)), Yun Daiying (惲代英) continuant de diriger Zhongguo qingnian (La jeunesse chinoise).
Bien qu’il demeure membre du P.C.C., Liu est par la suite remarquablement « absent ». Sa trace se perd même, sans doute à Moscou. Il y aurait passé les années de la « seconde révolution » (1925-1927), en prêtant de bonne heure une oreille attentive aux attaques de Trotsky contre la ligne officielle de Staline et Boukharine. Toujours est-il que suivant le témoignage de Wang Fanxi (Wang Fan-hsi), étudiant à l’Université Sun Yat-sen à l’heure où Pavel Mif y donne la chasse aux partisans du « prophète désarmé », Liu est de ceux qui contribuent à l’éveil d’une forte opposition d’inspiration trotskyste parmi les étudiants et/ou réfugiés chinois résidant à Moscou entre 1927 et 1929. Ce rôle d’inspirateur se confirme à l’automne 1928 lorsque Trotsky, en réplique aux décisions du VIe congrès du Komintern (voir Li Lisan (李立三)), lance le slogan de l’Assemblée constituante : il s’agit de préparer dans une semi-légalité et dans une perspective de rassemblement national la future offensive révolutionnaire. Ses partisans chinois ne comprennent pas la volte-face de l’ex- champion des soviets, avocat d’une révolution à outrance contre le G.M.D. à l’heure (1926-1927) où Staline et Boukharine préconisaient une stratégie peu dissemblable de celle qu’il invoque en 1928. Liu Renjing seul le soutient : il est depuis longtemps convaincu que seul le développement industriel d’une Chine capitaliste et « bourgeoise » réunira les conditions « objectives » (prolétariat nombreux, lutte de classes aigüe) d’une révolution socialiste. Son ascendant persuade les hésitants, qui n’en donnent pas moins du slogan parlementariste de Trotsky une interprétation de « gauche » opposée à celle, « purement social-démocrate » (Wang Fan- hsi), de Liu.
Au printemps 1929, Liu s’oppose une nouvelle fois aux trotskystes chinois résidant à Moscou. Devant rentrer en Chine, ces derniers décident d’y réintégrer le P.C.C. afin d’infléchir de l’intérieur la ligne du Parti. Liu préconise d’emblée la création d’un nouveau parti. Mis en minorité, il se rallie du bout des lèvres à la position majoritaire, qui d’ailleurs s’avérera rapidement intenable dans la pratique. Ayant accès à des fonds « privés » (aux dires de Wang Fan-hsi), Liu rentre en Chine via l’Europe (le Komintern rapatriant ses ouailles par les routes plus dangereuses de l’Extrême- Orient). Ce détour lui permet de rencontrer Trotsky à Prinkipo — rencontre dont il se targuera par la suite en prétendant notamment que Trotsky lui-même a choisi le nom de plume qu’il utilise dès lors : Niel Shih. Trop heureux de disposer d’un messager, l’inlassable exilé rédige un « programme pour les bolcheviks-léninistes de Chine ». Loin d’unir les opposants au parti officiel stalinisé par Li Lisan, ce programme va être la pomme de discorde des diverses composantes du mouvement trotskyste chinois.
Ce mouvement (voir Peng Shuzhi (彭述之)) prend forme à partir de 1929. Dès qu’il arrive à Shanghai, Liu annonce son obédience trotskyste dans une lettre au C.C. du P.C.C. L’arrivée du messager prestigieux précipite la conversion trotskyste des opposants à la direction officielle rassemblés autour de Chen Duxiu et Peng Shuzhi : avec quelque retard sur la petite communauté chinoise de Moscou, les principales victimes des épurations de 1927 s’aperçoivent que les fautes qui leur ont été reprochées sont celles mêmes que Trotsky impute à Staline depuis 1926. Mais l’esprit indépendant — » vain et arrogant » suivant Wang Fan-hsi — de Liu Renjing s’accommode mal d’un travail en commun, fût-ce contre l’ennemi commun. Il fonde un groupe - la Société d’Octobre (Shiyueshe) — au lieu de se joindre au groupe oppositionnel. La société elle-même éclate peu de temps après, beaucoup des partisans de Liu (c’est le cas de Wang Fan-hsi) supportant mal ses grands airs, peu en rapport avec une connaissance superficielle de la doctrine marxiste. Isolé, Liu publie deux numéros d’un « one-man paper » titré Demain. Il est vrai que les autres groupes trots- kystes trouvent d’autres raisons de se scinder et de s’excommunier que le mauvais caractère et l’arrogance d’un Liu Renjing. Trotsky lui-même étant intervenu pour mettre un terme à cette frénésie de scissions, les différentes tendances oppositionnelles se rassemblent en mai 1931 dans le Groupe d’opposition de gauche du P.C.C. (Zhongguo gongchandang zuopai fanduipai) également connu sous le nom de Parti Trotsky-Chen (Tuo-Chen pai).
Les antagonismes antérieurs ont vite fait de ruiner cette union éphémère, d’autant que l’agression japonaise en Mandchourie fait surgir un nouveau débat : faut-il ou non soutenir le G.M.D. en vertu du patriotisme chinois ? Avant même Chen Duxiu, qui s’orientera sans réserve dans cette direction, Liu Renjing y trouve le prétexte d’une nouvelle rupture. Arrêté à Pékin, il est libéré après une « période de réflexion » qui équivaut à une abjuration. L’accord de Front uni signé en 1937 par le G.M.D. et le P.C.C. (voir Zhou Enlai (周恩來)) ne l’incite pas à oublier les querelles passées. Il adhère non seulement au G.M.D. mais à la Ligue anticommuniste du général Hu Zongnan. Les responsabilités qu’on lüi confie à Chungking (capitale de guerre de Chiang Kai-shek sur le haut Yangzi) montrent que cet entêtement n’est pas geste superficiel de mauvaise humeur mais engagement profond (ou blessure inoubliable ?). Dans les bureaux de la propagande puis dans ceux de la 10’ région militaire, il se montre un anticommuniste zélé, soucieux de limiter l’influence de son ex-parti à Chungking et d’entraver la progression des forces de Yan’an dans le Nord-Ouest.
Après la chute du Japon, Liu Renjing rentre à Shanghai et se lance à nouveau dans la bataille politique en publiant Minzhu yu tongyi (Démocratie et unité), journal dont les violentes diatribes anti-P.C.C. ne laissent guère prévoir un ultime revirement : lorsque le G.M.D. s’écroule, en 1949, Liu mêle sa voix au concert des ralliements et s’empresse de publier un manifeste dénonçant... le trotskysme et les trotskystes ! On obtient de lui en effet qu’il renie ses précédents revirements. Le RMRB publie une autocritique que le Dagongbao (L’Impartial) de Hong Kong reprend le 15 janvier 1951.
Personnage irascible, inconsistant, incapable de patience en politique : acteur mineur par conséquent de ce drame forcément lent qu’est la politique, révolutionnaire ou non. L’éclairage est plus flatteur cependant si nous considérons Liu Renjing dans ses rapports avec l’un des éléments constitutifs les plus importants du communisme chinois : celui des relais Chine-Moscou. Sous cet angle, notre instable (n’oublions pas cependant qu’il n’a jamais varié dans son appréciation du cours historique de la révolution chinoise, et cru à la stabilité de la bourgeoisie), notre instable donc n’est plus tout à fait insignifiant : il est intermittent, c’est-à-dire important en 1922-1923 (au point que Maring l’attire dans la petite équipe de Qianfeng, revue théorique qui tire la leçon du Front uni), important en 1927-1929, quand il contribue notablement à rétablir certaines vérités sur la « tragédie » de la révolution chinoise. Important pour cette « tragédie » même — celle à laquelle Harold Isaacs travaille en 1934 (La Tragédie de la révolution chinoise) et pour laquelle Liu Renjing traduit les documents originaux. Un peu de Liu Renjing est donc passé dans ce grand livre qui a tenu le haut du pavé anti-stalinien jusqu’à nos jours.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182759, notice LIU Renjing 劉仁靜 par Yves Chevrier, version mise en ligne le 19 novembre 2016, dernière modification le 16 novembre 2016.

Par Yves Chevrier

ŒUVRE : Outre ses activités d’interprète et de traducteur, Liu Renjing a laissé une contribution importante aux organes de presse communistes (Xiangdao, Le Guide ; Qianfeng, L’Avant-garde), à la presse trotskyste tant chinoise qu’internationale (sous le pseudonyme de Niel Shih). Son intervention au IVe congrès de l’I.C. (« Rapport sur la situation en Chine ») est publiée in Protokoll des Vierten Kongresses der Kommunistischen Internationale, Petrograd-Moskau, vom 5. November bis 5. Dezember 1922, Hambourg, 1923, p. 612- 615.

SOURCES : Outre BH, voir : Protokoll des Vierten Kongresses..., document cité supra — Dagongbao, 15 janvier 1951. — La courte biographie parue dans Evans et Block (1976), les témoignages de Peng Shuzhi (in Cadart/Cheng, 1983) et de Wang Fanxi (Wang Fan-hsi, 1980). — Sur le mouvement trotskyste chinois, voir également la biographie de Peng Shuzhi dans ce volume.

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