HÉRAUD Paul, Henri, pseudonyme dans la Résistance : commandant DUMONT

Par Jean-Marie Guillon

Né en 1906 à Saint-Victor-Lacoste (Gard), mort en mission le 9 août 1944 à Tallard (Hautes-Alpes) ; artisan chaisier ; Mouvements unis de la Résistance (MUR), chef départemental adjoint Section atterrissages et parachutages (SAP), chef départemental adjoint des Groupes francs (GF), chef départemental des Forces françaises de l’Intérieur (FFI), membre du Comité départemental de Libération (CDL).

Paul Héraud fut la figure emblématique de la Résistance haute-alpine. Il était le dernier d’une famille de cinq enfants. Son père, un artisan chaisier originaire du Gard, était issu d’une lignée très républicaine. La famille était venue s’installer dans les Hautes-Alpes, d’abord à Veynes où elle arriva lorsque Paul avait quatre ans, puis, trois ans après, à Gap. Après l’école communale de la rue de Verdun, où il entra en janvier 1915, Paul Héraud poursuivit ses études à l’École primaire supérieure jusqu’au brevet élémentaire qu’il obtint à l’âge de quinze ans. Il suivit ensuite des cours de comptabilité chez Pigier, avant de travailler avec son père, à qui il succéda comme artisan chaisier, place Saint-Arnoux, en 1936. Mais tous les témoignages indiquent qu’il continuait, seul, à se cultiver et qu’il avait acquis de remarquables connaissances en géologie, histoire, poésie, musique, peinture. La montagne était une passion pour cet alpiniste de grande classe. Membre de la section de Gap du Club Alpin Français et du Ski-club, il était capable d’accomplir des ascensions difficiles, souvent en solitaire. Il aurait ainsi réalisé treize premières, dans le massif des Écrins ou le Dévoluy, dont la redoutée face Est du pic de Bure en 1937. Paul Héraud apparaît dans les descriptions comme un être en recherche d’absolu. Membre de la Société Saint-Vincent-de-Paul, il affichait son mépris des biens et sa charité envers les pauvres. Catholique non clérical, revenu à l’église par le chant, il avait « Péguy le dreyfusard » pour modèle et comme devise : « Servir et non se servir ».

Ayant effectué son service militaire au 4e Génie à Grenoble (Isère), il fut rappelé en 1939 comme sergent de réserve et affecté à une compagnie du Génie au col du Lautaret (Hautes-Alpes). Il ne se résigna pas à la défaite et, dès l’hiver 1940, se mit à vouloir parfaire ses connaissances militaires et techniques grâce aux manuels de formation que lui prêtait son ami, le colonel Lebeau. En relation avec le général Cyvoct, ancien commandant du secteur fortifié du Dauphiné et commandant la subdivision de Gap, et avec le capitaine Dimano, il adhéra au projet avorté de constitution d’une armée clandestine. Son refus de la défaite n’alla pas jusqu’à prendre ses distances à ce moment-là avec les représentants locaux du régime de Vichy. Comme chez de nombreux catholiques, y compris dans les milieux démocrates-chrétiens, ont pu joué pour le comprendre le soutien apporté par les dignitaires de l’Église, et notamment l’évêque de Gap, au maréchal Pétain, l’approbation de certaines orientations sociales du régime, le souci de se rendre utile. On ne sait si Paul Héraud adhéra à la Légion française des combattants comme d’autres résistants précoces partageant ses options, mais il accepta de faire partie du conseil municipal de la ville nommé par le préfet le 28 février 1941 et présidé par Émile Fabre. Au sein de cette municipalité, installée le 19 avril suivant, il était membre des commissions des cérémonies et spectacles, des œuvres sociales et de l’éducation physique, sports et sociétés. Il s’investit particulièrement dans les actions de bienfaisance. Dans un rapport présenté en conseil municipal le 1er mai 1943, il apparaît comme l’un des responsables du bureau de bienfaisance assurant « d’importantes distributions de pain, de pommes de terre, de denrées diverses, de combustibles ». Il était toujours membre du conseil municipal en 1944. Cet engagement ne l’empêcha pas de participer à la Résistance. Il prit contact avec divers groupes clandestins, notamment Franc Tireur et, en octobre 1942, l’Armée secrète (AS) de Combat. Le chef départemental Edmond Pascal lui confia alors la création de groupes francs (GF) avec Étienne Moreaud. Durant le premier semestre 1943, Combat, Libération et Franc-Tireur ayant fusionné dans les MUR, Paul Héraud participa à l’organisation militaire du département avec le commandant Ricard (division en secteurs, création d’un maquis par secteur, mise en place de formation pour les maquisards). Nommé chef régional adjoint GF pour la R2 (la Provence), il s’occupait particulièrement des Hautes et des Basses-Alpes en liaison avec Louis Martin-Bret. Il coordonnait ainsi l’activité des GF, du service Maquis et de Résistance Fer. Il fut chargé notamment d’attaquer l’ensemble du système électrique de la vallée de la Durance, d’où divers sabotages de transformateurs et de pylônes, par exemple le 4 décembre 1943 au sud du Poet, puis, un peu plus tard, le 23 décembre, à L’Argentière, ou dans la même période, à plusieurs reprises autour de l’usine de Saint-Auban (Basses-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence). Il organisa aussi des sabotages d’installations ferroviaires dans les Hautes-Alpes (en 1943, à La Freissinouse et à La Roche des Arnauds, le 18 février 1944 au dépôt de Veynes) ou d’installations industrielles (l’usine d’aluminium de L’Argentière, dans la nuit du 14 au 15 novembre 1943 et le 23 décembre). Il était au côté de Martin-Bret lors du sabotage de l’usine d’alumine de Gardanne (Bouches-du-Rhône), le 5 mars 1944. Il travaillait en étroite collaboration avec Francis Cammaerts, responsable du réseau Jockey du Special Operations Executive (SOE) dans les Alpes du Sud, grâce à qui, sans doute, il pouvait avoir des explosifs. Il fut homologué par ce réseau comme agent P2 à partir d’octobre 1943 et comme chargé de mission de 1e classe en mars 1944. Il devint en octobre 1943 adjoint au responsable départemental de la SAP, sous l’immatriculation AC 35, tâche qu’il délégua à Raymond Ribaud. Mais les parachutages dans les Hautes-Alpes ne commencèrent qu’en avril 1944. Paul Héraud, avait été nommé, en mars 1944, chef départemental des FFI et membre du CDL. Sous le pseudonyme de commandant Dumont, à partir de son PC situé aux Arnauds (Savournon, Hautes-Alpes), en contact permanent avec Edmond Pascal, le chef départemental MLN et futur préfet, il coordonna la préparation des plans d’action de la résistance militaire dans le département. Cependant, il se montra hostile à la mobilisation de juin 1944, après le débarquement en Normandie, mobilisation encouragée par les ordres venus d’Alger. Il s’opposa à la mobilisation des « sédentaires », mais les événements s’accélèrent avec l’arrivée de plusieurs missions parachutées et la montée en puissance de l’Organisation de résistance de l’Armée (ORA). Il fut légèrement blessé dans une embuscade tendue contre des véhicules allemands, le 8 juillet, à Bellevue près de Gap. Il prit des contacts avec les maquis italiens (par le Queyras) à la mi-juillet. Lors de la réunion du 8 août 1944 qui se tint entre La Rochette et La Bâtie-Neuve avec tous les chefs militaires des Hautes et Basses-Alpes, les officiers parachutés et le président du CDL, il fit part du plan qu’il avait préparé afin que la route Napoléon soit utilisée pour la pénétration des troupes qui allaient débarquer. Ce plan, que le colonel Joseph Zeller, l’un des chefs de l’ORA, porta aux Alliés à Naples, allait être suivi avec la mise en place dès le 19 août de la colonne motorisée du colonel Butler qui, partant de Draguignan (Var), libéra avec les FFI une grande partie des Basses et des Hautes-Alpes, dont Gap.

Paul Héraud fut tué le lendemain de cette réunion, le 9 août, en se rendant à Savournon pour transmettre ses instructions. La moto conduite par le gendarme Marius Meyère, que lui avait détaché le capitaine Oherne, commandant départemental de la gendarmerie, fut arrêté à un barrage allemand, près de Tallard, au Logis-Neuf. Alors que les Allemands entendaient le fouiller, il parvint à s’enfuir. Son compagnon fut abattu sur place et lui le fut quelques centaines de mètres plus loin, après avoir repéré en tentant de rejoindre une maison. La Sipo-SD de la région de Marseille était à sa recherche. Il était identifié dans le rapport Antoine rédigé par Ernst Dunker Delage, l’un des chefs de la section IV, le 11 août 1944, au n°33 sous le nom de Heyraud, Richard. Son corps et celui du gendarme Méyère furent inhumés le 10 août au cimetière de Tallard (Hautes-Alpes). Sa mort souleva une émotion unanime dans la Résistance. L’état-major départemental des Francs-tireurs et partisans (FTP) publia le 12 août un communiqué dans lequel il saluait cet « homme impartial et sans défaillance, plaçant au dessus de tout l’intérêt du pays ». Il demandait à ses commandants d’unité « de faire figurer en tête de leurs prochains rapports le mention suivante : Gloire et honneur à Dumont ». Son nom fut donné à Gap à l’avenue Maréchal-Pétain dès le 25 août 1944.

Les restes de Paul Héraud et de Marius Meyère furent transférés les 8 et 9 oût 1945, le premier Gap, le second vers Serres (Hautes-Alpes). Le cercueil de Paul Héraud vers Gap fut exhumé le 8 au soir et, avant l’aube, porté à Gap à la lueur des torches, suivi par plusieurs centaines de résistants. Le cortège entra en ville au petit matin du 9, s’arrêta à la cathédrale où eut lieu un office religieux et gagna ensuite le cimetière de la ville.

Décoré de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre à titre posthume, Paul Héraud fut honoré du titre de Compagnon de la Libération, le 19 octobre 1945. Une plaque à sa mémoire fut apposée sur sa maison au 5 de la place Saint-Arnoux. Un centre d’apprentissage porte également son nom. Un stèle à sa mémoire et à celle du gendarme Méyère fut érigée en 1945 au bord de la RN 85, sur le lieu de leur arrestation et une plaque scellée sur un rocher un peu plus loin marque l’endroit où il fut atteint. Le général de Gaulle s’y arrêta lors de sa visite à Gap en 1960. Il obtint la mention « Mort pour la France ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182764, notice HÉRAUD Paul, Henri, pseudonyme dans la Résistance : commandant DUMONT par Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 21 juillet 2016, dernière modification le 11 octobre 2022.

Par Jean-Marie Guillon

SOURCES : site des Compagnons de la Libération.— presse locale (Le Maquisard avril 1945).— Richard Duchamblo et Jules Gueydan, Paul Héraud, commandant Dumont, n° hors série des Cahiers "Maquisards et Gestapo", 1946.— Richard Duchamblo, Cahiers "Maquisards et Gestapo", Gap, Ribaud Frères, 19 cahiers 1945-1949, reprint 2005, Gap, Éditions des Hautes-Alpes, tome 1, 6e cahier, 1946, 7e cahier, tome 2 et 18e cahier, et Maquisards et Gestapo. Vingtième cahier, Gap, Librairie des Hautes-Alpes, 1995.— Colonel Terrasson-Duvernon, La Résistance en France et dans le département des Hautes-Alpes (1e partie), dossier documentaire n°1, éd. de 1983, Comité départemental des Hautes-Alpes de la Résistance et de la Déportation, CDDP Gap.⎯ renseignements fournis par Jean-Pierre Jaubert.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable