TREATMENT ACTION CAMPAIGN

Par Charlotte Pelletan

Association fondée le 10 décembre 1996 en Afrique du Sud ; lutte pour l’accès aux traitements contre le VIH/SIDA.

Treatment Action Campaign (TAC) est une association sud-africaine fondée le 10 décembre 1998 et dont la mission originelle est de lutter pour l’accès aux traitements contre le VIH/SIDA par la combinaison de modalités d’action collectives : la mobilisation, la négociation ainsi que le contentieux [1]. Au-delà de l’épidémie du VIH/SIDA, le mandat de l’association est aussi de lutter pour l’application des droits constitutionnels en matière d’accès aux soins, et pour l’établissement d’une justice sociale par la jouissance effective des droits économiques et sociaux.

Recourir aux droits humains pour exiger l’accès aux traitements contre le VIH/SIDA

Treatment Action Campaign a été fondée le 10 décembre 1998 lors de la journée internationale des droits de l’homme. Ce jour-là, une quinzaine de militants manifestent à Cape Town pour l’accès aux traitements des personnes vivant avec le VIH, notamment pour les femmes enceintes et les jeunes mères [2]. La période est délétère : près de trois millions de sud-africains sont touchés par le virus, abandonnés par le secteur public de santé, refusant de financer les traitements coûteux qui sont protégés par des brevets [3]. Les origines de TAC tiennent donc du consensus minimal autour d’une idée : l’accès aux traitements est un droit constitutionnel qui ne peut être nié aux personnes séropositives. L’association s’appuie sur la jeune Constitution sud-africaine, promulguée en 1996, qui stipule dans sa « Section 27 » que chacun a le droit de bénéficier de soins de santé [4] . Le point de départ de TAC est de dénoncer les prix élevés des traitements antirétroviraux comme le principal obstacle à l’accès aux traitements [5] . Le droit du brevet, encore renforcé par les Accords sur les Aspects de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce (ADPIC) de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), garantit aux entreprises le monopole sur ces traitements. L’objectif de TAC est de prouver que ces accords sont substantiellement contraires aux droits humains fondamentaux entérinés par la Constitution de 1996. C’est dans cette perspective que TAC lance sa première campagne en 1998 et demande la prise en charge par le gouvernement des traitements antirétroviraux afin de prévenir la transmission mère-enfant. Le refus du gouvernement, au motif de prix trop élevés, entraîne alors une accélération de la campagne. Treatment Action Campaign réplique que l’entreprise GSK, qui possède le brevet de l’AZT (la Zidovudine est le premier médicament utilisé comme prophylaxie antirétrovirale), viole le droit fondamental à la vie - et a fortiori aux traitements - et demande la réduction immédiate des prix. Assez rapidement, la campagne entraîne la mobilisation non seulement de jeunes femmes séropositives, mais également celle, plus large, de Noirs pauvres vivant avec le VIH/SIDA. Des marches sont organisées et le T-shirt « HIV positive » fait son apparition comme outil de mobilisation. Rapidement, ce mouvement social bénéficie d’une couverture médiatique importante. Néanmoins, la campagne ne s’arrête pas là. En plaçant le problème de l’accès aux traitements pour les femmes enceintes ou allaitant dans le cadre plus large de la Constitution sud-africaine, Treatment Action Campaign entend obtenir une solution judiciaire, c’est-à-dire la traduction d’un problème social en un droit positif, non respecté et appelant réparation. En 2002, TAC poursuit la Ministre de la santé (Treatment Action Campaign v. Minister of Health, 2002) pour ne pas avoir garanti la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant en rendant disponibles des traitements dans les établissements publics, ce qui est contraire au principe constitutionnel du droit d’accès aux traitements. Après notamment de nombreuses initiatives de désobéissance civile orchestrées par TAC, la Cour Constitutionnelle donne raison à l’association et contraint le gouvernement à approvisionner les hôpitaux en traitements pour les femmes enceintes et les jeunes mères. C’est également dans l’optique de remettre radicalement en question le droit du brevet que TAC s’allie au gouvernement sud-africain en amicus curiae contre les entreprises pharmaceutiques rassemblées au sein de la Pharmaceutical Manufacturers Associations (PMA) lors du « Procès de Pretoria » (South African government vs PMA, 2000) [6] . Ce procès très médiatisé s’achève par le retrait des poursuites contre le gouvernement par la PMA. Néanmoins, l’alliance de TAC au gouvernement sud-africain est brève. Plus tard, la campagne de défiance Christopher Moraka remet en question la validité du droit du brevet et son impact délétère sur la santé. A la mort du volontaire Christopher Moraka, TAC lance une campagne contre les profits réalisés par les entreprises pharmaceutiques en faisant importer de Thaïlande des versions génériques de Fluconazole (un médicament antifongique utilisé pour le traitement des mycoses liées au SIDA) dont le prix était 50 fois inférieur à celui pratiqué en Afrique du Sud [7] . Par la suite, TAC a recours à plusieurs reprises à des procédures judiciaires :

-  Pour d’autres recours auprès d’entreprises pharmaceutiques multinationales dont GSK, Boehringer Ingelheim (AIDS Law Project, 2003 ; TAC, 2003b), and Merk Sharp and Dohme (TAC, 2008) ;

-  En 2004, pour la mise en place progressive d’une couverture universelle d’accès aux antirétroviraux (Operational Plan on Comprehensive Treatment Care and Support) (TAC, 2004) ;

-  En 2006-2007, pour permettre aux prisonniers de l’établissement carcéral de Westville (Kwazulu Natal) d’accéder à des traitements antirétroviraux ; la Haute Cour finit par reconnaître la nécessité de permettre aux prisonniers un accès effectif aux traitements antirétroviraux.

-  Pour faire valoir le Medicines Act contre Matthias Ratg, un médecin extrêmement controversé et accusé par TAC d’avoir mené des essais cliniques non autorisés sur des humains et d’avoir distribué des médicaments contre le VIH non enregistrés à base de vitamines. La Haute Cour a donné raison à TAC en 2008.
Suite à cette alternance, pendant des années, de négociations et de confrontations avec le gouvernement, un plan de couverture universelle en antirétroviraux est enfin initié. En 2008, 450 000 personnes sont déjà mises sous traitement dans le secteur public. Huit ans après, ce chiffre a quadruplé.

Une portée sans cesse élargie par la notion de droits socio-économiques

Les premiers militants de Treatment Action Campaign ont peu de connaissances sur les politiques publiques de santé mais s’accordent sur une vision socio-économique du VIH/SIDA. Ils considèrent ainsi l’épidémie comme le symptôme d’une crise socio-économique plus profonde où la transmission est largement favorisée par des facteurs de pauvreté, d’inégalité et d’injustice sociale perdurant, malgré la fin du régime d’apartheid : comme le souligne Zachie Achmat, co-fondateur de TAC, « There are several things about HIV, and treatment specifically, that require activism. The first is the systemic and social problems that make people vulnerable and put them at risk. If you’re an African man who has sex with men, a migrant worker, or a woman, you are at a much greater risk » [8]. Dénonçant les insuffisances du gouvernement de l’African National Congress à établir la redistribution des ressources et exprimant une certaine déception face à la démocratie post-apartheid, Treatment Action Campaign se fonde sur une perspective concrète du militantisme : « activism is the one way to win incremental changes that improve people’s lives on a daily basis and reduce the risks or mitigate the impact of HIV/AIDS [9]. Nelson Mandela affirmait ainsi “a simple vote, without food, shelter and health care is to use first generation rights as a smokescreen to obscure the deep underlying forces which dehumanise people. It is to create an appearance of equality and justice, which by implication socio-economic inequality is entrenched. We do not want freedom without bread, nor do we want bread without freedom. We must provide for all the fundamental rights and freedoms associated with a democratic society”“ [10]. On the occasion of the ANC’s Bill of Rights Conference, 1991, in a “Bill of Rights for a Democratic South Africa” . En recourant systématiquement aux ressources institutionnelles fournies par le régime démocratique (la Constitution, la Commission des droits de l’homme, celle pour l’égalité des sexes, etc.) les modes de contestation ne cessent de questionner l’effectivité des droits fondamentaux. Au centre de l’action de TAC, le paragraphe 27 de la Constitution (Section 27) spécifie ainsi le droit de tous aux soins de santé. Mais l’association s’appuie aussi sur les facteurs socio-économiques de la santé et sur le paragraphe 24, qui stipule le droit de tous à avoir un environnement préservé, le 25 qui proclame le droit d’accès à la terre, ainsi que le paragraphe 26 qui garantit le droit au logement. En évitant de recourir à un discours extrêmement technicisé et à une défense uniquement attachée au corpus légal, en sortant du cadre judiciaire autoréférentiel, la campagne donne lieu à un débat inclusif en ce qu’il permet la participation élargie au débat et aussi parce qu’il va jusqu’à remettre en question les institutions sur lesquelles la société est fondée. L’exemple du procès de 2009 où TAC demande au Département des services correctionnels de permettre l’accès aux traitements pour les prisonniers séropositifs (Treatment Action Campaign v. Minister of Correctional Services, 2009) est en cela éloquent. TAC fait pression sur le ministre concerné, notamment en occupant les bureaux de la Commission des droits de l’homme de Cape Town – afin d’obtenir un rapport sur les causes du décès d’un prisonnier de la prison de Westville. Cette action permit de confirmer le lien direct entre la mort du prisonnier et l’absence d’antirétroviraux. La Cour donne raison à TAC et ordonne au Department of correctional services de respecter le paragraphe 27 de la Constitution.

Au-delà de ses succès judiciaires, TAC a donc employé une approche large et multidimensionnelle des problèmes sociaux. En effet, son action ne se limite pas au recours au droit pour des problèmes ponctuels : ces initiatives se donnent en fait une portée bien plus large et réformatrice. L’association propose souvent des alternatives et développe une expertise en politiques publiques. Lors de la campagne pour la mise en place d’un programme de prévention de la transmission mère-enfant (PTME, 2002), TAC mobilise des chercheurs afin d’esquisser des propositions de politiques publiques alternatives à même de contraindre le gouvernement sud-africain à faire appliquer les impératifs de la Cour Constitutionnelle, à savoir le respect « raisonnable » [11] des droits constitutionnels. À travers les différentes actions de TAC, ce sont trois revendications larges qui font leur chemin : l’accès aux médicaments essentiels, la réforme du droit du brevet ainsi que la réforme des services de santé [12]]] . Ces revendications ont donné naissance à des campagnes en partenariat étroit avec deux autres associations incontournables lorsque l’on évoque TAC : Médecins sans Frontières (MSF), une association humanitaire internationale d’aide médicale, et, de façon moins immédiate, Section 27, une association juridique ayant pour but de faire respecter les droits socio-économiques des populations. TAC et MSF ont notamment fait coalition en 2008 avec la Stop Stockouts Campaign (stop aux ruptures de stock), pour dénoncer l’incapacité des services publics de santé à assurer un approvisionnement fiable en médicaments. Ils s’associent de nouveau en 2011 pour la réforme du droit du brevet avec « Fix the Patent Law » (réformez le droit du brevet). Le poids politique de TAC s’est considérablement renforcé en une décennie et son rôle dans la fabrication des politiques publiques de lutte contre le VIH/SIDA s’est institutionnalisé. En 2006, l’association, enfin soutenue par le gouvernement sud-africain, siège au South African National AIDS Council (SANAC [13]) et participe activement à la rédaction du National Strategic Plan [14] , sans pour autant abandonner son rôle militant originel, qui l’amène fréquemment à placer ses interlocuteurs gouvernementaux face à leurs insuffisances : « ils ne représentent pas les gens, l’agenda politique doit venir de la société civile » [15] , dénonce ainsi S. Ngcobo, coordinateur provincial de TAC dans le Gauteng.

Un répertoire d’action inédit

L’association ne cesse de questionner la représentativité des politiques publiques et se fonde sur ces interrogations pour promouvoir des solutions « par le bas ». En cela, Treatment Action Campaign est un mouvement inédit de la société civile. Elle promeut l’éducation de la population la plus concernée par les injustices sociales, c’est-à-dire les personnes les plus marginalisées et ayant l’accès le plus réduit aux biens économiques fondamentaux. Il s’agit d’informer afin d’une part de créer une « demande » [16] et, d’autre part, de rendre les populations autonomes. Dès ses origines, l’association décide de construire un mouvement politique de défense des droits de l’homme directement au sein des communautés pauvres. TAC rompt avec les acteurs internationaux du SIDA en permettant aux plus pauvres de se représenter eux-mêmes à partir de leur réalité sociale. Cela requiert non seulement de communiquer aux patients des informations sur leurs droits mais il est également nécessaire qu’ils sachent utiliser ces droits comme des appuis à leurs revendications dans un contexte socio-politique donné. C’est en partant de cette idée que TAC reprend le modèle de « treatment literacy », utilisé une décennie auparavant aux États Unis par les militants du VIH/SIDA. Ce modèle est fondé sur les prémices selon lesquels la compréhension des enjeux biologiques et thérapeutiques du VIH est indispensable à un militantisme éclairé et efficace. Des transferts de savoirs ont été réalisés avec les associations des pays du Nord, par exemple avec Act up [17] , qui a participé à la formation des premiers militants de TAC. La treatment literacy, appliquée pour la première fois dans un pays du Sud par TAC, consiste en une formation autour du VIH : les aspects médicaux, thérapeutiques sont abordés mais ils sont socialement et politiquement contextualisés. La formation est sanctionnée par un examen et les volontaires formés sont appelés les ‘Treatment Literacy Practitioners’ (TLP). Ils bénéficient d’une petite bourse et interviennent dans les hôpitaux, cliniques et communautés. En plus d’être au cœur de la constitution du mouvement social, ces TLP jouent un rôle pivot dans le renforcement de la structure organisationnelle de TAC. Celle-ci est organisée en trois niveaux : au niveau de la « communauté » locale, une centaine de branches composées de volontaires et de TLP - majoritairement des femmes et des personnes séropositives - agissent auprès de populations pauvres et marginalisées, principalement pour la prévention et l’information. Ensuite, TAC agit au niveau provincial et possède sept bureaux dans les neuf provinces du pays. Il existe un comité exécutif de province (Provincial Executive Committee (PEC) qui sert de centre névralgique pour les différentes branches locales et les partages d’informations entre provinces. Ce sont les branches qui élisent les représentants. Ces bureaux permettent notamment de coordonner la mobilisation et d’agir au niveau des gouvernements des provinces. Les provinces n’ayant pas de bureau TAC sont relayées par MSF. Enfin, il existe un comité exécutif national National Executive Committee (NEC), composé des élus des provinces ainsi que d’un secrétariat directement élu par des délégués du TAC National Congress, renouvelé tous les deux ou trois ans, qui gère les activités quotidiennes de TAC. Cette gouvernance multi-niveaux permet non seulement de mettre en place un réseau de circulation de l’information très efficace mais aussi d’être au plus proche des différents niveaux du gouvernement en Afrique du Sud. Le financement Treatment Action Campaign repose sur des donations, à l’exclusion de ceux de USAID, du gouvernement sud-africain ainsi que des compagnies pharmaceutiques afin d’éviter tout conflit d’intérêt. Après une période d’insolvabilité financière qui a faille conduire TAC à la faillite (2013-2014), le budget de 2015 s’élève à 35 millions de Rands soit environ 3,5 millions de dollars et de semblables volumes sont prévisibles pour les cinq années à venir selon TAC.

TAC est une association exceptionnellement innovante. Elle est la première à transférer la pratique de la « treatment literacy » dans un pays du Sud dans une perspective down-top des politiques de santé. Celle-ci vise à « rendre la dignité à ceux qui l’ont perdue » [18]
en fournissant aux patients la capacité de se défendre eux-mêmes en faisant valoir leurs droits constitutionnels. Cette perspective contestataire va de pair avec un rôle prépondérant de TAC dans la formulation des politiques publiques de lutte contre le VIH/SIDA.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182775, notice TREATMENT ACTION CAMPAIGN par Charlotte Pelletan , version mise en ligne le 24 juillet 2016, dernière modification le 24 juillet 2016.

Par Charlotte Pelletan

Bibliographie :
Bourdier Frédéric, Broqua Christophe, Eboko Fred, Raynaut Claude, Les Suds face au sida : quand la société civile se mobilise, Marseille, IRD Editions, « Collection Objectifs Suds », 2011
Ahmad H. “The treatment action campaign and the three dimensions of lawyering : Reflections from the rainbow nation”. Sahara J. : Journal of Social Aspects of HIV/AIDS,10(1), Mars 2013 ;17-24.
Eboko Fred, « Introduction à la question du Sida en Afrique : politique publique et
dynamiques sociales », Politiques publiques du sida en Afrique, Bordeaux, Travaux et
documents n° 61-62, CEAN, 1999
Fassin Didier, Quand les corps se souviennent : expériences et politiques du sida en Afrique
du Sud, Paris, Editions La Découverte, 2006
Heywood M. “South Africa’s Treatment Action Campaign : Combining Law and Social Mobilization to Realize the Right to Health”. Journal of Human Rights Practice, 1(1), 2009, 14-36
Jara M. Open letter to the pharmaceutical manufacturers. Treatment Action Campaign. 1999.
Robins Steven, From revolution to rights in South Africa : social movements, NGOs &
popular politics after apartheid, Woodbridge/ Pietermaritzburg, James Currey/University of Kwazulu-Natal Press, 2008
Entretien avec Stephen Ngcobo, provincial coordinator at TAC (Gauteng province), septembre 2015, Johannesburg
Entretien de Zachie Achmat, The American Foundation for AIDS Research (amfAR), Juillet 2004, http://www.amfar.org/articles/around-the-world/treatasia/older/an-interview-with-zackie-achmat%E2%80%94aids-activism-in-south-africa--lessons-for-asia-/ dernier accès le 28/06/2016

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