Par Jean-Guillaume Lanuque
Né le 6 mars 1934 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), mort le 6 avril 2004 à Paris (Île-de-France) ; philosophe, chercheur-enseignant de l’Université Paris VIII Vincennes ; marxiste révolutionnaire, militant trotskyste, membre du Parti communiste internationaliste majoritaire, du Groupe bolchevik-léniniste, de la Nouvelle Gauche, de l’Union de la Gauche socialiste, du Parti socialiste unifié, et enfin de la LCR.
Né dans une famille catholique de la moyenne bourgeoisie, Jean-Marie Vincent y passa toute sa jeunesse. Son père, Gaston Vincent, était un industriel, tandis que sa mère, Marguerite Dossmann, n’exerçait pas de profession.
Au début des années 1950, il monta à Paris pour suivre des études post-baccalauréat. Membre de la Jeunesse étudiante chrétienne, il adhéra au Parti communiste internationaliste (PCI) majoritaire, fin 1952 – début 1953, recruté par Jean Baumgarten, responsable du travail étudiant du PCI, au sein de la cellule de Sciences Po Paris. Dans la lutte de tendance qui se fait jour à l’intérieur du PCI, Jean-Marie Vincent se joint à Marcel Bleibtreu et Michel Lequenne. L’exclusion de ces derniers en mars 1955 le conduit dans le Groupe bolchevik-léniniste, fondé par les exclus. Avec la majorité de ces derniers, il adhèra en janvier 1956 à la Nouvelle Gauche (NG), devenant un des responsables du mouvement étudiant parisien, la NG fusionnant avec le Mouvement de libération du peuple en 1957 pour former l’Union de la gauche socialiste ; Jean-Marie Vincent contribua alors à la revue Tribune marxiste, de 1957 à 1960, à laquelle participèrent Edgar Morin, Daniel Guérin ou Yvan Craipeau (c’est dans ce contexte qu’il utilisa son pseudonyme de Vincent Valette). Il se maria le 24 septembre 1957 avec Dorothée Degreif, à Nancy.
Il adhéra au Parti socialiste unifié (PSU) à sa fondation, en mars 1960. Il y fut très actif, écrivant dans Tribune socialiste jusqu’à en être un temps le directeur, et s’investissant d’abord dans la tendance socialiste révolutionnaire (SR), qu’il abandonna au mitan de 1961 au profit du courant « unitaire » de Jean Poperen et Claude Bourdet. Par la suite, il demeura constamment dans la gauche de l’organisation, participant au Centre de liaison et de regroupement socialiste qui visait à relier membres du PSU et anciens, partis vers d’autres organisations. En 1965, lors du congrès de Gennevilliers, il défendit la candidature d’un membre du PSU pour l’élection présidentielle, proposition qui ne fut finalement pas adoptée. Jean-Marie Vincent fut même membre du bureau national, dans la tendance de Michel Rocard, de juin 1967 (congrès de Paris), où il fit partie des opposants au rattachement à la FGDS, à juin 1971 (congrès de Lille). A l’issue de ce dernier congrès, il fait partie de la nouvelle tendance marxiste révolutionnaire. En janvier 1972, avec d’autres militants de cette tendance comme Denis Berger et Jacques Kergoat, opposés au rapprochement avec le nouveau Parti socialiste de François Mitterrand, il rallia la Ligue communiste, devenue Ligue communiste révolutionnaire (LCR) l’année suivante. Déjà critique sur certains aspects du trotskysme, il voyait dans la Ligue un point d’ancrage pouvant permettre le regroupement de forces plus larges. Il milita dans la cellule de l’Université de Vincennes, et fut également membre du comité de rédaction de Marx ou crève, devenue Critique communiste, entre 1975 et 1979. Cette année-là, lors de l’invasion soviétique en Afghanistan, il fit partie de ceux, avec Michel Lequenne ou Denis Berger, qui condamnent cette action, contre la position de la direction, recevant un blâme de cette dernière. Il demeura dans la LCR jusqu’en 1981. Par la suite, il resta proche de l’organisation trotskyste, livrant régulièrement des articles pour Critique communiste, et proposant un retour critique sur le trotskysme en particulier. Il était favorable à une recomposition à gauche, participant par exemple à l’Observatoire des mouvements de la société ou aux états généraux du communisme au début des années 2000.
Docteur en sciences politiques, il soutint une thèse de 3e cycle à l’IEP de Paris en 1961, sous la direction d’Alfred Grosser, consacrée à la formation d’une nouvelle gauche en RFA (Jean-Marie Vincent était un germaniste aguerri). Il obtint son doctorat d’État en 1972, sous la direction de François Chatelet, sous le titre Problèmes méthodologiques des sciences sociales contemporaines : Max Weber, l’École de Francfort, le marxisme italien. À la création de l’Université de Paris VIII Vincennes, à la rentrée 1968, il fonda le département de sciences politiques, qu’il dirigea jusqu’à sa retraite, en 2002 ; il fut également le directeur de nombreux doctorants, parmi lesquels son camarade Denis Berger (1988), Henri Maler (1992) Gilbert Achcar (1993) ou Daniel Lindenberg (1994). Ses recherches et ses travaux visaient à réactualiser le marxisme comme théorie critique efficiente. Un de ses thèmes les plus marquants consistait en l’analyse du fétichisme de la marchandise, tel que Marx l’avait posé dans Le Capital, et en la mise en avant de la théorie marxienne de la valeur : autant d’éléments qui permettaient à ses yeux de surmonter l’économisme du marxisme au profit d’une vision centrée sur les rapports sociaux qui en sont issus. Celui de ses livres le plus salué par la critique, dans cette optique, est sans doute Critique du travail. Le Faire et l’agir, dans lequel il défend l’émancipation de l’individu passant par sa libération du travail, soumis au capital ou non. Il a fondé, dirigé et participé à plusieurs revues de recherche, Critiques de l’économie politique dans les années 1970, avec Pierre Salama et Jacques Valier, Futur antérieur (1990-1998), fondée avec Toni Negri et Denis Berger, ou Variations. Revue internationale de théorie critique, créée en 2001 et toujours existante en 2016. En plus de son engagement militant et de son activité de chercheur, il était féru de musique classique. Jean-Marie Vincent décéda le 6 avril 2004, à la suite de complications post-opératoires.
Par Jean-Guillaume Lanuque
ŒUVRE : Fétichisme et société, Paris, Anthropos, 1973. – La Théorie critique de l’école de Francfort, Paris, Galilée, 1976 (édité en espagnol en 2002). – La Ve République à bout de souffle, Paris, Galilée, 1977 (avec Denis Berger et Henri Weber). — Les Mensonges de l’Etat, Paris, Le Sycomore, 1979. — Critique du travail. Le Faire et l’agir, Paris, PUF, 1987. – Max Weber ou la démocratie inachevée, Paris, Félin, 1998 (rééditée en 2009). — Un Autre Marx. Après les marxismes, Lausanne, Page Deux, 2001. – Vers un nouvel anticapitalisme. Pour une politique de l’émancipation, Paris, Félin, 2003 (avec Michel Vakaloulis et Pierre Zarka). – Direction de Les Marxistes et la politique, Paris, PUF, 1975. – L’Etat contemporain et le marxisme, Paris, Maspéro, 1975 (avec Joachim Hirsch), Critique des pratiques politiques, Paris, Galilée, 1978 (avec Pierre Birnbaum). – Robert Michels, Critique du socialisme : contribution aux débats du XXe siècle, Paris, Kimé, 1992 (avec Pierre Cours-Salies). — Marx après les marxismes, 2 tomes, Paris, L’Harmattan, 1997 (avec Michel Vakaloulis). – Science sociales et engagement, Paris, Syllepse, 2003 (avec Alexander Neumann). – La Postérité de l’Ecole de Francfort, Paris, Syllepse, 2004 (avec Alain Blanc).
SOURCES : Roland Biard, Dictionnaire de l’extrême gauche de 1945 à nos jours, Paris, Belfond, 1978. – Antoine Artous, Didier Epsztejn, Patrick Silberstein (sdd), La France des années 1968, Paris, Syllepse, 2008. – Nécrologie de Denis Berger dans Le Monde, 10 avril 2004. — Nécrologie d’Antoine Artous, Rouge, n° 2060, 15 avril 2004 – « Hommage », in Critique communiste n° 173, été 2004 (ensemble de plusieurs articles). — « Bio-bibliographical sketch » sur le site Lubitz’ TrotskyanaNet (http://www.trotskyana.net/Trotskyists/Bio-Bibliographies/bio-bibl_vincent.pdf). — État civil.