JASMIN Jacques [BOÉ Jacques, dit]

Par Frédéric-Gaël Theuriau

Né le 16 ventôse an VI (6 mars 1798) à Agen, mort le 4 octobre 1864 ; perruquier ; chansonnier, poète.

Jacques Jasmin en 1840
Jacques Jasmin en 1840
© Portrait de Jacques Jasmin (litho-graphie de Georges Frey d’après le dessin de Sébastien Cornu, ca 1840, musée national du château de Compiègne)

D’un point de vue géographique et linguistique, Jacques Jasmin est né en zone languedocienne. S’il se prétendait gascon, c’est qu’il aurait été influencé par une fluctuation de la zone gasconne qui engloba, en effet, sa ville natale entre le IXe et le XIe siècle. C’est pourquoi le dialecte agenois comporte des marques linguistiques issues des deux langues. Il utilisait plus précisément le dialecte agenais.
Ce fils de tailleur accompagnait souvent son père Jean, un bossu, qui chantait en public des chansons du pays et aurait appris de lui les règles essentielles de la versification. Il fut mis en apprentissage chez un coiffeur vers l’âge de seize ans après une modeste instruction au Petit Séminaire de la ville. Il logeait dans une mansarde au dessus du salon où il lisait tout ce qu’il pouvait.
Il se maria, le 1er avril 1818, avec Marie Barrère. Sa dot lui permit de se mettre à son compte rue Saint-Antoine et d’apposer un écriteau, « Jasmin, coiffeur pour dames », qui lui donna une réputation nationale et qui inspira peut-être Paul Armont et Marcel Gerbidon pour leur pièce Coiffeur pour dames, en 1930, qui fut reprise, en 1952, par le réalisateur Jean Boyer pour en faire un film portant le même titre avec comme acteur principal Fernandel dans le rôle du coiffeur habile et disert.
Jaquou Jansemin, comme on le surnommait parfois, ne tarda pas ensuite à faire parler de lui tant par ses doigts agiles dans les chevelures féminines que par les histoires qu’il aimait conter aux clientes. Il les mit ensuite par écrit et en vers, notamment à partir de 1822 avec « La Fidelitat agenesa » composée à l’occasion du carnaval. Il poursuivit, en 1825, avec « Lo Charibari ». Ses romances versifiées en gascon connurent ainsi un grand succès à travers sa province au point qu’il obtint un prix de l’Académie des sciences et des arts d’Agen en 1830 pour une ode intitulée « Lou Tres de May ». Il devint ainsi le premier auteur de langue d’Oc à recevoir cette distinction honorifique toujours attribuée auparavant à des œuvres de langue française.
Le perruquier ne se produisait guère que dans sa ville et son échoppe jusqu’à un jour de 1832 où il tomba sur le crâne à rafraichir de Charles Nodier qui passait dans le quartier. Intrigué par cet homme chantant et versifiant pour ses clients, il se fit connaître et aurait suggéré au coiffeur de rassembler ses écrits en recueil, ce qu’il fit sous le titre de Las Papillôtos. Son épouse qui ne prenait pas très au sérieux sa passion se mit à le soutenir. Le tome I parut en 1835 en gascon, les trois suivants en français et gascon respectivement en 1842, 1851 et 1863. Sa boutique était connue de la France entière et l’on se pressait pour se faire coiffer par le perruquier. Paul de Musset suivit le pas de Nodier, puis vint Flora Tristan.
Sa popularité était telle qu’il délaissait souvent son salon pour devenir lecteur public de ses propres œuvres. Il se produisait un peu partout comme à Bordeaux où « L’Abuglo de Castèl-Cuillè » conforta sa renommée grandissante au niveau national et lui permit de devenir membre de l’Académie de cette ville. Il écuma plus particulièrement le sud-ouest de la France, comme Toulouse, puis Paris où Nodier lui ouvrit les portes de son célèbre salon de l’Arsenal. Jasmin se fit connaître de Louis Philippe qui le reçut à la cour et rencontra les personnalités du moment : Sainte-Beuve, Ampère, Chateaubriand.

Il continua de se produire dans des milliers de séances payantes mais fort abordables pour les bourses les plus maigres où l’on se bousculait pour écouter déclamer et voir le phénomène. Il fut raillé par Balzac dans sa Monographie de la Presse parisienne (1842) où il assimilait le poète-perruquier au « blagueur » dont tout le monde applaudissait les vers récités dans une langue que personne ne comprenait.
Particulièrement sensible à la pauvreté de certaines personnes qu’il rencontrait, Jasmin décida de reverser une bonne partie de ses gains à des fins de bienfaisance pour aider les plus démunis et les églises. En venant à Vergt, le 27 juillet 1843, il permit de récolter des fonds pour reconstruire le clocher de l’église Saint-Jean qui n’en avait plus depuis quelques années. Jasmin, qui avait lu, après l’office, « Lou Preste sans gleyzo » et « Lo gleyzo descopela-do », obtint beaucoup d’argent qu’il plaça dans le chapeau du curé. La construction s’acheva en 1855 avec la bénédiction des deux cloches. Une rue de cette ville porte désormais son nom. En tout, ce serait plus d’un million et demi de francs que le « troubadour de la charité » aurait reversé pour les nécessiteux, ce qui prouve son engagement contre la paupérisation et son altruisme puisqu’il n’a quasiment jamais conservé un sou pour lui.
Ses poésies redonnèrent des lettres de noblesse à un dialecte de langue d’Oc. On parlait de plus en plus de lui à Paris et fut encouragé par Lamartine et Franz Liszt qui se fit coiffer dans son salon d’Agen en 1844 et avec qui il s’entretint longuement.
Les sujets qu’il traitait portaient parfois sur le folklore gascon qu’il reprenait sans transformation idéologique particulière. Son œuvre devint classique et était présente dans toutes les bibliothèques. Elle était disponible en français, en anglais et en allemand. Le coiffeur reçut la médaille de chevalier de la légion d’honneur le 26 avril 1846, une autre de chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand puis le prix Monthyon de l’Académie française en août 1852. Il fut admis Maître à la Société des jeux floraux de Toulouse en 1854.
Jasmin, préoccupé par le peu de fortune des gens du peuple dont il était issu, eut l’idée de rassembler ses trois premiers volumes de poésies en un seul de format plus petit et pour un prix modique. Il trouva en l’éditeur parisien Firmin Didot une oreille attentive. Le poète travailla à ce philanthropique projet en peaufinant la traduction française car il souhaitait l’édition bilingue et populaire. Elle vit le jour en 1860 au soir de sa vie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184014, notice JASMIN Jacques [BOÉ Jacques, dit] par Frédéric-Gaël Theuriau, version mise en ligne le 24 août 2016, dernière modification le 2 mars 2020.

Par Frédéric-Gaël Theuriau

Jacques Jasmin en 1840
Jacques Jasmin en 1840
© Portrait de Jacques Jasmin (litho-graphie de Georges Frey d’après le dessin de Sébastien Cornu, ca 1840, musée national du château de Compiègne)
© Portrait de Jacques Jasmin (lithographie anonyme, in Las Papillôtos, Paris, Firmin Didot, 1860)

ŒUVRE : Las Papillôtos, t. I, Agen, Prospèr Noubel, 1835. — Ibid., t. II, Agen, Prospèr Noubel, 1842. . — Ibid., t. III, Agen, Prospèr Noubel, 1851. — Ibid., Las Papillôtos, Paris, Firmin Didot frères, 1860. — Ibid., t. IV, Agen, Prospèr Noubel, 1863.

SOURCES : Honoré Bondilh et Amédée Lacroix, Les Ouvriers-poètes, Paris, Au Comptoir des Imprimeurs ; Marseille, Deretz Jeune, 1845. — Jacques Jasmin, Las Papillôtos, Paris, Firmin Didot frères, 1860. — Emmanuel Le Roy, La Sorcière de Jasmin, Paris, Seuil, 1983. — Jean Prugnot, Des voix ouvrières, Plein chant, 2016.Arch. Dép. du Lot-et-Garonne : État civil.

Version imprimable