LUO Ruiqing 羅瑞卿

Par François Godement et Yves Chevrier

Né dans le Sichuan en 1906 ; mort le 3 août 1978. Vétéran des 1 Jingganshan et de la Longue Marche, fréquemment subordonné f direct de Lin Biao ; ministre de la Sécurité publique de 1949 à 1959 ; i chef d’état-major de l’A.P.L. lors du remplacement de Peng Dehuai par Lin Biao en 1959. Son élimination en janvier 1966 coïncide avec les débuts de la Révolution culturelle. Réhabilité en août 1975, il a : occupé des fonctions de prestige à la C.P.C.P.C.

Issu d’une famille de grands propriétaires du Sichuan, Luo Ruiqing entra en 1926 à l’Académie militaire de Huangpu (Whampoa : voir Blücher) puis, avec les autres cadets, il rejoignit les troupes de l’Expédition | du Nord (Beifa), adhérant alors au P.C.C. Il participa ainsi à l’insurrection du 1er août 1927 à Nanchang (voir He Long (賀龍), Ye Ting (葉挺)) et rejoignit Mao Tse-tung (毛澤東) et Zhu De (朱德) dans les Jinggangshan en 1928. Il est | commissaire politique de 1930 à 1932 dans la 4e Armée, sous Lin Biao (林彪), dont il suivra de près la carrière. Blessé, il séjourne ensuite deux ans en U.R.S.S., où il fut peut-être initié aux techniques de la guerre secrète et de la sécurité. A son retour dans le Jiangxi, il entre au C.E.C. du gouvernement soviétique, à Ruijin, et dirige le Bureau politique de la Sécurité dans le 1er corps d’Armées, toujours sous Lin Biao. Après avoir pris part à la Longue Marche, il seconde Lin Biao à la direction de Kangda, qui remplace à Yan’an (à partir de 1937) l’Académie militaire de l’Armée rouge fondée à Ruijin, dans le Jiangxi.
L’Université militaire et politique anti-japonaise (Kangri junzheng daxue, ou Kangda), dont l’institut central était installé à Yan’an (il y en avait douze autres, disséminés dans les bases communistes), fut le principal centre de formation des cadres de l’Armée rouge pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945). C’est dire que les quelque cent mille diplômés de Kangda ont formé l’épine dorsale de l’A.P.L. de la guerre civile à nos jours. Lin Biao, directeur nominal de l’Université, étant le plus souvent absent, c’est Luo Ruiqing, nommé sous-directeur et commissaire politique en 1938, qui en prit la direction effective jusqu’à la fin des hostilités. Les plus hauts dirigeants du P.C.C. venaient y enseigner plus ou moins régulièrement. Mao Tse-tung, notamment, y prononça des conférences sur « la contradiction » et sur « la pratique » (juillet-août 1937). Fortement tributaire de l’expérience acquise soit à Huangpu, soit à l’institut des cadres du mouvement paysan de Canton, soit dans le Jiangxi, Kangda popularisa des méthodes d’enseignement et d’endoctrinement qui influencèrent profondément le système d’éducation en Chine populaire (par exemple, la tenue de « réunions de discussion » (taolunhui) après les cours, renforcées par des groupes plus irréguliers de « discussion informelle » (zuotanhui, littéralement, « discuter assis », le « sit-and-talk » des Anglo-saxons) ou de « discussion sur l’actualité » shishi taolunhui)).
Luo Ruiqing partage son temps entre Kangda et le quartier général avancé de la 8e Armée de route. En 1945, élu membre suppléant du C.C., ¡1 devient commissaire politique de la région du Shanxi-Chahar-Hebei (Jinchaji) sous Nie Rongzhen (聶榮臻) puis sous Ye Jianying (葉劍英), participant aussi avec ce dernier aux négociations de 1946-1947, qui préludent à la rupture avec le G.M.D. (voir Zhou Enlai (周恩來)). A la victoire, Luo reçoit une série de postes nationaux ou dépendant de la région de Pékin. Avant tout ministre de la Sécurité publique, c’est lui qui (sous la supervision de Peng Zhen (彭真) au B.P.) assure le maintien de l’ordre et la répression des éléments contre-révolutionnaires. Il sera notamment l’un des principaux chefs d’orchestre de la campagne des Trois antis (sanfan), puis de celle des Cinq antis (wufan). Mais il est aussi membre du Conseil militaire révolutionnaire, de la municipalité de Pékin et de l’Association d’amitié sino-soviétique. En 1950 il devient aussi commandant des Forces publiques de sécurité de l’A.P.L.
En 1954 beaucoup de ces organismes disparaissent, mais Luo Ruiqing retrouve sa place dans les entités correspondantes. Il devient membre titulaire du C.C. en 1956, et connaît une nouvelle ascension en 1959 lorsque Peng Dehuai (彭德懷), ministre de la Défense, est éliminé. En septembre, Luo Ruiqing devient vice-ministre sous Lin Biao, et chef de l’état- major de l’A.P.L. à la place de Huang Kecheng (黃克誠), lui aussi destitué. Il est aussi vice-premier ministre, et à partir de 1961, secrétaire général de l’influent et secret Comité des Affaires militaires.
Cette ascension se marque désormais par de nouvelles occupations : ainsi Luo Ruiqing s’occupe aussi des Affaires étrangères, visitant notamment la Corée. En janvier 1965, dernière phase de son ascension : il devient vice-président du Conseil national de la Défense.
Choisi par Mao et Lin Biao en 1959, il perd la confiance de ses chefs — et tous ses postes — en novembre 1965, alors que la Révolution culturelle entre à peine dans sa phase initiale. Que s’est-il passé ? Deux séries de différends apparaissent, la deuxième catégorie n’étant évoquée qu’au plus fort de la Révolution culturelle. Tout d’abord, il a refusé la primauté du politique dans l’armée, organisant notamment des tournois de tir — techniques... — en 1964. Il a mis l’accent sur la nécessité de poursuivre l’entraînement militaire en même temps que la lutte idéologique. En réalité, 1965 est une année de crise et d’incertitude pour l’A.P.L., face à l’agression croissante des États-Unis au Vietnam. Dans ce contexte, Luo Ruiqing redoute une attaque sélective du territoire chinois, contre laquelle la guerre populaire à elle seule serait inefficace. Aussi soutient-il sans doute le développement des forces régulières, le renforcement des frontières, et l’armement anti-aérien de la Chine du Sud. Ces tendances peuvent être discernées en surimpression dans certains de ses articles. Elles rattachent directement Luo au « professionnalisme » honni de l’équipe évincée en 1959.
L’acte d’accusation sera aggravé par la Révolution culturelle. Ainsi selon le RMRB du 28 août 1967 : « Luo Ruiqing insistait considérablement sur les “préparatifs militaires” et il semblait qu’il fût inquiet pour la sécurité du pays. Ce n’était pas vrai. Ce qu’il nommait “préparatifs militaires” était en fait des préparatifs destinés à usurper la direction de l’armée et s’opposer au Parti. » Selon une autre source (voir SCMM infra, 20 janvier 1969), Luo aurait essayé de se faire déléguer toutes ses responsabilités au jour le jour par Lin Biao malade...
Derrière ce portrait de factieux, on peut discerner deux motifs pour la chute de Luo Ruiqing, en sus des différends stratégiques qui l’opposent aux maoïstes. Tout d’abord, sa conception professionnaliste enlevait à Mao la possibilité de faire de l’A.P.L. le fer de lance de la reconquête du Parti par la Révolution culturelle. Luo put ainsi être soupçonné de protéger des amis politiques que devait sans doute inquiéter le nouvel « activisme » de Mao. Enfin, le fait que Luo Ruiqing, outre ses nombreux liens historiques dans l’armée, avait établi lui-même la Sécurité publique et contrôlait l’armée, faisait de lui un personnage inquiétant que Mao, rendu prudent par l’expérience, a pu préférer éliminer d’entrée de jeu...
Luo Ruiqing fut remplacé à l’état-major par Yang Chengwu, lui-même éliminé en 1968. Soumis à une campagne de masse à partir du 18 mars 1967, il tenta de se suicider en se jetant par une fenêtre. A nouveau soumis à la critique publique en novembre, il était alors partiellement invalide. Reparu en août 1975, il a été réhabilité après la chute des « Quatre » (voir Jiang Qing (江青)), réintégré au C.C. du P.C.C. en 1977 et nommé au comité permanent et au secrétariat général de la Commission militaire de la C.P.C.P.C. Il s’est prononcé sur les problèmes militaires, en reprenant les thèmes qui avaient causé sa chute. Deng Xiaoping (鄧小平) a prononcé son éloge funèbre le 12 août 1978.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184230, notice LUO Ruiqing 羅瑞卿 par François Godement et Yves Chevrier, version mise en ligne le 24 novembre 2016, dernière modification le 23 novembre 2016.

Par François Godement et Yves Chevrier

SOURCES : Outre BH et KC, voir : Guillermaz (1972). — Harding et Gurtov (1971). — Huang Chen-hsia (1968). — Issues and Studies, Vol. XI, n° 9, septembre 1975. — Sélections from China Mainland Magazines (SCMM) n° 6041, 20 janvier 1969. — Yahuda in CQ, n° 49, janvier-mars 1972. — Voir également Chang Kuo-t’ao (Zhang Guotao), II (1972) sur l’action de Luo Ruiqing à Kangda et Price (1976) sur le fonctionnement et l’influence de l’Université.

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