SHEN Xuanlu 沈玄廬 (alias Shen Dingyi)

Par Lucien Bianco

Né en 1883 près de Hangzhou, capitale du Zhejiang, assassiné le 28 août 1928 à Yaqian (Zhejiang) par les adversaires de la réforme agraire, peut-être à l’instigation du Guomindang, dont il est un membre indiscipliné ; participe en 1920 à Shanghai à la fondation du premier groupe communiste chinois, fonde en 1921 les premières Unions paysannes, puis devient assez rapidement anticommuniste et s’emploie à restreindre l’influence du P.C.C. au sein du G.M.D.

L’évolution de Shen Xuanlu est moins surprenante qu’il ne paraît. Propriétaire foncier du xian de Xiaoshan (Zhejiang), lettré de formation traditionnelle qui avait été juren (diplômé reçu aux examens provinciaux) sous la dynastie Qing, Shen était devenu président de l’Assemblée provinciale du Zhejiang. Sous l’influence du mouvement du 4 mai, ce grand notable provincial qui avait de lui-même réduit la rente à percevoir de ses fermiers, se convertit pour un temps au radicalisme et, par nationalisme, en arrive bientôt à propager des idées marxistes. Éditeur avec Dai Jitao de Xingqi pinglun (La Semaine critique) fondé en juin 1919 à Shanghai par le Guomindang, Shen est alors l’un des dirigeants du G.M.D. qui ont le plus de prestige et d’influence parmi les étudiants. L’année suivante, il reproche à Chen Duxiu (陳獨秀) d’être trop tendre à l’égard du christianisme (« dans notre société future, écrit-il, nous rejetterons toutes les religions »), puis se retrouve bientôt aux côtés du même Chen Duxiu pour fonder avec lui, à Shanghai en mai 1920, le premier xiaozu (« petit groupe » ou « cellule ») communiste qui ait été établi en Chine (Shen n’est pas le seul de ces pionniers à avoir évolué plus tard vers l’anticommunisme : voir Chen Wangdao (陳望道). C’est aussi le cas d’un Dai Jitao). A l’automne de la même année, il entreprend de fonder un petit noyau communiste dans la région de Hangzhou, capitale de sa province natale, et réussit à mettre sur pied en octobre avec l’aide de Shi Cuntong (施存統) et Yu Xiusong (俞秀松), un groupe de Jeunesses socialistes qui aurait, selon Zhang Guotao (張囯燾), compté plus de vingt membres. En 1921 il fonde dans son village natal de Yaqian la première Association ou Union paysanne, antérieure à celles que le pionnier Peng Pai organise à Haifeng en 1922. Essentiellement réformiste, elle réclame une baisse de 30% du taux des fermages, ce qui suffit à lui attirer une centaine de milliers de membres… et une répression sanglante. Shen se rend ensuite au Guangdong, où il collabore au premier périodique féminin d’orientation communiste créé en Chine : l’hebdomadaire Laodong yu funü (Le travail et la femme), lancé en février 1921. En août 1923, Shen quitte Canton pour accompagner, sur l’ordre de Sun Yat-sen (孫逸仙), Chiang Kai-shek à Moscou.
En est-il revenu anticommuniste, comme Chiang lui-même ? Conservant la double appartenance (membre du P.C.C. et du G.M.D.), il préside encore en mai 1924 un plénum du C.C. du P.C.C. qui engage Chen Duxiu à manifester plus d’indépendance à l’égard du G.M.D., vient habiter quelque temps à l’automne 1924 une maison de Shanghai où résidaient déjà plusieurs dirigeants communistes dont Cai Hesen (蔡和森) et Peng Shuzhi (彭述之), ainsi que la future romancière Ding Ling (丁玲), puis participe en octobre à une importante réunion du comité régional du P.C.C. pour le Jiangsu, le Zhejiang et l’Anhui, avant de regagner sa province natale. L’été suivant, Shen Xuanlu se retrouve à la droite du Guomindang : il réunit le 5 juillet 1925 le comité provincial du Zhejiang du G.M.D. et lui fait adopter un manifeste inspiré des brochures anticommunistes que vient de publier Dai Jaito. En novembre, Shen est l’un des quinze dirigeants du G.M.D. qui patronnent la fameuse Conférence des « Collines de l’Ouest », laquelle dénonce vigoureusement le P.C.C. et demande que tous les communistes soient exclus du G.M.D. Au second congrès du G.M.D., en janvier 1926, Shen Xuanlu reçoit, comme la plupart des membres du groupe des « Collines de l’Ouest », un avertissement, assorti d’une menace d’exclusion du G.M.D., en cas de nouvelle violation de la discipline du parti.
Cet anticommuniste convaincu est un réformateur résolu. C’est en grande partie à lui que le Zhejiang doit d’être devenu le laboratoire d’une réforme agraire qui ne survivra pas à sa mort. Dès 1927, Shen rédige avec quelques autres dirigeants provinciaux du G.M.D. un projet de loi réduisant de 25 % le montant de la rente foncière. Promulguée en novembre 1927, cette « loi » provinciale suscite très vite l’hostilité des propriétaires fonciers du Zhejiang. Shen aggrave son cas en encourageant des expériences d’autonomie locale qui visent à faire participer les paysans aux décisions politiques qui les concernent. Son assassinat a valeur de symbole et d’avertissement : après la mort du principal porte-parole de la réforme sociale et politique dans le Zhejiang, le gouvernement provincial prend acte de la résistance des privilégiés et renonce à appliquer la réduction de la rente. En dehors du Zhejiang où il a échoué, le G.M.D. n’a rien fait pour s’attaquer au problème agraire. Cette carence fait le jeu du communisme, que Shen, adepte précoce, puis adversaire cohérent, combattit sans tomber, comme les dirigeants nationaux, dans le piège du conservatisme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184410, notice SHEN Xuanlu 沈玄廬 (alias Shen Dingyi) par Lucien Bianco, version mise en ligne le 11 janvier 2017, dernière modification le 22 août 2017.

Par Lucien Bianco

SOURCES : Outre KC, II, 982-983 (biographie de Yang Mingzhai) et l’interview de Peng Shuzhi, voir : Cadart/Cheng (1983). — Chang Kuo-t’ao (Zhang Guotao), I (1971). — Chow Tse-tung (1960). — Gao Yuetian in Zhejiang yuekan IV-4 (mai 1972), p. 15-20. — Miner in Chan (1980), p. 69-89. — Wilbur (1956 et 1983). — Alitto (1979) — Schoppa (1995).

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