SU Zhaozheng 蔌兆症

Par Alain Roux

Né en 1885 dans le xian de Xiangshan près de Canton ; mort en février 1929. Marin chinois devenu à partir de 1925 l’un des principaux responsables des syndicats communistes ; ministre du Travail dans le gouvernement de coalition G.M.D. de gauche-P.C.C. à Wuhan en 1927 ; membre du B.P. à partir de 1927.

Su Zhaozheng
Su Zhaozheng

Su Zhaozheng est né dans une famille de paysans pauvres du xian de Xiangshan, à côté de Canton. Très jeune, il prend la mer. Il sera marin au long cours durant vingt ans et connaîtra, comme tous les marins chinois aux dires de son biographe Deng Zhongxia (鄧中夏), la triple exploitation des bas salaires, des extorsions (au moins dix pour cent du salaire) des entrepreneurs de main-d’œuvre à forfait (les ximasha par une corruption de l’anglais shipmaster) et de la discrimination raciale. Très tôt aussi il participe à des activités militantes. En 1908, il adhère à la Ligue jurée de Sun Yat-sen (孫逸仙) et participe aux activités de la « Société pour la justice » dont le département pour les communications, dirigé par Chen Bingsheng (陳炳生), établit les liens indispensables entre les Chinois d’outre-mer et Sun. Cette organisation, implantée chez les marins des grandes lignes internationales, devient dès 1914 une mutuelle des marins de Canton-Hong Kong.
De cette société naît (à l’automne 1920) le Syndicat des marins chinois, dont le siège est à Hong Kong. Su Zhaozheng devient alors un syndicaliste. Il joue un rôle important lors de la grande grève des marins de Hong Kong-Canton, organisée en janvier 1922 par le syndicat (voir Lin Weimin (林偉民)) : responsable des affaires générales du syndicat, il est le bras droit de Lin Weimin, dont l’influence supplante celle de Chen Bingsheng, qui est plus modéré. A ce titre, Su accueille les délégués du premier Congrès du travail, qui s’ouvre à Canton en mai 1922.
A cette date, Su Zhaozheng (qui se réclame du marxisme dans une interview accordée à Hong Kong) n’a pas pu rencontrer de militants communistes à Hong Kong-Canton. Ses succès sont encore précaires ; en 1923-1925, les éléments modérés (autour de Chen Bingsheng) reprennent la direction du Syndicat des marins (voir Lin Weimin (林偉民)). Su Zhaozheng semble persuadé que la victoire du mouvement ouvrier, dont il mesure alors les faiblesses, réside dans le développement de la politique de collaboration entre le Guomindang et le P.C.C. C’est ainsi qu’il défend le Front uni (voir Maring) lors de la conférence des travailleurs du transport du Pacifique réunie en juillet 1924 à Canton par l’internationale syndicale rouge, contre les représentants du syndicat des cheminots, fort critiques envers le Guomindang (voir Zhang Guotao (張囯燾)et Deng Pei (鄧培)). De même, lorsque Sun Yat-sen lance un appel « pour le soutien de la Convention nationale » (soutenue par le P.C.C. et destinée à unifier les forces du pays afin de lutter contre les traités inégaux et le militarisme), Su Zhaozheng représente les syndicats de Hong Kong et de Canton à Pékin. Il y prend part à des assemblées d’ouvriers préparant la Convention nationale prévue pour mars 1925, mais rendue caduque par le décès de Sun. Déçu par le Guomindang, qui soutient ses adversaires (tel Chen Bingsheng), Su Zhaozheng se persuade, notamment à Shanghai, que le P.C.C. est bien « le parti de la classe ouvrière » et y adhère un an après Lin Weimin. Son adhésion entraînera celle de nombreux cadres syndicaux cantonais.
Lors du second Congrès national du travail (réuni à Canton le 1er mai 1925), Su fait figure de dirigeant national du mouvement ouvrier : c’est une stature qu’il va garder jusqu’à sa mort. Il est élu vice-président du Syndicat général panchinois constitué à cette occasion (voir Lin Weimin (林偉民)). La grève de Canton-Hong Kong qui éclate le 19 juin 1925 dans le cadre du mouvement du 30 mai 1925 (voir Liu Hua (劉華)) confirme les qualités d’organisateur de Su Zhaozheng. Il est en effet président du célèbre comité de grève que l’on a appelé le « gouvernement de Canton numéro 2 » (voir Deng Zhongxia (鄧中夏)). Il y défend la même ligne souple que Deng, cherchant à ménager l’appui de la bourgeoisie nationale chinoise. Parallèlement il renforce (avec l’appui de Deng) le syndicalisme révolutionnaire dans la région de Canton. En mars 1926, il participe avec Liu Shaoqi (劉少奇) et d’autres à la fondation de la Fédération unifiée des travailleurs des transports de Hong Kong, forte de 200 000 adhérents. Le 1er avril, il anime le congrès de fondation de la Conférence des délégués ouvriers du Guangdong, forte de 140 000 adhérents. Le IIIe Congrès national du travail (réuni à Canton en mai 1926) confirme ces progrès : le Syndicat général pan-chinois, dont Su Zhaozheng est élu président, compte 1 200 000 membres, soit près de la moitié des ouvriers chinois.
Ces rapides succès demeurent fragiles : la classe ouvrière est divisée et les congressistes reconnaissent l’existence d’un fort mouvement corporatiste (voir Ma Chaofan (馬超凡), Xie Yingbo). Les autorités nationalistes de Canton sont hostiles depuis le coup de force de Chiang Kai-shek le 20 mars 1926 (voir Borodine) : on ne cache pas la volonté de terminer à n’importe quel prix la grève-boycott animée par les syndicats communistes. Su Zhaozheng, qui n’a pu obtenir une riposte énergique au coup du 20 mars, mais s’est heurté aux tergiversations de Chen Duxiu (陳獨秀) et des représentants de l’internationale communiste, veut terminer le mouvement de grève sur un compromis honorable. Ce n’est pas le cas : le octobre, le comité de grève appelle à la reprise du travail sans avoir obtenu la moindre concession de la part des autorités britanniques. Su Zhaozheng, qui reste quelque temps à Canton, sans doute pour y éviter une retraite désordonnée du mouvement ouvrier communiste (de plus en plus attaqué par les syndicats modérés), rejoint Wuhan le 1er avril 1927 avec une délégation de l’internationale syndicale rouge. Cette délégation est formée de Jacques Doriot, Earl Browder et Tom Mann.
Dès mars, il a été nommé ministre, du Travail au sein du gouvernement de coalition G.M.D. (de gauche) — P.C.C. présidé à Wuhan par Wang Jingwei (汪精衛) et dans lequel Tan Pingshan (譚平山) est ministre de l’Agriculture. Le Front uni est alors soumis à une tension extrême (voir Borodine). Lors du Ve congrès du P.C.C. (avril-mai 1927), Su Zhaozheng aurait pris position en faveur du maintien de l’alliance avec la gauche nationaliste au prix de nouvelles concessions, contre l’avis de Cai Hesen (蔡和森), Qu Qiubai (瞿秋白) et Li Lisan (李立三)... Élu au C.C., il est choisi comme suppléant du B.P. Tandis que la contre-révolution bat son plein, congrès et réunions se multiplient, arrêtant des résolutions inapplicables. Su participe à la Conférence syndicale du Pacifique réunie à Wuhan le 20 mai en présence du président de l’internationale syndicale rouge, Lozovski. Il préside le IVe Congrès national du travail (réuni à Wuhan du 19 au 28 juin) : la plupart des 2 800 000 syndiqués du Syndicat général pan-chinois sont déjà confrontés à la terreur blanche et l’on est assez critique envers les autorités de Wuhan dont on dénonce l’inaction. Su Zhaozheng renonce à son poste de ministre et les syndicats sont invités à une attitude plus réservée envers les autorités de Wuhan.
La rupture ouverte entre le P.C.C. et le Guomindang de gauche survenue au début de juillet l’oblige à fuir la répression au Jiangxi. Il entame alors la dernière partie de son existence, marquée par la volonté de rebâtir un mouvement ouvrier révolutionnaire qui s’est effondré en quelques semaines. Il milite auprès des paysans et des syndicalistes entre Wuhan et Nanchang, participe à la réunion extraordinaire du C.C. du 7 août (voir Qu Qiubai (瞿秋白) et Lominadzé), au lendemain de laquelle, en tant que membre à part entière du B.P. il devient membre du comité permanent du C.C. (aux côtés de Qu Qiubai et Li Weihan). Il y dirige le comité ouvrier. Il enquête en novembre-décembre au Hubei où des activistes du Parti, désireux de tenter un soulèvement depuis octobre, s’opposent à Luo Yinong (羅亦農), qui les en a empêchés. Ayant pris le parti de ces derniers, il est désavoué par le C.C. le 24 décembre. Cet épisode l’empêche d’être présent à Canton lorsque l’éphémère Commune (de Canton) l’élit à sa tête le 11 décembre (c’est Zhang Tailei (張太雷) qui dirige le mouvement). En février 1928, prenant part (à Shanghai) à une réunion du Secrétariat syndical pan-pacifique, il tient des propos très durs, se réjouissant du meurtre (par des militants communistes) de syndicalistes « jaunes » à Shanghai. Cependant son analyse se fait plus réaliste lors de son intervention au IVe congrès de l’internationale syndicale rouge (à Moscou) le 18 mars 1928 : il y critique les erreurs de la terreur rouge précisément à Shanghai et propose la création dans les usines de « comités d’usine » élus par les ouvriers et vidant de tout contenu le cadre officiel des syndicats « jaunes ». Su Zhaozheng participe aussi aux VIe congrès du P.C.C. et de l’I.C. (Moscou, été 1928). Son prestige et son autorité lui valent d’être réélu aux différents comités exécutifs ainsi qu’au B.P. du C.C. Mais il est malade, souffrant de tuberculose ou d’une appendicite. Après un bref séjour en Crimée, il retourne en Chine par la Sibérie en janvier 1929. Il préside (du 17 au 21 février à Shanghai) le second plénum élargi du Syndicat général pan-chinois, devant lequel il présente un rapport sur le récent congrès de l’internationale syndicale rouge. Épuisé, il meurt le 26 février, sans doute d’une nouvelle crise d’appendicite qu’il n’a pu faire soigner dans les conditions de la clandestinité.
Le mouvement ouvrier chinois perdait ainsi un de ses rares responsables de très grande envergure.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184419, notice SU Zhaozheng 蔌兆症 par Alain Roux, version mise en ligne le 11 janvier 2017, dernière modification le 12 novembre 2019.

Par Alain Roux

Su Zhaozheng
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SOURCES : Outre BH et KC, voir : Chang Kuo-t’ao (Zhang Guotao), I (1971). — Chesneaux (1962). — Hsiao Tso-liang in CQ, no. 33, janvier-mars 1968 et Hsiao Tso-liang (1970). — Zhongguo gongren (L’Ouvrier Chinois), no. 8, mai 1929, p. 88-99, et les nécrologies par Deng Zhongxia (in Zhongguo gongchandang lieshizhuan (1951), p. 45-47 et Nym Wales (1945), p. 200-212 (article paru dans le Pan Pacific Monthly, juillet 1929).

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