TAN Tianrong 譚天榮

Par Lucien Bianco

Né vers 1935. Principal dirigeant du mouvement étudiant à Beida (l’Université de Pékin) pendant les Cent Fleurs.

On ne sait rien de la vie de Tan Tianrong avant mai 1957, presque rien de son sort depuis juin 1957. On sait seulement que dans l’intervalle cet étudiant — ou jeune professeur selon Vera Schwarcz — en physique à Beida a rédigé pratiquement un dazibao (affiche murale) par jour et qu’il a dirigé une des premières organisations étudiantes nées pendant ces semaines de relative liberté : la Société des Cent Fleurs (Baihua Xueshe). Tan baptisait lui-même ses affiches des « plantes vénéneuses » : par allusion à la distinction faite par le Parti entre les « fleurs parfumées » (à cultiver) et les « plantes vénéneuses » (à proscrire). Se moquant des boy-scouts du régime (les étudiants aux « trois qualités » : bonne santé, bonnes études, bonne attitude politique) chez qui toute faculté de penser était annihilée, aussi bien que de « l’ignorance » et de la « stupidité » des rédacteurs du Quotidien du Peuple et d’autres journaux, qui ont érigé une Grande Muraille entre la vérité et leurs lecteurs, Tan Tianrong appelait les autres à s’exprimer hardiment... et à agir.
L’action, ce fut surtout pour lui l’animation de la Société des Cent Fleurs (en fait un groupe aussi restreint qu’éphémère, puisque les Cent Fleurs se fanèrent ou plutôt furent piétinées quinze jours à peine après la création de ladite Société) et l’établissement de contacts avec d’autres universités. C’est ainsi qu’il se rendit au début de juin 1957 à Tianjin (Tientsin), où il aurait, selon les accusations portées contre lui au cours de la campagne anti-droitière (qui fit suite aux Cent Fleurs), « allumé des incendies » dans différents établissements d’enseignement supérieur de la ville. Ces incendies consistent en forums de discussion et affiches murales au contenu effectivement incendiaire, si l’on en juge par certains des slogans qui couvrirent bientôt les murs de la célèbre Université Nankai (où Zhou Enlai (周恩來) avait étudié et milité quelque trente-sept ans auparavant) : « La dictature du prolétariat est la source des trois maux » (Sectarisme, bureaucratisme, subjectivisme. C’est le parti lui-même qui avait désigné de la sorte les trois erreurs dont il s’était rendu coupable, mais il entendait faire servir les Cent Fleurs à la « rectification de [son] style de travail », non à la remise en cause de la nature du régime) ; « le socialisme est moins démocratique que le capitalisme », etc. Les étudiants de Tianjin auraient même organisé huit groupes « droitiers », à l’imitation de la Société des Cent Fleurs. A Pékin même, celle-ci eut bientôt des émules, qui lancèrent avec elle un journal étudiant contestataire : Guangchang (Place publique).
Dans un mouvement aussi spontané que celui des Cent Fleurs, si quelqu’un mérite le qualificatif d’organisateur, c’est assurément Tan Tianrong. Ce qui caractérise l’extraordinaire épisode de mai 1957, c’est non pas certes l’agitation ou l’action coordonnée, mais la discussion et la critique, une critique conduite localement, sous les auspices du Parti, et par des gens qui n’avaient en règle générale aucun contact avec ceux qui disaient la même chose qu’eux ailleurs (et d’autre information que celle que leur fournissait une presse moins défaillante qu’avant et après les Cent Fleurs, mais néanmoins censurée). Sous l’égide de Tan Tianrong, la Société des Cent Fleurs proclame ouvertement que son but n’est pas d’« aider le Parti à mener à bien sa campagne de rectification », mais de lancer un « mouvement pour la liberté et la démocratie », un mouvement qui ne se propose rien de moins que « la refonte complète du système politique ». Gardons-nous cependant de conclure que Tan et la Société des Cent Fleurs préconisaient le renversement du régime, ni surtout qu’ils en aient eu les moyens ! Chen Ziming, condamné en 1991 à 13 ans de prison pour son rôle dans le mouvement de Tiananmen, caractérisera Tan, mais aussi Lin Xiling (林希翎) et Liu Binyan (劉賓雁) comme des « révisionnistes » : influencés par les évolutions récentes au sein du camp communiste, ils dénoncent le culte de la personnalité et les dérives du système, qu’ils veulent rendre plus démocratique. Partisan du maintien de la propriété collective des moyens de production, le petit groupe animé par Tan Tianrong demandait en somme qu’on s’inspirât de la voie yougoslave (un peu comme on a fait depuis référence au printemps de Prague). Tan lui-même ne répudiait pas le marxisme, il considérait seulement que « le marxisme s’était transformé en sa propre négation : révisionnisme et dogmatisme » et qu’il était urgent de réaliser « la négation de cette négation ». Quant à la stratégie de la Société des Cent Fleurs, elle restait encore à définir, puisque Tan Tianrong suggérait une mobilisation de la jeunesse, tandis que son camarade Long Yinhua (un autre dirigeant de la Société des Cent Fleurs) estimait possible de persuader les dirigeants du Parti d’entreprendre eux-mêmes les réformes nécessaires.
C’est donc sur le plan symbolique que l’activité de ce petit groupe revêt de l’importance : une importance telle que Tan Tianrong a mérité d’être officiellement associé à Lin Xiling (林希翎). « Entre eux et nous, déclarait Chen Yi (陳毅) en 1961, il s’agit d’une contradiction antagoniste » : une contradiction qui oppose le peuple aux ennemis du peuple, et non pas une de ces contradictions bénignes qui se développent « parmi le peuple » et que le mouvement des Cent Fleurs se proposait de résoudre. Emprisonné après les Cent Fleurs, Tan Tianrong est aujourd’hui libre et réhabilité depuis 1980, son attitude de prisonnier ayant été jugée plus coopérative que celle de Lin Xiling, libre mais non réhabilitée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184428, notice TAN Tianrong 譚天榮 par Lucien Bianco, version mise en ligne le 20 janvier 2017, dernière modification le 22 août 2017.

Par Lucien Bianco

SOURCES : Aray (1973). — Doolin (1964). — René Goldman in CQ, n° 12, octobre- décembre 1962. — MacFarquhar (1960). — Conversation avec Lin Xiling (octobre 1983). — Vera Schwarcz (1986), p. 281. — Chen Ziming (2007).

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