WEN Xianglan 文香蘭

Par Jean-Luc Domenach

Née vers 1933 au Henan. Quoique compromise dans une affaire de rapport (de production) truqué (1952-1953), cette paysanne « modèle » est devenue membre suppléante du C.C. du P.C.C. (1969) et présidente de la Fédération des femmes du Henan (1973).

Malgré son importance politique très secondaire, le personnage de Wen Xianglan présente un intérêt particulier. Wen symbolise en effet assez bien l’élite féminine que le P.C.C. a essayé, avec un succès variable, de former à la campagne. Son histoire rappelle également qu’en Chine populaire la carrière d’un cadre n’est pas nécessairement compromise par une erreur initiale, même grave (voir aussi Zhang Pinghua (張平化) et Ji Dengkui (紀登奎)). Cette jeune paysanne a en effet été compromise dans une affaire de faux rapport qui jette une lumière crue sur la politique des « modèles de travail » paysans et sur les divisions de l’appareil politico-administratif provincial à propos de la collectivisation.
On sait qu’une étape du déclenchement de toute campagne de masse, en Chine populaire, est la mise en avant, comme modèles, d’un certain nombre d’unités et d’individualités « d’avant-garde » (voir Yuan Kaili) que les autres doivent imiter et rattraper. La qualité de modèle est recherchée à cause des récompenses matérielles (au moins avant la Révolution culturelle) et des honneurs qui y sont attachés. Mais il arrive aussi que la compétition pour ce titre entraîne ou recouvre des divergences et des divisions à l’intérieur de l’appareil et soit cause de manipulations statistiques : c’est ce qu’illustre l’« affaire Wen Xianglan ».
Les dirigeants du district rural dans lequel vivait cette jeune fille, Lushan (Henan), firent en effet, jusqu’au Grand Bond, des efforts constants pour se mettre en avant, fût-ce en truquant les chiffres (ainsi le comité de xian a-t-il été critiqué en 1951 pour avoir exagéré le montant de sa contribution matérielle à la guerre de Corée). En 1950, Wen Xianglan reçoit dans un stage organisé par le comité provincial une formation pour fonder une équipe d’entraide, ce qu’elle fait peu après. Il faut donner en exemple son dynamisme : elle est admise en 1951 dans la L.J.C. et choisie comme « modèle du travail » pour sa récolte (exagérée) de patates douces. Au printemps 1952, Wen reçoit la direction d’une des 72 coopératives agricoles que le comité du district, pour se placer à l’avant-garde d’un mouvement de coopérativisation dont il anticipe l’extension, fonde malgré les conseils de prudence des autorités centrales et provinciales. Il lui faut donc démontrer rapidement qu’il a réussi : dans l’été de 1952, on annonce que sur trois mu de blé dont 0,7 cultivés par Wen elle-même), la nouvelle coopérative a obtenu, le rendement exceptionnel de 676 jin (livres). La nouvelle attire des journalistes informés des directives de prudence du Centre. Ceux-ci émettant des réserves sur le record dans leurs articles et le dénoncent dans des rapports au Bureau de l’agriculture provincial. Mais les autorités locales se portent garantes de la coopérative : elle reçoit une citation nationale ainsi que, de la part du gouvernement provincial, un drapeau, une médaille, un diplôme et la somme énorme de 20 000 yuan (octobre 1952). Tout le monde sur place sait que le record est fabriqué, mais les cadres jugent politiquement opportun de récompenser l’activisme de la jeune fille et de mettre en avant les résultats de sa coopérative, alors même que d’autres, trop tôt créées, sont en train de s’effondrer. C’est seulement en janvier 1953, lorsque débutera une campagne nationale contre les faux rapports de production (et les créations de coopératives trop précoces qui en sont cause) que le gouvernement provincial ordonnera aux autorités locales une véritable enquête. Celle-ci révélera que, sur une surface réelle de 3,4 mu, le rendement effectif avait seulement approché 400 jin (ce qui était déjà un beau résultat, l’année ayant été médiocre). L’affaire sera dénoncée en janvier, par la presse provinciale et en février dans une campagne nationale déclenchée par l’éditorial du Quotidien du peuple du 9 février commentant une sévère directive gouvernementale.
On pourra s’étonner que la plupart des cadres compromis dans cette affaire n’aient pas vu leur carrière stoppée. C’est le cas de Ji Dengkui, plus tard membre du B.P., qui était alors secrétaire du comité du Parti de la préfecture de Xuchang, dont dépendait Lushan. C’est aussi le cas des autres dirigeants de Xuchang et Lushan. C’est enfin celui de Wen Xianglan. Leur survie politique s’explique d’abord par des soutiens au plus haut niveau de l’appareil provincial (voir Wu Zhipu) et aussi parce que leurs « erreurs » anticipaient la politique maoïste de collectivisation effectivement mise en place peu après, en 1955, et que certains espéraient dès 1953.
En tout cas, après avoir publié son autocritique dans le Quotidien du Henan (11 février 1953), Wen devait entrer au Parti dès l’année suivante, soit à vingt et un ans et se mettre (ou être mise) en avant dans chacune des grandes campagnes de masse ultérieures, notamment en 1956 et 1958. Connue au plan national et présidente du comité révolutionnaire de la commune populaire de Hezhuang, Wen Xianglan a été élue en 1969 et réélue en 1977 membre suppléante du C.C., sans doute à titre symbolique. Également membre du comité permanent du comité révolutionnaire (1968) et du comité du Parti du Henan (1973), Wen Xianglan a été élue en septembre de la même année présidente de la Fédération provinciale de l’association des femmes. Elle figurait donc parmi les « modèles du travail » célébrés par le régime (voir aussi Guo Fenglian) avant que la chute de la « Bande des Quatre » ne vienne interrompre son ascension politique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184496, notice WEN Xianglan 文香蘭 par Jean-Luc Domenach, version mise en ligne le 24 janvier 2017, dernière modification le 24 janvier 2017.

Par Jean-Luc Domenach

SOURCES : Ch’en et Domenach (1978). — Henan ribao (Quotidien du Henan), 1956-1958. RMRB, 1958-1964 et 1971-1981.

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