WU Zhihui 吳稚輝

Par Choi Hak-kin et Yves Chevrier

Né le 25 mars 1864 à Wujin (Jiangsu) ; mort le 30 octobre 1953 à Taibei. L’une des figures de proue de l’anarchisme chinois.

Issu d’une famille de lettrés, Wu Zhihui obtient le grade de licencié en 1891. Entre 1897 et 1901, il occupe divers postes d’enseignement à Tientsin et à Shanghai, puis étudie au Japon (à l’École normale supérieure de Tokyo) en 1901-1902. Expulsé par les autorités japonaises à la suite d’un conflit entre les étudiants chinois et le ministre de Chine (contre lequel Wu prend parti), il rentre en Chine et devient proviseur de l’École patriotique (Aiguo xuexiao) fondée par la Société chinoise pour l’enseignement (Zhongguo jiaoyuhui) en novembre 1902 à Shanghai. Au contact des révolutionnaires qui animent ces deux établissements, Wu se rallie à la cause anti-mandchoue. Ce qui l’oblige à fuir Shanghai et à s’exiler, tout d’abord à Édimbourg, puis à Londres, où il rencontre Sun Yat-sen (孫逸仙). A la fin de l’année 1905, il adhère à la Ligue jurée fondée par Sun en août de la même année à Tokyo.
Au début de l’année suivante, Wu rejoint à Paris ses amis Li Shizeng (李石曾) et Zhang Renjie, avec lesquels il fonde l’Association du Monde (Shijie she). L’influence de Li le convertit à un anarchisme fortement pénétré de scientisme. Il partage avec Li la certitude du progrès de la civilisation par celui de la science et des techniques, à condition que prévale un état d’esprit parfaitement cosmopolite (le leur), qu’ils appellent « mondialisme ». Afin de répandre leur foi, les trois amis lancent (le 22 juin 1907) un hebdomadaire : le Xin Shiji, sous-titré d’abord en espéranto (« La Novaj Tempoj » (voir Li Shizeng (李石曾)) puis, plus tard, à partir du numéro 81 (28 janvier 1909) « Le Siècle Nouveau » en français. Au dire d’un rapport de la police française, Jean Grave prête un « concours gracieux » à la nouvelle publication. D’ailleurs le journal était domicilié 4 rue Broca (aujourd’hui rue Edouard Quenu) dans le même immeuble que le journal de Grave. Le journal qui allait publier plus de 100 numéros en trois ans, avait été financé grâce à Zhang Jingjiang qui avait monté l’un des premiers restaurants chinois de Paris et une petite entreprise de fabrication de tofu.
Tandis que Li Shizeng se charge d’exposer l’idéal anarchiste à travers des traductions et des essais, Wu fait montre d’un réel talent satirique contre les « écumeurs de vérité » : la monarchie (mandchoue), la famille (confucéenne), et autres institutions de la Chine traditionnelle. En dépit du langage virulent et d’un ton nettement anti-mandchou, l’anarchisme de Xin Shiji est foncièrement évolutionniste : l’état d’anarchie n’apparaîtra qu’au terme d’une évolution longue et continue au cours de laquelle les anarchistes ont mission d’éclairer le peuple en l’« éduquant ». Au cours des années 1920, Wu (dont l’anarchisme s’était entre-temps teinté d’anticommunisme), déclare qu’avant de connaître l’anarchie l’humanité devra « traverser encore trente-six cataclysmes plus importants que la Grande Guerre et soixante-douze de la même ampleur », ou bien attendre « cinq cents ans ». La fusion entre l’ancienne rhétorique chinoise (dont cette numérologie donne un exemple), le credo scientiste, la perspective évolutionniste et le ton révolutionnaire fait du groupe parisien réuni autour de Xin Shiji l’un des foyers du renouveau intellectuel qui prélude à l’explosion du 4 mai 1919 (voir Chen Duxiu (陳獨秀)).
De la révolution républicaine (1911-1912) à l’essor du G.M.D. au début des années 1920 (voir Sun Yat-sen), Wu Zhihui se rapproche de la politique nationaliste sans pour autant l’approuver toujours. C’est l’action socio-culturelle qui l’absorbe surtout. C’est ainsi qu’il organise le mouvement mi-étude, mi-travail en France aux côtés de Li Shizeng dès avant la période du 4 mai (voir Li Shizeng). Il est également l’un des principaux responsables de la campagne pour la purification des prononciations de la langue chinoise et pour l’élaboration d’un alphabet phonétique (adopté officiellement en 1918). Lui et son compère Li font aussi figure de « papes » de l’anarchisme chinois.
Les deux hommes patronnent le Shishe Ziyoulu (Bulletin de la Liberté) à Pékin entre 1917-1918. En 1918, Wu fonde aussi avec quelques membres de la revue Minsheng (La Voix du Peuple) (voir Liu Sifu (劉思復)) la revue Laodong (Le Travail) à Shanghai. Bien avant les publications des premiers communistes, Laodong est l’une des toutes premières manifestations d’intérêt de l’intelligentsia révolutionnaire à l’égard des « milieux industriels » (les initiatives syndicales de Sun Yat-sen en sont contemporaines). On y trouve également l’un des premiers échos positifs à la révolution d’Octobre (l’article plus célèbre de Li Dazhao (李大釗) date d’octobre 1918).
Mais les rapports entre la vieille garde anarchiste et la nouvelle génération ne tardent pas à se dégrader. Wu est violemment critiqué lorsqu’il met son prestige et son anticommunisme au service de Chiang Kai-shek et de la droite nationaliste (au sein de la Commission centrale de contrôle du G.M.D. à laquelle il a été élu en 1924). L’aile droite du G.M.D. salue Wu et ses amis Li Zhizeng, Zhang Renjie et Cai Yuanpei (le prestigieux recteur de l’Université de Pékin à l’époque du 4 mai) du titre de « Quatre Aînés », mais ne leur accorde guère d’influence politique. Après 1927, Wu devient conseiller personnel de Chiang Kai-shek mais refuse toute fonction gouvernementale. Il est élu président de l’Assemblée constituante en 1931. Il suit le régime à Chungking pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945) et préside une nouvelle Constituante en 1946. Il part pour Taiwan en avril 1949. Il y meurt en 1953.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184506, notice WU Zhihui 吳稚輝 par Choi Hak-kin et Yves Chevrier, version mise en ligne le 24 janvier 2017, dernière modification le 10 septembre 2020.

Par Choi Hak-kin et Yves Chevrier

ŒUVRE : Wu Zhihui yanlun ji (Propos de Wu Zhihui), Shanghai, 1923. — Chu Juren (ed.) : Wu Zhihui shuxin ji (Lettres choisies de Wu Zhihui), Shanghai, 1947. — Liang Bingxian (ed.) : Wu Zhihui xueshu lunzhu (Écrits culturels de Wu Zhihui), 3 vols, Shanghai, 1927. — Wu Zhihui xiangsheng xuanji (Œuvres choisies de M. Wu Zhihui), Taibei, 1964. — Wu Jingheng xuanji (Œuvres choisies de Wu Jingheng), 5 vols, Taibei, 1964.

SOURCES : Outre BH et Scalapino et Yu (1961), voir : Kwok (1965). — Li Shuhua in Jieluji (Écrits du pavillon des stèles), 1967. — Wu Zhihui xiansheng de shengping (Vie de Wu Zhihui), 1951. — Zhang Wenbo (1969).

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