XIANG Ying 項英

Par Yves Chevrier et Jacques Manent

Né en mai 1898 à Wuchang ; mort le 14 mars 1941 dans le Anhui. L’un des rares dirigeants communistes issus du monde ouvrier, syndicaliste, vice-président de la République soviétique du Jiangxi opposé à Mao Tse-tung, commissaire politique de la 4e Armée nouvelle jusqu’à sa mort lors du célèbre « incident » de 1941.

L’historiographie maoïste n’a jamais pardonné à Xiang Ying son opposition à Mao Tse-tung ni sa responsabilité dans l’incident de la 4e Armée nouvelle : son nom reste indissolublement lié à cet épisode. Il apparaît sous un jour d’autant moins favorable qu’il n’a presque rien écrit : c’est à peine si Edgar Snow obtient de lui quelques précisions sur sa carrière. Cette personnalité au contact difficile — ce qui lui valut nombre d’inimitiés parmi ses compagnons de route — ne manque pas d’originalité. Parmi les cadres d’un parti essentiellement dirigé par des-intellectuels souvent issus de la paysannerie ou de la gentry, cet ouvrier tranche quelque peu, à la manière d’un Chen Yun (陳雲), dont le rôle discret mais important à la tête du P.C.C. avant la prise du pouvoir par Mao n’est pas sans rappeler le sien. Trois grandes phases dans la vie de ce fils de lettré ruiné : celle du militantisme ouvrier (de 1920 à 1930), celle de l’opposition à Mao dans les soviets du Jiangxi (1931-1934), celle enfin de la lutte armée en Chine centrale et méridionale (1935-1941).
Son père mort alors qu’il n’a pas dix-huit ans, Xiang Ying n’ira pas au terme de ses études primaires. A quinze ans, il est apprenti dans une usine textile de Wuhan, à dix-huit il est ouvrier. Confronté aux idées du 4 mai, qui charrient l’exemple révolutionnaire d’Octobre (voir Chen Duxiu (陳獨秀)), il devient très vite un militant et dirige en 1920 la première grève du textile à Wuhan. C’est à cette époque qu’il entre en contact avec le marxisme. Lorsque Dong Biwu (董必武) et Chen Tanqiu (陳潭秋), au début de l’année 1922, cherchent à implanter le P.C.C. dans les milieux ouvriers du Hubei, ils trouvent en Xiang Ying l’appui dont ils ont besoin. Entré au P.C.C. en avril, Xiang s’emploie à organiser les cheminots du Pékin-Hankou (Jing- Han). A l’été 1922, il anime à Zhengzhou une conférence préparatoire en vue de mettre sur pied un syndicat général des ouvriers du Jing-Han. Cette organisation, après sa création, devient l’âme de la grève noyée dans le sang par le seigneur de la guerre Wu Peifu le 7 février 1923 (voir Yang Defu (楊德甫)). Ayant échappé au massacre des piquets de grève et des militants, Xiang Ying se cache pendant plusieurs mois. Il reprend ensuite ses activités syndicales — dans le cadre renouvelé du premier Front uni (voir Maring) — à Shanghai, Wuhan et Canton. En mai 1925, il devient l’un des membres du comité exécutif du Syndicat général pan-chinois. Il est à Hong Kong et Canton afin de soutenir la longue grève qui dure de juin 1925 à l’automne 1926. Surpris à Shanghai lors du sanglant revirement de Chiang Kai-shek (12 avril 1927), il s’enfuit à Wuhan pour réorganiser les forces syndicales du P.C.C. L’année suivante (1928), il assiste à Moscou aux VIe congrès du P.C.C. et du Komintern. Entré au C.C. et au B.P., il fait figure de « centriste », au sein de la nouvelle direction du P.C.C., entre les modérés et la faction dominante conduite par Li Lisan (李立三).
Rentré à Shanghai en 1929, Xiang Ying prend la tête du Syndicat général pan-chinois à l’issue du Ve congrès (novembre 1929). Il remplace ainsi Su Zhaozheng (蔌兆症), mort peu de temps auparavant, mais empêche surtout la mainmise des dirigeants du mouvement ouvrier de Shanghai, adversaires acharnés de Li Lisan (voir Luo Zhanglong (羅章龍) et He Mengxiong (何夢雄)), sur la fédération nationale. Dans le cadre de sa « ligne » d’action directe contre les grands centres urbains, Li Lisan envoie Xiang Ying à Wuhan afin d’y préparer une grève générale dont le déclenchement devait coïncider avec une offensive de l’Armée rouge en provenance des bases rurales du Jiangxi. Le plan échoue à l’été 1930 en raison tant de l’apathie ouvrière que de l’indiscipline des chefs militaires. Mais Xiang Ying échappe à tout blâme et traverse sans encombre la période extrêmement trouble (automne 1930 — printemps 1931) pendant laquelle les diverses factions du P.C.C. luttent pour la succession de Li Lisan. Lorsque Mif, en janvier 1931, met en selle ses protégés (les Vingt-huit Bolcheviks, conduits par Wang Ming (王明), Qin Bangxian (秦邦憲) alias Bo Gu et Zhang Wentian (張聞天)), Xiang Ying fait à nouveau partie de la nouvelle direction (B.P. et secrétariat). Avec Zhou Enlai (周恩來) il est le plus important des collaborateurs « indigènes » des « retours de Moscou ». Sitôt mise en place, la nouvelle équipe s’emploie à rétablir le contrôle du Centre (établi à Shanghai) sur les soviets ruraux. Des « représentants en mission » sont dépêchés auprès des chefs de la guérilla rurale et Xiang Ying lui-même, promu secrétaire du Bureau central pour les régions soviétiques (organisme chargé de la reprise en mai), s’installe à Ruijin, capitale du soviet central du Jiangxi tenu par Mao Tse-tung et par Zhu De (朱德) (printemps 1931).
Œil du C.C. à Ruijin, Xiang Ying a pour mission de coordonner les activités des diverses bases rouges en Chine centrale, mais surtout de « restreindre » Mao Tse-tung, qui vient de « liquider » plusieurs milliers de ses adversaires lors de l’« incident de Futian » (voir Chen Yi (陳毅)). Bien qu’il absolve Mao (Zhou Enlai, qui le relève à la présidence du Bureau central après son arrivée à Ruijin à la fin de l’année 1931, ne sera pas si tendre...), Xiang Ying ne tarde pas à s’opposer au dirigeant « local » dont il est le supérieur hiérarchique dans l’appareil du Parti (en tant que responsable du Comité des affaires militaires du C.C., fonction dans laquelle il alterne avec Zhou Enlai, comme à la tête du Bureau central) ou le collègue encombrant dans l’appareil gouvernemental du Jiangxi (en tant que vice-président, aux côtés de Zhang Guotao (張囯燾), de la République soviétique chinoise, fondée et présidée par Mao en novembre 1931). L’antagonisme s’accentue à mesure que les dirigeants du Centre, chassés de Shanghai par la répression nationaliste, s’installent à Ruijin, où ils supplantent Mao tout en pratiquant une « ligne » (dite plus tard « déviation Wang Ming-Bo Gu ») contraire aux principes maoïstes (voir Wang Ming (王明)). Mais c’est parce qu’il est solidaire de l’équipe dirigeante que Xiang Ying sera critiqué par la suite, lorsque les maoïstes seront devenus maîtres du Parti (et de la manière dont le Parti écrit l’Histoire). Absorbé dans la gestion au jour le jour de bases rurales qui deviennent une sorte de mini-État, il n’intervient guère dans la bataille idéologique qui fait rage depuis 1932 (voir Luo Ming (羅明)) et laisse à d’autres le soin de saper l’influence de Mao en dénonçant notamment la « ligne Luo Ming ». Si bien qu’au début de l’année 1934, alors que le second congrès des soviets et le 5e plénum du (VIe) C.C. marquent une sorte de nadir maoïste, Xiang Ying s’installe dans une relative neutralité aux côtés de Zhu De et Ren Bishi (任弼時). Comme à l’époque de Li Lisan, la modération innée de cet homme dépourvu de toute ambition personnelle et — apparemment — de goût pour l’argutie idéologique, le tient en retrait de la lutte des factions et du débat stratégique (voir Otto Braun) quoique, entré au Conseil militaire révolutionnaire en mai 1933, il ait pour un temps présidé (à la suite de Zhu De) cet organe suprême du commandement communiste. Il n’en confie pas moins ses craintes à O. Braun en octobre 1934 : à la première occasion, Mao prendra la direction du Parti avec l’aide de l’armée...
Si ces quatre années d’une cohabitation difficile présentent un bilan plus complexe que la confrontation (ou plutôt l’erreur) sans nuances accréditée par l’historiographie maoïste, Mao et Xiang Ying se séparent sur une opposition bien tranchée lorsque l’irrésistible 5e campagne d’encerclement nationaliste offre à Mao l’occasion tant attendue en imposant l’évacuation des soviets en octobre 1934. Xiang Ying recommande, suivant la logique qu’il a exposée à Braun, la dispersion de l’Armée rouge tandis que Mao fait prévaloir le point de vue contraire de la concentration et de la fuite, qui donnent lieu à la Longue Marche.
Lorsque les troupes communistes entament leur Anabase vers l’ouest, Xiang Ying est laissé à l’arrière afin de coordonner ce qui reste de guérillas communistes en Chine centrale (il est nommé secrétaire d’un bureau ad hoc du B.P., Chen Yi assurant la direction des affaires militaires) : trente mille hommes éparpillés sur six provinces au sud du Yangzi, avec lesquels Xiang et Chen vont mener une guérilla de trois années (octobre 1934 — janvier 1938) tout en tenant personnellement une base à la frontière du Guangdong et du Jiangxi. L’épopée de la Longue Marche relègue au second plan ces combats d’arrière-garde. Et lorsque Mao s’impose à la tête du P.C.C., c’est en prenant le siège de Xiang Ying qu’il fait son entrée au comité permanent du B.P. (conférence de Zunyi, janvier 1935)...
Pourtant l’invasion japonaise et la conclusion du second Front uni (en 1937) redonnent une grande importance aux guérilleros oubliés de Chine centrale et méridionale. Leurs troupes sont rassemblées en janvier 1938 dans la 4e Armée nouvelle créée en accord avec le G.M.D. A la demande de l’allié nationaliste, c’est Ye Ting (葉挺) qui en assume le commandement avec Xiang Ying (commissaire politique) et Chen Yi pour subordonnés immédiats. En deux années de guerre ant-ijaponaise sur le bas Yangzi, la 4e Armée nouvelle établit son contrôle sur la plus grande partie du Anhui méridional et du Jiangsu-sud (Jiangnan). Ce nouvel essor du communisme en Chine centrale suscite la méfiance du G.M.D. et de multiples frictions avec les guérillas nationalistes qui opèrent dans la même région (voir Ji Fang (季方)). Les craintes de Chungking (capitale de guerre du G.M.D.) et l’échec de négociations menées à l’été 1940 avivent la tension. Le 9 décembre 1940, les nationalistes somment l’armée communiste de se porter au nord du Yangzi avant le 31. Conformément à cet ultimatum, Chen Yi franchit le fleuve avec le gros des six détachements qui constituent la 4e Armée nouvelle. Mais Xiang Ying et Ye Ting s’attardent dans le Anhui méridional à la tête d’une arrière-garde forte de 10 000 hommes. Les nationalistes encerclent et exterminent cette arrière-garde près de Maolin du 4 au 14 janvier 1941. Xiang Ying est parmi les 4 000 morts du côté communiste, Ye Ting est capturé (les deux hommes sont remplacés, respectivement, par Liu Shaoqi (劉少奇) et Chen Yi).
Le second Front uni ne devait pas se relever de la blessure mortelle qui venait de lui être infligée. Le prestige de Xiang Ying non plus. En mai 1941 le C.C., louant Chen Yi pour avoir strictement appliqué ses directives et « estimé à leur juste valeur les possibilités du G.M.D. », condamnait l’« opportunisme » et l’« irrésolution » de Xiang. Il semble en effet que Xiang Ying, hostile à la politique de Front uni, se soit refusé à ménager le G.M.D. Profitant de la circonspection de Ye Ting, il aurait songé à maintenir une base de guérilla dans le sud du Jiangsu, afin de tenir Shanghai et Nankin à merci. Les historiens nationalistes maintiennent au contraire que l’incident de la 4e Armée nouvelle fut une provocation montée de toutes pièces à Yan’an. Ceux du P.C.C. ajoutent à cette même thèse de la provocation (imputée à Chungking...) l’erreur de jugement commise par Xiang Ying.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184526, notice XIANG Ying 項英 par Yves Chevrier et Jacques Manent, version mise en ligne le 25 janvier 2017, dernière modification le 8 février 2017.

Par Yves Chevrier et Jacques Manent

ŒUVRE : Xiang Yingjiangjun yanlunji (Recueil des discours du général Xiang Ying), sans lieu d’édition, 1939.

SOURCES : Outre BH et KC, voir : Braun (1973). — Chang Kuo-t’ao (Zhang Guotao), II (1972). — Chesneaux (1962). — Harrison (1972). — Hsiao Tso-liang (1961). — Hu Chi-hsi (1982). — Johnson (1963). — Snow (1938). — Thornton (1969).

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