CAMPHIN Eugénie [née CUVELIER Eugénie]

Par Daniel Hémery

Née le 13 novembre 1893 à Bully-Grenay (Pas-de-Calais), morte le 13 février 1987 à Dainville, près d’Arras (Pas-de-Calais) ; militante communiste d’Arras.

Née dans une famille de mineurs, épouse de Maurice Camphin (père), elle était l’une des premières militantes du Parti communiste, auquel elle adhéra sans doute dans les premières années de la décennie 1920, dans le Pas-de-Calais. Énergique, grande lectrice, fidèle avec une rigueur extrême au Parti, digne et courageuse dans les malheurs les plus douloureux, elle fut longtemps l’une des principales figures du communisme arrageois. Ses trois fils Maurice Camphin*, René Camphin et Paul Camphin* militèrent très tôt aux Jeunesses communistes puis au PCF et allèrent jusqu’au bout de leur engagement. Avant la Seconde Guerre mondiale, elle participa activement au travail politique de la section communiste d’Arras. En 1937-1938, elle accueillit et hébergea avec son mari des enfants de familles républicaines espagnoles. Le 6 septembre 1939, accompagnée de son fils Paul âgé de seize ans, elle rencontra Maurice Thorez*, alors mobilisé dans un bataillon du génie stationné dans la région, dans le petit village de Fampoux, près d’Arras, pour l’informer de la condamnation le même jour d’Henri Thiébault* et de Cyprien Quinet*, de l’arrestation de son mari Maurice et de Jules Warret, ainsi que de l’incarcération de René Camphin à la citadelle d’Arras. À l’été de 1940, elle hébergea Jacques Duclos* et Eugène Fried* à leur retour clandestin de Belgique. Pendant la guerre, deux de ses fils, Maurice et Paul, furent fusillés par les Allemands. De 1944 à 1946, elle fit partie du Comité de Libération d’Arras au titre de l’Union des femmes françaises dont elle présida l’importante section arrageoise (deux cents femmes à son premier meeting du 22 novembre 1944). On la trouva en tête de nombreuses manifestations au lendemain de la Libération, comme celle du 2 avril 1945 qui rassembla deux cent cinquante femmes devant la préfecture d’Arras pour réclamer une meilleure répartition du ravitaillement et du charbon. En 1945, elle fut également conseillère municipale d’Achicourt, près d’Arras.

Après la mort tragique de son dernier fils, René, pendant la session du comité central du PCF des 5-6 mars 1954, elle resta fidèle au Parti, qui présenta sa candidature aux élections cantonales de 1955 dans le canton d’Arras-nord (la liste communiste recueillit 16 % des suffrages exprimés), puis à nouveau aux élections municipales de 1965. Mais en 1968, à soixante-quinze ans, elle épousa la cause du mouvement étudiant, participa à des manifestations de rue à Paris, puis, à la suite de ses contacts à Arras même avec des étudiants maoïstes venus « s’établir » dans la région, se rallia au maoïsme, ce qui la conduisit à rejoindre le Secours Rouge fondé le 11 juin 1970 par le PSU, Ch. Tillon, Vercors, J.-P. Sartre et un certain nombre d’intellectuels proches de l’extrême-gauche et du maoïsme. C’est ainsi qu’elle figurait parmi les dix-sept membres du comité national d’initiative du nouveau mouvement aux côtés de Sartre, Henri Leclerc, Roger Pannequin, etc. Elle fit paraître une lettre dans la Cause du Peuple pour demander la libération d’Alain Geismar alors emprisonné. À la suite de la mort de seize mineurs lors du coup de grisou de Fouquières-les-Lens le 4 février 1970, de l’incendie en représailles des Bureaux des Houillères à Hénin-Liétard le 16 février par les maoïstes de la « Nouvelle Résistance Populaire » et du procès de ces derniers, le Secours Rouge mit en accusation les Houillères. Son tout récent comité départemental du Pas-de-Calais, qu’animait Marcel Deboudt, jeune universitaire lillois, publia en décembre le premier numéro du journal Liberté vaincra, dont Eugénie Camphin fut la directrice. Dans ce numéro, elle signa le texte intitulé « Pour qu’on ne voie plus jamais ça ! Seize mineurs tués par les Houillères à Fouquières-les-Lens », qui a été rédigé à Paris par Nicolas Baby et dans lequel elle déclarait à propos de l’incendie d’Hénin-Liétard : « Moi ! Fille de mineurs, mère de résistants, je considère cet acte comme une révolte juste des mineurs exploités par le régime capitaliste. Cet acte me rappelle les actes de la Résistance toujours menés par les mêmes, pour le droit de vivre ». Elle y évoquait « l’exemple de [s]on fils René, élu du peuple, défenseur de la Cause du peuple, lui-même ayant été amené, après son évasion en 1940, à travailler dans les mines de la Loire... grand défenseur de la cause du mineur ! » et concluait : « Devant la nouvelle vague de répression qui s’abat toujours sur les mêmes, les exploités, j’ai cru de mon devoir de donner suite au même combat, mené par les fils : Maurice, Paul et René, et fais appel à tous ceux qui sont épris de liberté, afin de se retrouver au Secours Rouge pour défendre tous les opprimés. Tous les travailleurs ont leur place au sein du Secours Rouge et plus que jamais les plus exploités d’entre eux : les mineurs ». Sa déclaration voisinait avec l’appel de Sartre intitulé « Non à ce prix-là, 80 000 mineurs menacés de mort par les Houillères. Cinq militants menacés de dix ans de réclusion criminelle », et invitait les mineurs à participer en masse au « tribunal démocratique de Lens » le 12 décembre 1970. Ayant rompu avec le PCF, Eugénie Camphin participa à un certain nombre d’initiatives du Secours Rouge dans le Nord de la France. Devenue aveugle, elle mourut à Arras dans sa quatre-vingt-quatorzième année.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18504, notice CAMPHIN Eugénie [née CUVELIER Eugénie] par Daniel Hémery, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 4 décembre 2010.

Par Daniel Hémery

SOURCES : Arch. Dép. Pas-de-Calais, M 5334 et 5339. — Arch. PPo, Paris, dossier René Camphin, n° 426298. — Liberté, quotidien communiste du Nord-Pas-de-Calais. — Entretiens avec sa petite-fille, Jocelyne Camphin, juin 2000.

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