CAMPIGLIA François, Toussaint

Par Pierre Broué

Né le 10 juillet 1893 à Arzew (Algérie), mort le 30 janvier 1972 à Grenoble (Isère) ; mécanicien, fraiseur ; militant du Parti communiste, secrétaire de la Région Alpes du PC.

Fils d’un ouvrier maçon français installé en Algérie, François Campiglia fut reçu au concours d’entrée au lycée, mais se vit refuser la bourse d’études, du fait, croit-on, des opinions politiques trop avancées de son père.

Il commença à travailler à l’âge de quatorze ans dans la serrurerie d’art jusqu’au régiment. Mobilisé en 1917 il fut sergent dans le génie et, gravement blessé aux yeux, revint réformé à 15 %, en 1916.

François Campiglia se fixa alors dans la région parisienne et travailla comme outilleur fraiseur, de 1917 à 1925 dans diverses usines : dans le XIIIe (Gnôme et Rhône), le XXe, le XIXe (chez Cornély), à Pantin, à la Société d’optique et de mécanique de haute précision du boulevard Davout. Après un séjour de deux ans, en 1925-1927, en Algérie, il fut employé à Billancourt (Farman) et aux Ponts et Chaussées avant d’aller à Grenoble en 1928.

Syndiqué à la CGT, François Campiglia participa aux mouvements grévistes de 1917. Il adhéra à la 13e section du Parti socialiste (groupe Maison-Blanche) le 1er janvier 1919, influencé par un camarade de travail (Barraut qui resta à la SFIO) et fut membre du Comité de la IIIe Internationale. Il devint secrétaire du groupe et continua comme secrétaire de la 13e section du Parti communiste après le Congrès de Tours. Il était également un des responsables de la Fédération des métaux de la région parisienne et, par la suite, membre de la CE de la Fédération unitaire. Dans son parti il devint membre du bureau régional de la RP et siégeait en septembre 1922 à la commission des comptes de la Fédération de la Seine.

Jusqu’en 1925, François Campiglia milita essentiellement dans la région parisienne : employé à l’usine Cantinsouza, dans le XXe, puis chez Cornély, dans le XIXe, il devint membre du bureau régional parisien. Il siégeait en septembre 1922 à la commission des comptes de Fédération de la Seine. En 1923, il fut l’un des militants envoyés par le PC en Allemagne en vue d’un travail antimilitariste illégal auprès des soldats français de l’armée d’occupation. Le 11 mai 1924, il fut candidat aux élections législatives dans la 3e circonscription de la Seine (43 464 voix sur 229 785 inscrits et 201 612 votants : il manqua l’élection de deux voix) et en mai 1925 aux municipales dans le XIIIe arr. (quartier Croulebarbe). François Campiglia devint sans doute permanent vers cette époque. De mai à juillet 1925, la direction du PC l’envoya comme instructeur dans le Centre-Est. Cette année-là, il fut à nouveau délégué en Allemagne, pendant les élections présidentielles, et y prit la parole aux côtés de Thaelmann dans un meeting électoral. Puis il fut envoyé en Algérie, en 1925-1927, dans les conditions difficiles d’une lutte semi-légale, et y édita le journal La Lutte sociale : sa « légende » veut qu’il ait réussi à créer une cellule du PC dans une unité de gendarmerie et qu’il l’ait réunie, pour des raisons de sécurité, en maillot de bain sur une plage. Il revint en France en 1926, fit une tournée de réunions en mai dans la région du Languedoc et travailla comme mécanicien chez Farman, à Billancourt, devint secrétaire du 8e rayon (Clichy-Levallois), du PC en 1927-1928. l’Humanité du 18 juin 1928 annonça que Campiglia hostile à la tactique syndicale du Parti communiste avait « reconnu son erreur » lors de la conférence de la Région parisienne. François Campiglia affirmait également (autobiographie de 1932) avoir été blâmé, lors de la direction Treint-Girault, pour avoir fait exclure, dans une réunion composée d’adhérents et sympathisants, un communiste ami de Léon Ilbert* qui insultait et discréditait le parti à l’usine Cornély. Il déclarait également avoir été en désaccord sur la tactique électorale de non-désistement en faveur des socialistes. Pendant cette période Campiglia fut délégué à diverses conférences régionales ainsi qu’aux congrès nationaux de Lille (1926) et Saint-Denis (1929). Il suivit quelque temps les cours de l’École marxiste de la rue de Bretagne le dimanche matin.

En 1928, François Campiglia fut désigné pour faire campagne à Brest, 1re circonscription, comme candidat aux élections législatives puis, le 15 mai 1929 aux municipales de Brest où il groupa 856 voix. À son retour, il lui fut proposé le choix entre Besançon, où il avait milité quelques mois avant son départ en Allemagne en 1925, et Grenoble, où la situation du Parti était devenue inquiétante. Il choisit Grenoble et fut désigné pour y remplacer le secrétaire régional Carlos Rybroeck*. Il y arriva au début de juin, et fut « élu » secrétaire régional par une conférence réunie au restaurant « Ma Campagne ». François Campiglia fut membre de la cellule de « La Viscose » qui devait être dissoute en 1932 par suite de la fermeture de l’usine et il passa dans une cellule de la métallurgie.

Il trouvait dans la région une situation très difficile. L’organisation était numériquement faible - cent cinquante militants seulement à Grenoble même - peu disciplinée, ne disposant plus d’aucun organe de presse. Muni des pleins pouvoirs, il commença par une sévère épuration. À ce sujet, François Campiglia déclara plus tard à Pierre Barral : « Notre parti devait dans le département et à Grenoble, créer une vive impulsion, et, pour aboutir avec quelque chance de succès, il lui appartenait d’abord de se débarrasser de toutes les scories qui l’encombraient au point de le déconsidérer. » Il ne conserva dans les rangs du parti à Grenoble que quatre-vingt-deux des anciens militants, soit un peu plus de la moitié, éliminant ainsi non seulement ceux qu’il appelait « les éléments troubles, alcooliques et autres », mais aussi vraisemblablement quelques-uns des anciens de la première heure qui acceptaient mal l’autorité de ce nouveau venu.

François Campiglia fit exclure du PC en 1929, deux anciens secrétaires de l’Union régionale unitaire, Ferdinand Quenneville* et surtout Jean David*, qui avait été jusque-là l’un des dirigeants communistes les plus en vue, et qu’il qualifiait de « désagrégateur ». Il s’attela simultanément à la lourde tâche qui consistait à doter la région d’un organe hebdomadaire qu’il jugeait nécessaire tant à la propagande générale qu’à la liaison entre les militants et la centralisation de leurs interventions. Pour cela, il se fit épauler par le secrétaire régional des JC, Paul Billat*, qui devint rédacteur, gérant et administrateur du Travailleur Alpin, imprimé à Valence (Drôme), aucune imprimerie de Grenoble n’ayant accepté ce travail.

François Campiglia exerça ses fonctions de secrétaire régional du PC jusqu’en 1933, déployant une grande activité, tant dans le Travailleur Alpin, que dans les réunions et manifestations où les forces de l’ordre le repéraient toujours au premier rang, grâce à son grand chapeau noir. Il intervenait activement dans toutes les grèves et les grévistes de Moirans, en 1931, le virent se coucher devant un camion pour l’empêcher de démarrer. Il fut plusieurs fois inculpé au cours de cette période : le 31 juillet 1931, pour « provocation de militaires à la désobéissance », par tracts, il resta détenu deux semaines. En 1932, inculpé pour un motif identique, il demeura en prison alors qu’il était candidat aux élections législatives partielles pour le remplacement de Paul Mistral*, décédé : il obtint 1 487 voix au premier tour, mais, s’étant maintenu conformément à la tactique appelée alors « classe contre classe », n’en conserva que 581 au second tour, alors qu’aux élections générales, en mai il avait obtenu 1 891 et 536 voix. Il obtint 457 voix aux élections municipales complémentaires la même année. Secrétaire du rayon de Grenoble qui comptait cinq cellules et 75 adhérents selon le rapport de police F7/13130, il était assisté de Jean Strozecki* secrétaire adjoint, Marius Clerc* trésorier et Pierre Cividino* trésorier adjoint.

En 1933, François Campiglia fut remplacé au secrétariat régional par Paul Billat* qui avait été son principal collaborateur jusqu’en 1931, et venait d’effectuer un stage à l’École léniniste de Moscou. Il prit alors la direction du rayon de Grenoble. Il rédigea, en 1934, une seconde autobiographie (la première étant de 1932). Il citait, dans les deux, Jacques Doriot* et Gabriel Sauvage* comme garants. La commission des cadres s’étonna qu’« il se réfère encore à Doriot le 30 mars 1934 » et, tout en affirmant que sa bio n’avait « rien d’anormal » regrettait qu’il soit trop silencieux sur « les luttes dans le parti et sur la position actuelle de Doriot ». Dans la période de montée ouvrière qui se dessinait au lendemain de la manifestation parisienne unitaire du 12 février, son Parti réalisa d’immenses progrès, sur un rythme original à Grenoble, puisque le « Front populaire » y fut longtemps un front socialiste-communiste sans radicaux. C’est de cette époque, vraisemblablement des élections municipales de 1935, que date le début de son conflit personnel avec Roger Darves-Bornoz*, et qui devait considérablement entraver le fonctionnement de la direction régionale. Aux élections législatives de 1936, François Campiglia recueillit au premier tour, dans la seconde circonscription de Grenoble 2 585 voix, et se désista en faveur du candidat SFIO, le docteur Léon Martin* (voir Léon Achille Martin*). En novembre de la même année, il fut candidat aux élections cantonales dans le canton de Grenoble-sud, obtint 983 voix et se désista en faveur du candidat SFIO Eugène Chavant*. En décembre, sur plainte du colonel de la Rocque, il fut condamné à trois mois de prison avec sursis, 1 000 F d’amende et 30 000 F de dommages et intérêts pour un article paru dans Le Travailleur Alpin du 22 août précédent.

Des rumeurs circulaient alors sur les divergences qu’il aurait manifestées. L’unique élément dont nous disposions, la confidence faite à M. Barraud étudiant, auteur d’un TER, de son scepticisme quant à la valeur et à la portée des accords Matignon, demeure un élément bien fragile. Pourtant l’heure approchait d’une semi-retraite politique pour cet homme qui n’avait pas encore quarante-cinq ans. Elle vint sous la poussée des jeunes cadres que lassait son éternel combat singulier avec Roger Darves-Bornoz. Dès l’été 1937, François Campiglia céda la direction de la section de Grenoble à l’ancien secrétaire régional des JC, Gaston Beau*. Il ne figura pas parmi les délégués de sa région au IXe congrès du PC à Arles en décembre 1937. Le 27 février 1938, enfin, s’il fut fêté par les militants de la région dans un banquet à l’occasion de ses « vingt ans de militantisme », le 28 avril suivant, il retourna à l’atelier, comme fraiseur dans l’usine Billaud qui n’hésitait pas à embaucher les militants du PC refusés ailleurs par des patrons méfiants. Il y travailla jusqu’en octobre 1940. La police, qui gardait l’œil sur lui, s’obstinait à le considérer comme l’un des principaux membres de la direction régionale, bien que celle-ci ait été presque totalement renouvelée à la fin de 1938, avec le remplacement de Paul Billat* au secrétariat régional par le jeune mineur Henri Turrel.

Épargné en 1939 par les arrestations qui avaient touché la nouvelle direction régionale du PC, François Campiglia fut en revanche le premier frappé par le gouvernement de Vichy. Arrêté le 3 octobre 1940, presque deux mois avant ses autres camarades arrêtés pour la même raison, il fut d’abord interné à Fort-Barraux, puis transféré au dur régime de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). Il en fut libéré, sur l’intervention de personnalités grenobloises diverses, en raison de la gravité de l’état de santé de sa femme. Revenu à Grenoble, il y fut presque immédiatement arrêté par les autorités italiennes d’occupation et interné à Modane. Il s’évada à temps pour n’être pas livré à la Gestapo, reprit le contact avec le Parti clandestin qui l’affecta loin de Grenoble : c’est ainsi qu’il fut en 1944 un des dirigeants du Front national dans le Vaucluse. Jamais mentionné dans la presse du PC au cours des mois qui suivirent la Libération, il était à nouveau à Grenoble, travaillant chez Billaud, en 1946. Réélu cette même année au comité fédéral qu’il ne devait quitter qu’en 1950, conseiller municipal de Grenoble de 1947 à 1953, François Campiglia fut encore une fois candidat aux cantonales en 1947. Il présida la société des Amis du Travailleur Alpin, et, à partir de 1955, l’Amicale des vétérans du PCF de l’Isère. Vétéran entouré d’affection, familièrement appelé « Campi », il symbolisait toute l’époque héroïque du PC dans les années d’avant-guerre, confia ses souvenirs à l’historien Pierre Barral, participa à Grenoble et à Paris à toutes les festivités et rencontres organisées à l’occasion du cinquantième anniversaire du Parti communiste. Miné par un cancer du poumon, il subit de longs mois de traitement à Saint-Hilaire-du-Touvet (Isère).

Dans la force de l’âge, François Campiglia était un orateur percutant, au verbe chaud, un homme direct au contact facile et même chaleureux, un responsable énergique, et, même aux yeux de certains de ses adversaires politiques, un « brave homme ». Il avait épousé Adelphine Favre, fille d’un vigneron, qui était sans profession.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18509, notice CAMPIGLIA François, Toussaint par Pierre Broué, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 17 juin 2020.

Par Pierre Broué

ŒUVRE : inter alia, « Souvenirs de dix ans de Lutte », Le Travailleur Alpin, 27 décembre 1947. — « Notre Parti n’est pas comme les autres », ibidem, 14 janvier 1956. — « Un irréductible et combatif hebdomadaire », ibidem, 13 octobre 1968.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13130, juillet 1932, F7/13264. — Arch. Dép. Seine, D 2 M2 n° 52. — Arch. Dép. Isère, 52 M 119, 77 M, 1, 2, 3, 8 M 47. — IMTh, bobines 98, 120, 185. — RGASPI, Moscou : 495.270.608 : autobiographies des 28 août 1930 (questionnaire), 10 février 1932 ; 30 mars 1934, 26 mars 1938 (classé A), consultées par Claude Pennetier, reportées par René Lemarquis. — Le Travailleur Alpin, 1928-1938, 1946-1973, passim particulièrement 14 mars 1936, 14 janvier 1956. — L’Humanité, 26 avril 1924. — Pierre Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe République, Armand Colin, 1962. — Pierre Champion, Biographies de militants communistes, Grenoble, TER, 1973. — Notes de Jacques Girault.
I y a dans le versement 157 J de la Fédération communiste de l’Isère aux Archives départementales de l’Isère, un dossier 157 J 33 consacré à François Campiglia avec des données importantes pour la période 1942-1946.

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