Par Jacques Girault
Né le 9 juin 1923 à Lyon (IVe) (Rhône), mort le 6 septembre 2019 à Paris (XIIIe arr.) ; professeur puis chercheur ; militant chrétien puis communiste (1950-1963) ; philosophe et historien des mathématiques.
La famille de son père était originaire d’Algérie. Son grand-père avait été chef-comptable dans une entreprise de soierie lyonnaise implantée à Paris, Son père était principal clerc de notaire et conseiller juridique. Sa mère, ancienne élève de l’établissement féminin La Martinière avait créé un atelier de confection féminine.
Maurice Caveing grandit dans le quartier de la Croix-Rousse où se mêlaient les traditions techniques et artistiques. Il fut élevé dans une famille aux idées conservatrices de tradition et de pratiques catholiques. Après une scolarité primaire dans une école confessionnelle, il poursuivit sa scolarité secondaire au lycée Ampère. Il fréquentait la conférence Ampère dirigée par des Jésuites. On ne parlait jamais de politique à la table familiale, mais l’arrivée des chars allemands à Lyon en mai 1940 provoqua en lui un véritable choc, redoublé quelques mois plus tard par la révocation de son professeur de philosophie Dreyfus Le foyer ; il était en outre indigné à la lecture des atrocité commises pendant la Guerre d’Espagne et commença à sentir le besoin d’engagement.
Après l’obtention du baccalauréat à double mention (mathématiques et philosophie), il traversa le Rhône pour aller au lycée du Parc préparer, à partir de l’année 1942-1943, le concours de l’École normale supérieure. Moniteur dans une colonie catholique de vacances, il fréquenta les Compagnons de France avant leur dissolution et participa à un chantier de jeunesse dans le Jura. Il lisait parfois, puis régulièrement, les publications clandestines de Témoignage chrétien. L’absence de consignes de la hiérarchie catholique ne l’incitait pas à s’engager ouvertement dans la Résistance. Vivant comme chrétien résistant, Il se contenta d’une activité épisodique d’agent de liaison de L’Équipe, fut versé comme stagiaire, de mai à juillet 1944, à l’école des cadres de Forces françaises de l’Intérieur à Uriage (Isère), puis envoyé à Menton (Alpes-Maritimes et enfin à Bordighera (Italie), terminant ce stage au grade d’aspirant.
Reçu au concours d’entrée à l’École normale supérieure en novembre 1944, interne à partir d’octobre 1945, Maurice Caveing termina la licence de lettres classiques. Ayant le choix entre plusieurs spécialisations, il opta pour la philosophie. Dans le groupe normalien de philosophie, inspiré par les orientations de Spinoza, il rédigea, sous la direction de Gaston Bachelard, un diplôme d’études supérieures sur Marx et le matérialisme de l’Antiquité. Intéressé par les débats d’idées autour de la question du communisme et de l’athéisme, son travail était consacré à la critique des conceptions d’Hegel par Marx et à la définition du matérialisme historique.
Il fut désigné par les élèves pour présenter à la direction les revendications devant la pénurie alimentaire, puis, avec d’autres normaliens, il participa à la création d’un syndicat des étudiants adhérant à la Fédération de l’Éducation nationale et à la CGT dont il fut le premier secrétaire (hiver 1946-octobre 1947) et fut le premier secrétaire du Cartel intersyndical des ENS. Il contribua dans ce cadre à la réflexion qui aboutit à la création de l’Union des Grandes Écoles. Il joua un rôle important lors de la création du ciné-club.
Inscrit au cercle personnaliste, Caveing eut de nombreux contacts avec les élèves communistes qui publiaient Le cothurne rouge tout en participant lui-même aux activités des « talas », qui soutenaient le Mouvement républicain populaire dont il s’éloigna progressivement pour rejoindre l’Union des chrétiens progressistes. Actif par ses écrits, il participa aussi à des initiatives des chrétiens (enquête de la revue Esprit, « Monde chrétien, monde moderne », article dans la publication de l’Action catholique de la Jeunesse de France). Tout au long de cette période, il se sentit de moins en moins chrétien et de plus en plus communiste, luttant toujours contre l’anticommunisme dans ces milieux. Pendant toute cette période, il suivit avec passion les théories philosophiques sur l’existence et sur l’athéisme.
L’UCP le désigna dans la délégation lors de la création du Mouvement de la Paix. Il devint à la fin de 1948 membre de son conseil national et milita activement pour le succès de l’Appel de Stockholm. La date de son adhésion au Parti communiste français varie selon ses souvenirs (fin 1947 ou fin 1950). Il conservait de forts liens avec les militants de l’UCP qui disparut en 1951. Il se considéra comme un adhérent PCF de la cellule de l’ENS, suivie par l’ancien normalien Georges Cogniot. Il adopta alors les pratiques militantes communistes tout en conservant de forts liens avec ses anciens amis chrétiens.
Reçu à l’agrégation de philosophie en 1948, il fut nommé successivement professeur aux lycées de Nîmes (Gard), de Montpellier (Hérault) et de Rouen (Seine-Inférieure/Maritime). Son activité militante le fit participer à de nombreuses réunions publiques, présenté le plus souvent comme membre de la direction du Mouvement de la Paix.
Il Caveing se maria en novembre 1948 à Nîmes avec une étudiante, native de Basse-Terre (Guadeloupe).
Maurice Caveing enseignait aussi à l’Université Nouvelle (rive gauche), Les thèmes développés suivaient le contenu de la théorie marxiste-léniniste et devaient préparer l’édition, en juin 1954, d’un manuel Principes fondamentaux de Philosophie qui prolongeait le manuscrit de Georges Politzer. Y étaient rassemblés, selon lui, des vérités sur les « apports de la pratique révolutionnaire » et ses « déviations ». Personnellement, il s’interrogeait sur l’évolution du communisme dans le monde et particulièrement du modèle soviétique. En contact avec des intellectuels de l’Union française, il commença à douter sur le rôle positif du PCF dans sa politique vis-à-vis de l’Union française, et plus largement du communisme soviétique vis-à-vis de ce qui était en train de devenir le Tiers Monde. Devenu incontournable, présenté comme un « collaborateur du comité central », il fut chargé des cours de philosophie aux écoles centrales du PCF et, devint un des responsables du Centre d’études sociologiques créé par la fédération communiste de Paris. Il refusa d’entrer au comité de rédaction de La Nouvelle Critique tout en y signant des articles. Lors de la publication en 2008 aux Presses universitaires de France des articles de Jean-Toussaint Desanti sous le titre La pensée captive dans sa présentation, il exprima ses conceptions d’alors. Progressivement, des doutes apparurent sur le bien-fondé de la politique du PCF, ce qu’il désigna sous le nom de « lézardes » (Tiers Monde, politisation des grèves, politique de la famille, morale, théorie de la paupérisation absolue, les deux sciences, fréquentation du couple Jean-Toussaint Desanti-Dominique Desanti.
A partir de 1956 et du XXe congrès du PCUS, Maurice Caveing fit partie du groupe d’intellectuels communistes qui fondèrent la revue Voies nouvelles en avril 1958, désireux, dans le cadre du PCF, d’accélérer la déstalinisation en rapport avec le mouvement de décolonisation. Dans ses deux articles des deux premiers numéros de la revue, il affirmait que la décolonisation devait permettre une « évolution économique et sociale » en France et dans l’ancien empire colonial, qu’il fallait renoncer « à toute étroitesse nationale ». Après un congé de maladie longue durée en 1958-1959, il reprit son service au lycée Janson de Sailly à la rentrée suivante mais cessa de militer. Nommé au lycée Henri IV à la rentrée 1963, il ne reprit pas sa carte du PCF.
En 1966, il fut un des fondateurs de Raison présente avec Ernest Kahane et Victor Leduc dans le cadre de l’Union rationaliste. Membre de son comité de rédaction jusqu’en 2005, il y écrivit plusieurs articles, dont le premier fut consacré au concile Vatican II. S’ajoutèrent des comptes rendus. Il exprima la nécessaire évolution du marxisme au contact des sciences sociales. Il cessa de s’intéresser au marxisme après son article dans le numéro 100, « Réflexions sur le marxisme et les sciences sociales ».
Après un travail sur Descartes en 1977, Docteur d’État après la soutenance en 1977 à l’Université de Paris X (Nanterre) de sa thèse La constitution du type mathématique de l’idéalité dans la pensée grecque dont le sujet était déposé depuis 1968, spécialiste des mathématiques dans l’Antiquité, il enseignait comme chargé de cours la logique et l’épistémologie à l’université de Paris X depuis sa fondation. Directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique (département des sciences de l’homme et de la société) à partir de 1982, il devint membre de l’Académie internationale d’histoire des sciences.
Il étudiait l’histoire des mathématiques dans une démarche historique jugée souvent comme imprégnée de positivisme et d’humanisme. Selon un compte rendu de son ouvrage Le problème des objets dans la pensée mathématique, dans la revue Philosophiques en 2005, il appartenait à la « tradition française de l’épistémologie historique ».
En 2017, Maurice Caveing termina Regards 93 (éditions Les Impliqués), ouvrage de 146 pages avec, sur la couverture, la mention « récit d’une vie simple ».
Par Jacques Girault
OEUVRE : Le fichier de la BNF en 2021 comprenait 16 références dont
avec Politzer (Georges) et Besse (Guy), Principes fondamentaux de philosophie de Georges Politzer, Éditions sociales, 1954,
Zénon d’Élée : prolégomènes aux doctrines du continu : étude historique et critique des fragments et témoignages, Vrin, 1982,
La constitution du type mathématique de l’idéalité dans la pensée grecque, Presses universitaires de Lille, Septentrion, 1994,
Essai sur le savoir mathématique dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, vol. 1, Septentrion, 1994,
La figure et le nombre - Recherches sur les premières mathématiques des Grecs, vol. 2, 1997
L’irrationalité dans les Mathématiques grecques jusqu’à Euclide, vol. 3, Septentrion, 1998,
Le problème des objets dans la pensée mathématique, Vrin, coll. « Problèmes et controverses », 2004.
SOURCES : Archives du comité national du PCF. — biographie par Guy Bruit, Raison présente, 2019. — Jean-François Kessler, De la gauche dissidente au nouveau Parti socialiste, Privat, 1990. — Wikipédia.