Par Lucien Bianco
Né le 30 novembre 1886 dans le xian de Yilong (Sichuan septentrional) ; mort en juillet 1976 à Pékin. Commandant en chef de l’Armée rouge pendant les Soviets du Jiangxi, la guerre sino-japonaise et la guerre civile.
La carrière historique de Zhu De n’a duré que vingt-deux ans (moins du quart d’une longue existence), mais ce furent les vingt-deux années décisives de la révolution chinoise : de 1927 à 1949. Il a commandé l’Armée rouge à ses débuts (mille à deux mille partisans mal armés), il la commandait encore au moment de la victoire, lorsque ses effectifs dépassaient un million d’hommes, doublés d’autant de miliciens cultivateurs, prêts à faire le coup de feu au moindre appel.
Né comme Deng Xiaoping (鄧小平) dans le Sichuan, Zhu De appartenait en fait à une famille venue du Guangdong au début du XIXe siècle et qui continuait à parler cantonais. Famille de paysans ruinés, mais (car ?) prolifique : interviewé par Agnès Smedley, Zhu De se rappelle sa mère comme une femme « toujours enceinte, toujours lavant, cousant, nettoyant, cuisinant, charriant de l’eau et faisant aux champs le travail d’un homme ». Elle a mis au monde treize enfants, mais les cinq derniers, on les a noyés à la naissance. L’infanticide des cadets de Zhu De : expérience aussi symbolique que la pendaison du frère aîné de Lénine. Celle-ci a pu inciter le Robespierre de notre siècle à rejeter très tôt la voie du terrorisme, celle-là fait du Carnot chinois le frère et l’égal des millions de paysans qu’il a entrepris de libérer. Le village natal de Zhu De, une grande route le traverse, qui apporte aux habitants, outre les denrées de première nécessité, l’unique ouverture sur le monde : c’est sur la « grande route » que « Petit Chien » — tel était le surnom de Zhu De enfant (les familles paysannes donnaient souvent aux enfants mâles des noms d’animaux destinés à tromper les mauvais esprits. Les filles elles, comptaient si peu que les esprits ne leur voulaient aucun mal.) — apprend de la bouche de voyageurs l’existence de villes comme Chungking (vers le Sud), Xi’an (vers le Nord) et, tout au loin, Pékin, où réside son Altesse, l’impératrice Cixi (Ts’eu-hi). Il découvre par la même occasion que la Chine est plus grande que le Sichuan, mais qu’elle est sans cesse humiliée et battue par des barbares étrangers. Lorsque, entendant lui-même parler avec des années de retard de la guerre sino-japonaise (la première, celle de 1894-1895, pas la seconde, à la faveur de laquelle il décuplera un demi-siècle plus tard les forces de l’Armée rouge), il annonce aux siens que les Japonais ont détruit la flotte chinoise et chassé « notre » armée de Corée et du sud de la Mandchourie, sa famille ne réussit pas à se représenter le danger. Mais elle est fière d’un fils (et d’un neveu : avant l’âge de dix ans, Zhu De a été recueilli par son oncle paternel) capable d’évoquer des contrées aussi lointaines : un jour, on fera de lui un mandarin ! Aussi chacun se sacrifie-t-il pour l’envoyer étudier à la ville. Et lorsque, beaucoup plus tard, le jeune homme rentre chez lui muni d’un diplôme, on fait la haie pour l’accueillir, on se prosterne devant lui. Tous les membres de la famille emploient pour s’adresser au prodige les formules d’humilité de rigueur chez les pauvres, en présence des riches et des puissants (ou des instruits, que leur peau d’âne destine à devenir riches et puissants). On a préparé une chambre pour lui seul, avec les meilleurs meubles et même une lampe pour s’éclairer et lire le soir ! On lui réserve une nourriture de choix, on l’empêche de faire le moindre travail manuel, chacun est suspendu à ses paroles « comme si des joyaux allaient s’échapper de ses lèvres ». Mais las ! Zhu De confesse son intention de devenir moniteur d’éducation physique dans une école moderne qu’il compte ouvrir au chef-lieu du xian, avec quelques condisciples. A peine a- t-il expliqué à son père la signification du mot « éducation physique », celui-ci explose (« apprendre à faire des mouvements de bras et de jambes, c’est à la portée du premier coolie venu ») et s’enfuit pour ne reparaître qu’une fois son fils disparu de la maison. Au bout de quelques mois, le jeune moniteur (il a tout juste vingt et un ans) est inculpé d’enseignement indécent et la première école moderne qu’ait connue le xian de Yilong est fermée. Elle rouvre bientôt, sous la pression des « progressistes » (parents d’élèves et réformateurs éclairés), mais dès l’année suivante, Zhu De fait pis encore : il part avec quelques jeunes Sichuanais étudier à l’École militaire du Yunnan. Appartenir à l’armée, le rebut de la terre ! Quand il revient annoncer la nouvelle aux siens, un soir de décembre 1908, on le croit fou : d’avoir trop étudié lui a tourné la tête. Il aggrave son cas en se prétendant sain d’esprit, mais désireux de sauver sa patrie de la domination des Mandchous et des étrangers. Personne ne lui dit au revoir, lorsqu’il quitte la maison le lendemain matin, après y avoir passé une seule nuit. Il ne reverra les siens que dix ans plus tard lorsque, l’heure enfin venue de rembourser, il les fera venir à son quartier général.
C’est par nationalisme « pan-chinois » que Zhu De veut se faire militaire, mais lorsque au bout d’un voyage de près de trois mois — une véritable expédition — il parvient enfin à Kunming, capitale de la province voisine, et qu’il réussit l’examen d’entrée à l’École militaire, on ne l’admet pas pour autant : parce qu’il est originaire du Sichuan. Les portes s’ouvrent en revanche, dès qu’il réussit à se faire passer pour un natif du Yunnan. Malgré le provincialisme sourcilleux de son administration, l’École militaire de Kunming n’en compte pas moins parmi ses professeurs plus d’un membre du Tongmenghui (Ligue jurée : voir Sun Yat-sen (孫逸仙)), auquel le jeune cadet ne tarde pas lui-même à adhérer. Il adhère aussi à la Société des Aînés et des Anciens (Gelaohui), l’une des sociétés secrètes les mieux implantées dans la Chine du Sud-Ouest. Diplômé en juillet 1911, à près de vingt-cinq ans, de l’École militaire du Yunnan, Zhu De est à peine plus précoce que son cadet et futur complice Mao Tse-tung (毛澤東), qui décrochera, lui aussi dans sa vingt-cinquième année, le diplôme d’une École normale d’instituteurs. Diplômé en 1918, Mao est presque aussitôt happé dans le tourbillon du 4 mai. Sept années auparavant, le renversement d’un Empire millénaire a fourni une occasion comparable à son aîné : dès octobre 1911, le sous-lieutenant Zhu De participe à la tête d’une compagnie de l’armée de Cai E à la révolte qui chasse du Yunnan les autorités impériales. En 1915-1916, il prend part, toujours sous les ordres de Cai E, à une nouvelle campagne républicaine : celle qui vise à empêcher Yuan Shikai de restaurer l’Empire. Mais entre-temps — en moins de cinq ans — le jeune sous-lieutenant est devenu général de brigade et il poursuit désormais, en pleine période des seigneurs de la guerre, une carrière de militaire et potentat provincial, un temps (en 1921) chef de la Sécurité publique du Yunnan. Cette carrière dorée n’en comporte pas moins des aléas : avant même que l’année 1921 s’achève, des vicissitudes politiques contraignent Zhu De à battre en retraite en direction des confins du Sichuan et du Tibet (il parcourt un bout du chemin qu’il refera treize ans plus tard durant la Longue Marche et franchit même la rivière Dadu (voir Huang Yongsheng (黃永勝)), puis à s’enfuir à Chungking. Pendant toutes ces années, le futur chef de l’Armée rouge qui saura donner à ses soldats paysans l’exemple de l’endurance et de la frugalité paraît avoir mené l’existence typique d’un petit « seigneur de la guerre » : beuveries et banquets, opium et concubines, corruption et népotisme... Aussi Chen Duxiu (陳獨秀) témoigne-t-il d’une prudente réserve, lorsque Zhu De vient le trouver à Shanghai pour solliciter son admission dans le Parti communiste, fondé l’année précédente. Ce que Chen refuse durant l’été 1922, Zhou Enlai (周恩來) l’accorde sans difficulté six mois plus tard à Berlin : nul doute qu’à ses yeux l’expérience et la compétence du général compensent les compromissions du « seigneur de la guerre ».
A l’automne 1922, les étudiants exilés qui animaient en France, en Belgique, en Allemagne, des sections du P.C.C. presque aussi précoces (et moins squelettiques) que celles de la mère-patrie ont en effet vu débarquer à Marseille une étrange recrue : un général de trente-six ans, opiomane reconverti, qui venait tout juste de subir une cure de désintoxication à Shanghai, afin de commencer une vie nouvelle. Si le nationalisme humilié est à l’origine de la vocation révolutionnaire de Zhu De (du communisme il connaissait et appréciait surtout l’anti-impérialisme déclaré), on sait en revanche fort peu de choses de la crise qui l’a soudain décidé à changer d’existence, après son revers du Yunnan. Plutôt, en tout cas, que de mettre d’emblée son bras au service de la révolution, il a voulu d’abord devenir un homme moderne, en allant chercher en Europe le secret de la modernité. Il a cependant moins appris (un peu d’allemand et des rudiments de marxisme) que milité pendant son séjour de trois ans en Allemagne (1922-1925). En 1924, il contribue à la rédaction d’un petit hebdomadaire ronéotypé, Zhengzhi zhoubao (La Semaine Politique), édité par la section berlinoise du G.M.D. L’année suivante, il est arrêté deux fois, puis expulsé. Après un bref séjour à Moscou, il regagne son pays juste avant le départ de la Beifa (1926). Il s’en va aussitôt dans sa province natale tenter de gagner à la cause révolutionnaire une vieille connaissance : le général Yang Sen, seigneur de la guerre établi à Wanxian, dans l’est du Sichuan. Yang nomme Zhu à la tête du Département politique de son armée, mais ne tarde pas à s’inquiéter de la progression de l’influence communiste parmi ses troupes : sur le point d’être arrêté, Zhu De a tout juste le temps de s’enfuir. Au début de l’année 1927, il est à Nanchang, prêt à renouveler l’expérience de Wanxian avec un autre général. Une différence de taille cependant : le général en question, Zhu Peide, n’est pas un seigneur de la guerre, mais un général de l’armée nationaliste et donc, aussi longtemps que dure l’alliance G.M.D.-P.C.C., un partenaire dans le combat contre la vieille Chine. Pour autant, Zhu De se garde bien de révéler son appartenance au P.C.C., ce qui lui permet d’être bientôt nommé à la tête d’une académie militaire à Nanchang : poste-clef dans une ville où les communistes s’apprêtent à déclencher la fameuse insurrection du 1er août 1927 (voir He Long (賀龍), Ye Ting (葉挺)). Zhu De participe à la préparation de l’insurrection, puis au comité révolutionnaire de vingt-cinq membres formé après la prise de la ville.
Quelques jours plus tard, Zhu De fuit vers le Sud, en compagnie d’une bonne partie de l’élite du P.C.C. Il ne commande qu’un régiment (Ye Ting deux divisions et He Long trois), mais avec ces rescapés mal en point et quelques autres guère mieux lotis, il est à la veille d’entreprendre l’épique conquête qui le mènera vingt-deux ans plus tard à Pékin. Cette épopée, point n’est besoin de la conter à nouveau ici (voir l’Historique d’Yves Chevrier, en tête du volume). Précisons seulement le rôle central qu’y tint Zhu De, presque dès l’origine. Préservée du désastre de Shantou (Swatow) à la fin du mois de septembre 1927 (voir Ye Ting (葉挺)), l’arrière-garde des fuyards de Nanchang demeurée à cent kilomètres plus au Nord réussit, au prix de nombreuses défections, à gagner le Hunan méridional et à y établir, en janvier 1928, l’éphémère « soviet » de Yizhang. Zhu De commande cette troupe de moins d’un millier ou de quelques milliers d’hommes (dont Chen Yi (陳毅) et Lin Biao (林彪)), qui s’unit quelques mois plus tard à celle de Mao Tse-tung, descendue des Jinggangshan. Cette jonction historique donne naissance à la fameuse 4e Armée rouge (officiellement, les communistes font remonter la création de l’Armée rouge à l’insurrection de Nanchang, mais c’est la fusion, à l’époque passée inaperçue, des troupes de Mao et de Zhu qui constitue le noyau initial des forces communistes). Zhu et Mao réoccupent les Jinggangshan, incorporent des troupes de bandits dans leur armée de partisans, reçoivent à l’automne le renfort de Peng Dehuai (彭德懷) et de l’unité qu’il a soulevée. Moyennant quoi, leurs forces ne s’élèvent encore, vers la fin de l’été 1929, qu’à cinq mille hommes, dont la moitié seulement sont armés. Il est vrai qu’ils ont entre-temps dû abandonner les Jinggangshan et se séparer de Peng Dehuai, resté sur les confins du Jiangxi et du Hunan, tandis qu’eux-mêmes allaient guerroyer dans le sud de la province et dans l’ouest du Fujian. N’importe, ils tiennent et finissent par créer la base rurale la plus importante (30.000 km²) et la plus stable que les communistes aient contrôlée durant cette étape héroïque de la révolution agraire. Si de nombreux paysans du Jiangxi confondent dans une même vénération le commandant en chef de la 4e Armée (Zhu De) et son commissaire politique (Mao Zedong) — ne nomment-ils pas Zhumao le mystérieux bienfaiteur qui distribue les terres ? —, c’est surtout Mao qui convertit le succès en capital politique. Zhu De paraît s’être satisfait du rôle de second, moins brillant que solide. En décembre 1930, il condamne (de même que Peng Dehuai) les rebelles anti-maoïstes de Futian (voir Chen Yi), qui se sont efforcés de gagner à leur cause les deux principaux généraux de la base. Un an plus tard, lorsque est fondée dans le Jiangxi la République soviétique chinoise, c’est tout naturellement Mao qui en devient Président, Zhu De se contentant pour sa part des postes de commissaire aux Affaires militaires du gouvernement révolutionnaire et de commandant en chef des armées. Du moins, ces armées ont-elles beaucoup accru leurs effectifs et leur puissance. A la tête de forces qui finissent par atteindre deux cent mille hommes, Zhu De repousse des derniers jours de 1930 à 1933 quatre campagnes de « liquidation des bandits communistes ». La cinquième est victorieuse : sans réussir à « liquider » les communistes, elle les déloge du moins de leur base du Jiangxi. C’est le début de la Longue Marche (octobre 1934-octobre 1935), retraite de dix mille kilomètres longtemps dirigée par Zhu De et qui conduit les débris de l’Armée rouge à l’autre bout du pays, dans le Shanbei (nord de la province du Shenxi).
Lorsque les rescapés atteignent le Shanbei, Zhu De n’est plus des leurs : il a suivi vers l’Ouest, jusqu’aux confins du Tibet, le rival de Mao Tse-tung, Zhang Guotao (張囯燾). L’historiographie maoïste assure que Zhu De a été détenu par Zhang, qui l’aurait contraint à se séparer du gros de ses compagnons venus du Jiangxi avec lui, mais rien n’est moins sûr. Élu au B.P. en janvier 1934, Zhu De avait un an plus tard, pendant la conférence de Zunyi (voir Mao Tse-tung (毛澤東)), soutenu Mao. Mais il s’était détaché de lui auparavant, bien qu’il n’eût pas manifesté son désaccord de façon aussi tranchée qu’un Peng Dehuai ou un Liu Bocheng (劉伯承). Une trentaine d’années plus tard, la Révolution culturelle confirmera que Zhu était loin d’être un inconditionnel de Mao. Si leur association s’est maintenue jusqu’à la victoire, c’est en partie sans doute grâce à l’ambition plus modérée d’un Zhu conscient de ses limites. Mao Tse-tung, qui avait besoin d’un chef militaire pour mener à bien son entreprise, ne se serait pas accommodé d’un général qui eût brigué pour lui-même le premier rang.
Quoi qu’il en soit, la dissidence du Nord-Ouest n’a duré qu’un an : avant la fin de l’année 1936, Zhang Guotao et Zhu De rejoignent la base du Shanbei, où Mao Tse-tung s’est établi à l’issue de la Longue Marche. Zhu reprend le commandement en chef des Armées rouges et le conserve jusqu’à la victoire finale. Pendant les deux premières années de la guerre sino-japonaise, il commande assez souvent sur le terrain en Chine du Nord (surtout dans la province du Shanxi). A partir de la fin de l’année 1939, Zhu n’exerce plus guère le commandement direct des troupes : il dirige de Yan’an l’ensemble des opérations. Mais loin de se cantonner dans un rôle purement militaire, l’armée s’efforce de mobiliser la paysannerie et de promouvoir la production. Zhu De prêche lui même d’exemple : il fait sa part de labours, plaisante et rit avec les villageois, s’entraîne et fait du sport avec les soldats. Sans doute la propagande s’est- elle employée à conférer à « Vertu rouge » (c’est le sens des deux caractères : Zhu De) les traits d’un héros de légende, mais le personnage s’y prêtait : affable, enjoué, ni prétentieux, ni dogmatique, Zhu De se trouvait de plain-pied avec les paysans, il était au fond demeuré l’un d’eux.
A la fin de la guerre sino-japonaise, lors du VIIe congrès du P.C.C. (avril-juin 1945), Zhu De occupe officiellement la seconde place dans la hiérarchie (en fait, Liu Shaoqi (劉少奇) et sans doute Zhou Enlai comptent dès cette époque plus que lui) et présente, avec Mao et Liu, l’un des trois grands rapports : le rapport sur les questions militaires, qui contient une histoire officielle de la croissance de l’Armée rouge au cours de la guerre. Après la capitulation japonaise, une série d’ordres du jour signés Zhu De (mais rédigés par Mao) enjoignent aux armées communistes d’accepter la reddition des Japonais et de leurs collaborateurs, de se saisir de leurs armes et d’occuper les territoires tenus par eux : ordres considérés comme nuls et non avenus par Chiang Kai-shek et l’armée nationaliste, qui s’efforce de prendre les Rouges de vitesse. Pendant la guerre civile, qui éclate un an plus tard, Zhu De continue de diriger l’ensemble des opérations des forces communistes, laissant ses cadets s’illustrer sur le terrain : Lin Biao, Liu Bocheng, Chen Yi, puis en Corée au lendemain de la victoire, Peng Dehuai.
Sexagénaire lorsque son camp triomphe enfin (et donc l’aîné des grands vainqueurs de 1949), Zhu De a vécu assez longtemps pour apprécier — ou déplorer — l’évolution du régime qu’il a contribué à fonder. Cette évolution, il n’en a pas orienté le cours. Il est même sans doute, parmi les premiers rôles d’avant 1949, celui dont l’influence a été la plus discrète, une fois qu’il s’est agi de gouverner et transformer le pays. Sans doute a-t-il cumulé titres et responsabilités, aussi bien civils que militaires. Demeuré commandant en chef de l’A.P.L. jusqu’en 1954, il a, bien sûr, été l’année suivante le premier des dix généraux promus à la dignité de maréchal. Premier vice-président du gouvernement dès 1949, il a été pendant cinq ans (1954-1959) vice-président de la République. A plusieurs reprises, il a représenté son parti ou son pays à l’étranger : par exemple de décembre 1955 à mars 1956 en U.R.S.S. et en Europe orientale, séjour au cours duquel il a eu la surprise d’entendre le premier secrétaire du P.C.U.S. dénoncer Staline... Quelques mois plus tard, lorsque le VIIIe congrès du P.C.C. a institué un comité permanent du B.P., Zhu De a naturellement fait partie de la demi- douzaine de dirigeants suprêmes élus membres de cet organisme. Cependant, dès cette époque, son rôle au sein du comité permanent du B.P. était éclipsé par celui de ses cadets. L’un deux, Liu Shaoqi, obtint en 1959 le poste de Président de la République. Zhu a même fini par cesser d’appartenir au comité permanent, moins sans doute en raison de son grand âge que de la Révolution culturelle : lorsque celle-ci a éclaté, Zhu De a pris le parti des adversaires de Mao, de même qu’il avait pris la défense de Peng Dehuai en 1959. Bien que les journaux de Gardes rouges ne se soient pas fait faute de le traiter de « seigneur de la guerre », le rôle éminent qu’il avait joué à la tête de l’Armée rouge et la protection de Zhou Enlai ont préservé l’octogénaire d’avanies comparables à celles que subissaient à l’époque nombre de ses compagnons. Zhu De, qui retrouve son siège au comité permanent du B.P. dès 1973, a survécu jusqu’aux derniers moments de la Révolution culturelle : il est mort en juillet 1976, deux mois avant Mao et six mois après Zhou Enlai. Comme s’il avait attendu ses deux cadets, afin que les trois héros de la révolution chinoise (enfin, ceux que Plutarque aurait retenus) quittent la scène la même année. Dommage qu’il n’ait pas achevé sa quatre-vingt-dixième année, manquant de peu la chute de Jiang Qing : il serait parti heureux.
Par Lucien Bianco
ŒUVRE : Zhu De a peu écrit : des ordres du jour, des articles et allocutions sur la tactique militaire, le moral et la discipline des soldats, des souvenirs depuis 1949. Outre BH IV, 178, voir les articles mentionnés dans les bibliographies de Chun-tu Hsüeh (1960 et 1962) et Hu Chi-hsi (1971). Le rapport de Zhu au VIIe congrès (1945), Lun jiefangqu zhanchang, a été traduit en anglais sous le titre The Battle Front of the Liberated Areas (Pékin, Éditions en Langues Étrangères, 1952). Une anthologie vient d’être publiée à Pékin sous le titre Selected Works of Zhu De.
SOURCES : Outre KC, BH et WWCC, voir surtout : Smedley (1956, traduction française 1969). Voir aussi : Carlson (1940). — MacFarquhar (1983). — Smedley (1938 et 1943). — Snow (1938, traduction française 1965). — Wales (1939). — Wilbur (1983). — Parmi les biographies postérieures, parfois hagiographiques, retenons celle de Liu Xuemin (2000).