VACHER Georgette, née FABRE Georgette, Rose, Julie

Par Fanny Gallot

Née le 3 septembre 1929 à Ha Giang (Tonkin, Vietnam), morte le 20 octobre 1981 à Bron (Rhône) ; sœur du Prado (1953-1962) puis ouvrière spécialisée chez Calor (1963-1981) ; syndicaliste CGT, membre du bureau de l’UD-CGT du Rhône (1975-1981), responsable du secteur féminin de l’UD-CGT (1977-1981) ; militante communiste.

Nous avons peu d’informations sur l’enfance et le milieu d’origine de Georgette Vacher, née Fabre, fille de Marcel Fabre et Mathilde Brun. Certaines sources évoquent un père officier de marine, hypothèse qui serait cohérente avec sa naissance au Tonkin. Elle fut « prof de gym » et institutrice dans une école privée d’Oullins (Rhône) dans la banlieue lyonnaise, signe qu’elle avait suivi une scolarité prolongée. Elle se maria tôt, enceinte, et perdit cette seconde famille dans un accident de voiture au cours duquel ses jumeaux, son conjoint et la mère de celui-ci trouvèrent la mort. Le 6 octobre 1953 elle entra chez les sœurs du Prado, un ordre tourné vers les pauvres. Vivant en communauté, elle prononça son premier engagement le 11 août 1958, et son engagement définitif le 11 août 1959. Là, elle rencontra la solidarité en action, côtoyant des militants et militantes divers : ACO, Association syndicale des familles, militants du PCF, de l’UGS, engagés dans la lutte contre la guerre en Algérie ou dans le Mouvement de la paix. Tandis que les débats étaient houleux dans l’Eglise où des militants chrétiens cherchaient à faire reconnaître leur engagement auprès des organisations de la classe ouvrière, la solidarité qu’elle découvrit dans le quartier de la Saulaie la conduisit à une rupture avec sa communauté religieuse. En 1961 elle adhéra à la CGT et, l’année suivante, en désaccord avec le Prado, elle quitta l’institution et abandonna son statut de religieuse. La responsable générale des sœurs du Prado aurait alors déclaré au père de Georgette Fabre qu’elle se lançait à corps perdu dans l’action ouvrière. Elle aurait alors vécu dans des conditions difficiles. C’est à la paroisse Saint-Alban, dont Marcel Vacher était le curé, qu’elle retrouva une équipe d’ACO très vivante qui lui apporta le soutien dont elle avait besoin. Par son intermédiaire, elle s’engagea dans le mouvement ouvrier chrétien. Plus tard en 1973, elle l’épousa lorsqu’il quitta l’Eglise, se trouvant en conflit avec la hiérarchie à propos de la prise en compte des aspirations de la classe ouvrière dans l’institution. Elle resta marquée par ce combat car elle publia en 1980 un recueil de poèmes, intitulé Il faut aimer, dans lequel elle aborda sa lutte contre l’Institution-Eglise, pour que « l’évangile soit vécu par tous ».

Georgette Fabre se fit embaucher comme ouvrière spécialisée chez Calor en 1963 et prit rapidement des responsabilités à la CGT même si elle disait avoir déjà bien conscience que c’était « pour qu’il y ait une femme ». En 1965, au XXVe congrès de la CGT (Ivry-sur-Seine), elle intervint sur son entreprise, qui comptait alors 900 femmes sur 1 200 travailleurs. De 1968 à 1974 elle fut responsable du syndicat des métaux. Elle intégra également le bureau de la Fédération CGT de la Métallurgie élu en novembre 1966 et siégea au comité fédéral jusqu’en 1973. Elle milita parallèlement à l’Action catholique ouvrière (ACO) dont elle fut membre du comité national de 1971 à 1974. À cette date, elle entra en conflit avec l’ACO du Rhône, qu’elle quitta alors avec certains de ses membres. Dans le même temps, elle fut également militante communiste, semble-t-il à partir de 1968. En mai 1973, elle intervint au cours des débats de la Ve conférence des femmes salariées pour regretter l’attention insuffisante accordée à la promotion des cadres féminins au sein de la CGT. En 1975, elle fut élue au bureau de l’Union départementale du Rhône et en 1977 elle prit la responsabilité du secteur féminin de l’UD. La même année, son mari Marcel Vacher décéda, le 6 novembre 1977, d’une congestion cérébrale. L’ouvrière syndicaliste et permanente de l’UD du Rhône s’était beaucoup investie dans la VIe conférence des femmes salariées où elle fut à la tribune et siégea à la commission des mandats. Sur son impulsion, le secteur féminin du Rhône rédigea une brochure intitulée « Le 40e congrès et les femmes ». Tout en prenant soin de se dissocier du féminisme, elle organisa des conférences locales des femmes salariées en 1979 et reprit la liberté de ton exprimée lors de la VIe conférence, puisqu’elle mit publiquement en cause le comportement de certains de ses camarades lors du XXVIIe congrès de l’UD du Rhône, en 1978, durant lequel une demi-journée fut consacrée aux femmes salariées, avec la présence de Christiane Gilles* du bureau confédéral. Elle organisa également la fête des trente ans d’Antoinette, avec le soutien de femmes artistes CGT qui vinrent aider les militantes à chanter elles-mêmes des poèmes mis en musique pour l’occasion.

Dans le même temps, elle s’inquiétait des retours en arrière qu’elle percevait dans la confédération tant au niveau du secteur féminin qu’au niveau de l’orientation générale, en particulier en ce qui concernait la Pologne, où elle considérait qu’un « espoir s’[était] levé pour la classe ouvrière internationale », ou l’Afghanistan. En effet, ayant participé au XLe congrès de la CGT, à Grenoble, en novembre 1978, elle s’inscrivait dans la dynamique d’ouverture enclenchée, avant de constater la reprise en main progressive qui s’opérait dans le syndicat. À partir de là, elle s’opposa progressivement à la ligne majoritaire de la CGT. En juin 1980, lors d’une journée organisée par la CGT sur les discriminations exercées contre les femmes, Georgette Vacher critiqua une secrétaire confédérale pour ne pas avoir donné la parole aux femmes du Rhône car elles étaient « trop avancées ». Globalement, entre 1977 et 1982, elle consacra tout son temps au syndicat. Pourtant, elle conserva une certaine indépendance vis-à-vis de la culture cégétiste, dans les relations qu’elle continuait d’entretenir avec des militant-e-s catholiques ou encore dans ses échanges avec des amies féministes.

Le 6 mars 1980, le patron de Calor décida de licencier Georgette Vacher, alors qu’elle était toujours déléguée au comité d’entreprise. Il invoqua « de nombreuses absences » et le fait qu’elle « n’a pas effectué une heure de travail ». Malgré les refus du comité d’entreprise et de l’Inspection du Travail, la direction fit appel au ministère du Travail qui confirma la décision de l’inspecteur du Travail, le 13 octobre 1980. Finalement, malgré un recours du patron de Calor au Tribunal administratif, le refus de licenciement fut confirmé. Mais, devant ces difficultés, Georgette Vacher ne se sentit pas soutenue par l’UD. Le 21 avril 1981, lors d’une réunion de bureau de l’UD — qu’elle enregistra clandestinement —, la direction locale lui fit part de nombreux reproches tels que ses relations avec l’extrême gauche et la CFDT ou sa façon de diriger le secteur féminin comme un « état dans l’état », ainsi que de remarques personnelles qui la conduisirent à considérer cette réunion comme un « procès ». Puis, le 28 septembre 1981, la commission exécutive de l’UD lui retira la responsabilité du secteur féminin, tandis qu’une partie de son syndicat Calor la désavoua, avant de distribuer une lettre qui justifiait le manque de confiance du syndicat CGT envers elle, en octobre 1981.

La veille du XXIXe congrès de l’UD-CGT du Rhône, qui se tint du 21 au 23 octobre 1981, Georgette Vacher mit fin à ses jours après avoir préalablement laissé quatre cassettes audio et cinq lettres d’adieu (lettre aux travailleurs et travailleuses de Calor ; lettre aux camarades de la cellule PCF de Calor ; lettre aux camarades du secteur féminin ; lettre à la commission exécutive de l’UD du Rhône ; lettre au Bureau confédéral de la CGT), un texte intitulé « Quelques réflexions sur le retrait de mes responsabilités par la commission exécutive de l’UD », une lettre ouverte à George Churlet*, secrétaire général de l’UD-CGT du Rhône et de nombreux poèmes. Elle y raconta son histoire, développa sa conception du syndicalisme en opposition avec ce qu’elle observait des permanents de l’UD et expliqua son geste en mettant en accusation l’UD du Rhône. La plupart de ces documents ont été regroupé, retranscrits et publiés à titre posthume par l’Association Georgette Vacher dans des Ecrits (1981) et dans un ouvrage intitulé Chacun compte pour un (1989).

S’il pose la question de l’engagement absolu d’une militante qui parlait d’une « histoire d’amour avec la classe ouvrière », le suicide de Georgette Vacher a suscité des remous importants dans la CGT et au-delà, dans la mesure où des mémoires conflictuelles se sont forgées dans les années 1980 et 1990. Certaines militantes ont souhaité continuer le combat mené par la syndicaliste et politiser son suicide ; d’autres, au contraire, ont cherché à le dépolitiser : la direction confédérale et départementale de la CGT mit ainsi en avant les difficultés personnelles de la vie de Georgette Vacher pour expliquer son geste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article185670, notice VACHER Georgette, née FABRE Georgette, Rose, Julie par Fanny Gallot, version mise en ligne le 28 septembre 2016, dernière modification le 28 septembre 2016.

Par Fanny Gallot

ŒUVRE : avec Marcel Vacher, Il faut aimer, La pensée universelle, 1980. — Chacun compte pour un, M.B. Composition/Edition-Lyon, 1989.

SOURCES : Fonds Georgette Vacher, Bibliothèque Marguerite Durand. — Institut d’histoire sociale CGT du Rhône, un dossier. — Institut d’histoire sociale CGT, dossier Rhône, 43 CFD 13, 34, 85. — Fonds Chantal Desvigne, membre du secteur féminin de l’UD CGT du Rhône jusqu’en 1981, Bibliothèque Marguerite Durand. — Arch. PPo. Dossier RG de Breteau. — Catherine Simon, Syndicalisme au féminin, Paris, EDI, collection « Questions clefs », 1981. — Raphaëlle Marx, Debout, les damnées de la terre !, les commissions féminines de la CGT du Rhône, 1970-1982, Mémoire de maitrise, sous la direction de Mathilde Dubesset, Université Pierre Mendès France, IEP Grenoble, 2002. — Fanny Gallot, « Les vies posthumes de Georgette Vacher dans les années 1980 : entre histoire, mémoires et fiction », in Vincent Flauraud et Nathalie Ponsard (dir.), Histoire et mémoire des mouvements sociaux au XXe siècle Regards croisés sur la France et le Puy-de-Dôme, Nancy, l’Arbre bleu, 2013. — Entretiens effectués par Jean Pierre Thorn pour la réalisation de son film J’t’ai dans la peau (1989). — Lettre de la responsable générale des Sœurs du Prado, janvier 2010 et renseignements recueillis par Jocelyne George. — Notes de Slava Liszek.

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