LE FLEM Louis

Par Jean-Paul Nicolas, Rebecca Shtasel

Né le 10 mars 1918 à Quimper (Finistère), abattu le 17 février 1944 en s’évadant de la prison de l’Arsenal au Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) ; ouvrier métallurgiste d’aéronautique ; CGT clandestine.

Plaque posée au 22, Rue Belloncle, dernier domicile de Louis Le Flem, quartier Saint-Léon, Le Havre
Plaque posée au 22, Rue Belloncle, dernier domicile de Louis Le Flem, quartier Saint-Léon, Le Havre

Louis Le Flem était l’enfant naturel de Marie-Catherine Caradec, femme de chambre à Quimper en 1918. Il porta le nom de sa mère, Caradec, dans un premier temps. Puis, selon les termes employés par l’état-civil, il fut légitimé par le mariage de Jean Le Flem avec la mère de l’enfant en 1920 à la mairie du Havre et prit le nom de Le Flem.
Louis travaillait dans l’importante usine d’hydravions Bréguet du Havre, célèbre dans l’histoire sociale française pour avoir été le théâtre en 1936 de la première grève, en France, avec occupation d’usine et ceci quelques semaines avant le mouvement général de juin 1936. La lutte des Bréguet fut un succès grâce à la solidarité du monde ouvrier havrais qui fit bloc autour de l’usine et permit la réintégration des syndicalistes sanctionnés pour avoir participé à la grève du 1er mai 1936. Au cours de ce mouvement, l’impopulaire directeur Robert Lechenet qui faisait régner dans l’entreprise une atmosphère disciplinaire avait été séquestré par les ouvriers en colère. Les Bréguet, avec leur mouvement avaient joué un rôle de pionniers qui s’était étendu à toute la France laborieuse de juin 1936.
En 1937, la société Bréguet est nationalisée en raison de son intérêt stratégique et prend le nom de SNCAN (Sté Nationale de Construction Aéronautique du Nord). En 1938 cette usine compte 920 employés. La grève du 30 novembre 1938 est l’occasion de licencier trente syndicalistes indésirables, c’est la revanche de Mai et juin 1936 sur les militants syndicaux. Louis Le Flem occupait l’emploi d’ajusteur-monteur en tôles à la SNCAM depuis 1935. Il avait donc participé à la lutte de mai 1936 mais était absent au moment du licenciement des militants le 30 novembre 1938 pour cause de service militaire. C’est en octobre 1938 qu’il est appelé au bataillon de l’air comme la plupart des travailleurs de l’aéronautique. Son service militaire se trouve prolongé de trois mois par l’entrée de la France en guerre. Démobilisé après la défaite de 1940, il réintègre son poste à la SNCAN à l’âge de vingt-deux ans. Durant les années noires, il va se révéler un militant chevronné de la CGT clandestine. Louis Eudier indique dans le livre de ses souvenirs que le jeune Louis Le Flem était dès 1940 le responsable de la CGT clandestine de la SNCAN lors de la reconstitution du Syndicat des métaux havrais de l’été quarante sous l’apparence d’une organisation collaborationniste et donc légale, du régime de Vichy. Pour l’organisation syndicale, revendiquer en ces temps d’occupation, c’est la première des formes de résistance, y compris en pénétrant les syndicats légaux de Pétain. La Charte du travail est appliquée par la direction de l’usine : le Comité Social issu des lois de Vichy ne compte que deux sièges ouvriers noyés parmi un aréopage de cadres de la direction. La direction opte pour des élections (facultatives dans les lois de Vichy) afin de désigner les deux représentants du personnel ouvrier au Comité Social.
Louis Le Flem, dont la candidature est régulièrement refusée par la direction, reçoit pourtant deux fois plus de voix que les deux candidats officiels. Sa popularité est donc grande parmi les personnels qui aspirent à retrouver le syndicat qu’ils avaient librement choisi avant la guerre.
Le 31 janvier 1944, on avait confié à l’ajusteur-monteur Louis Le Flem une tâche de fabrication réalisable en 75 heures. Il la réalisa en 140 heures et la direction décida de le déclasser. Devant cette injustice, le personnel de l’usine se mit en grève pour protester contre cette rétrogradation. Louis Le Flem, sentant le danger, déclara admettre son erreur et ne participa pas à cette grève d’une heure en sa faveur, appliquée dans tous les ateliers. Il resta parmi les quarante salariés de l’usine qui ne firent pas grève sur un effectif de mille travailleurs. Une grève durant l’occupation, cela alerta les Allemands qui étaient présents dans cette entreprise stratégique. La direction accusa Louis Le Flem de sabotage et le 7 février, il fut arrêté à son travail par la Gestapo. Enfermé à la prison de l’Arsenal proche des quais, Louis Le Flem s’en échappa dix jours après. Poursuivi par la police allemande, Louis Le Flem trouva la mort le 17 février dans des conditions non clairement élucidées. Une correspondance datant des lendemains de la Libération du Havre (septembre à décembre 1944) entre les renseignements généraux du Havre et le nouveau préfet, relate cette affaire havraise à la fin de l’occupation : Louis Le Flem est décrit comme suit par la police : « … un ouvrier travaillant à SNCAN (Bréguet, initialement écrit est rayé). Le patron est Lechenet (impopulaire), arrêté en octobre 1944 pour haute trahison. Le Flem est tout d’abord rétrogradé pour une pièce (aéronautique) d’ajustage mal faite. Les Allemands veulent l’arrêter avec d’autres pour sabotage. Le Flem, en cherchant à s’évader, tombe d’un immeuble ». Voilà pour la version policière immédiatement postérieure à la libération du Havre. Cependant, la mère de Louis Le Flem apporte son témoignage lors de sa plainte auprès de la police en octobre 1944, dans le cadre d’une enquête sur des faits de collaboration au Havre attribués à Robert Lechenet, directeur de la SNCAN. Extrait du procès- verbal "... Le 17 février à 6 heures du matin, mon fils s’évadait de la prison, poursuivi par les militaires allemands. Il était alors rejoint rue des Drapiers (proche de la prison, nda) et abattu. Je ne puis vous donner aucun autre détail complémentaire sur sa fin, car aucun renseignement ne m’a été communiqué. J’ai eu simplement l’autorisation de le voir quelques secondes à la morgue mais n’ai pas eu l’autorisation de le dévêtir".
Une plaque commémorative a été posée à l’entrée du domicile de Louis Le Flem, 22 rue Belloncle, dans le quartier Saint-Léon du Havre, proche des usines. Une rue excentrée du Havre porte le nom de Louis Le Flem dans le quartier de la Mare Rouge.
En 2015 et 2016, l’Union locale cgt du Havre a rassemblé les photographies de la plupart des résistants havrais fusillés ou morts dans les camps. Le portrait de Louis Le Flem n’ayant pas été trouvé, nous demandons aux personnes qui pourraient détenir une telle photo de la fournir au Maitron, afin que l’image de ce jeune homme tué à 26 ans apparaisse dans la présente notice biographique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article186189, notice LE FLEM Louis par Jean-Paul Nicolas, Rebecca Shtasel, version mise en ligne le 26 octobre 2016, dernière modification le 24 novembre 2019.

Par Jean-Paul Nicolas, Rebecca Shtasel

Plaque posée au 22, Rue Belloncle, dernier domicile de Louis Le Flem, quartier Saint-Léon, Le Havre
Plaque posée au 22, Rue Belloncle, dernier domicile de Louis Le Flem, quartier Saint-Léon, Le Havre

SOURCES : Arch. Dép. Seine-Maritime, Rouen Cabinet du Préfet 1940-44 : cote 51 W Cab 2/20 - 2Mi1987 R2 ; ADSM 51W71-70 ; ADSM 51W 428 (les fusillés). – Rebecca Shtasel, University of Sussex The Bréguet factory in Le Havre : a site of trade unionism from the Popular Front to the Liberation (2015).– Hommage aux fusillés et aux massacrés de la Résistance en Seine-Maritime , ouvrage de l’Association Départementale des Familles de Fusillés de Seine-Maritime (1992). – Louis Eudier Notre combat de classe et de patriotes (page 71) Imprimerie Duboc Le Havre. – 1936 ils ont osé, ils ont gagné - Histoire des grèves en Seine-Inférieure pages 5 à 22 Albert Perrot : la première occupation de 1936 en mai chez Bréguet Le Havre, ouvrage de l’IHS CGT de Seine-Maritime (1996).

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