Par André Balent
Quatorze civils habitants du hameau des Crottes (commune de Labastide-de-Virac, Ardèche) âgés de quinze à soixante-treize ans, ont été exécutés par des éléments de la 9e Panzerdivision Hohenstaufen, un autre âgé de trente-trois ans a été abattu, probablement lorsqu’il tentait de fuir. Le cadavre d’un inconnu, identifié par la suite, a aussi été retrouvé à peu de distance. Il s’agissait d’un combattant du maquis Bir Hakeim tué le 26 février lors du combat du mas de Serret. Une formation du maquis AS Bir Hakeim avait séjourné pendant deux jours au hameau ; la population qui l’avait accueilli et hébergé avait refusé de fuir.
Le maquis Bir Hakeim jusqu’à son installation dans la vallée de la Cèze (Gard) :
Bir Hakeim, formation militaire atypique affiliée à l’AS était devenu, au début de 1944, le maquis le plus puissant de la R3. Il avait été créé à Toulouse et dans sa région autour d’un noyau de militants résolus et déterminés. Jean Capel, le « commandant Barot » de l’AS, un Languedocien protestant et communiste, en fut, à partir de l’automne 1942, le concepteur et en devint le chef charismatique. Bir Hakeim, intégré au début comme maquis AS de la R4, s’installa en juin 1943 d’abord au hameau de l’Estibie (Aveyron) avec un premier noyau formé de jeunes résidents de Toulouse et de sa région. Bir Hakeim fut ensuite transféré, à partir du 25 août, sur plateau de Douch (Rosis, Hérault) dans le massif de l’Espinouse. Il y affronta, le 10 septembre, un assaut allemand et eut, ce jour-là, deux morts et quatre prisonniers (Voir Hameau de Douch (commune de Rosis, Hérault), 10 septembre 1943. Victimes du combat du maquis Bir Hakeim contre les Allemands.) De là, après s’être dispersé, il se transporta sur le plateau de Benou, près d’Eaux-Bonnes (Basses-Pyrénées/Pyrénées-Atlantiques), position difficile à tenir dans la zone interdite frontalière pyrénéenne. Aussi après avoir négocié, le « commandant Barot » obtint son transfert officiel dans la R3 (Montpellier). Il eut l’appui du chef régional maquis de cette région, Pavelet, alias « Villars » qui lui confia la mission de regrouper et d’unifier l’ensemble des maquis AS de la R3. Ayant établi son quartier général à Montpellier, il absorba plusieurs formations héraultaises de l’AS : groupes de l’AS autour de Clermont-l’Hérault animés par le capitaine Paul Demarne qui devint bientôt l’un des principaux lieutenants de Capel ; groupe franc montpelliérain d’Eugène Donati ; maquis AS de la Vacquerie (au-dessus de Lodève) commandé par Maurice Allion. Le groupe de Benou fut pour sa part transféré dans le Gard rhodanien dans la vallée de la Cèze, autour de Pont-Saint-Esprit et de Bagnols-sur-Cèze : d’abord au mas Terris dès le 3 décembre 1943, puis au mas de la Sivardière (5 janvier 1944) et enfin au mas de Serret (26 janvier 1944), ce dernier sur le territoire de la commune de Labastide-de-Virac, en Ardèche, tout près de la limite avec le Gard. Les maquisards eurent l’appui sans failles des résistants de l’AS de Pont-Saint-Esprit et bénéficièrent de nombreuses sympathies dans les populations rurales (renseignements, hébergements, ravitaillement). Bir Hakeim acquit un grand prestige après avoir multiplié des coups de main audacieux et des opérations spectaculaires contre les dépôts de Vichy, dans le Gard et l’Hérault, acquérant de grands stocks d’armement et de ravitaillement et se procurant un parc automobile important qui accrut sa mobilité. De l’Hérault et du Gard, affluèrent des volontaires, souvent des réfractaires au STO, attirés par son prestige grandissant.
L’embuscade du 25 février 1944 et ses conséquences :
Ce jour-là, une patrouille de maquisards du mas du Serret attaqua, près de Saint-Julien-de-Peyrolas (Gard), une colonne de sept véhicules allemands. Ils tuèrent quatre officiers. Cette action provoqua aussitôt une réaction de la 9e Panzer Hohenstaufen dont un contingent venait d’arriver, depuis Nîmes, à Pont-Saint-Esprit. Toutefois, d’après Adolphe Demontès (op. cit., 1946, pp. 43-44), la Résistance ardéchoise était au courant, grâce à des informations communiquées à Privas par le gendarme Petit dès le 23 février, de l’existence d’un plan d’attaque du mas de Serret qui regrouperait des forces allemandes venues du Gard et des gendarmes de l’Ardèche et du Gard. Le 25 février, contacté depuis Privas, un des chefs de Bir Hakeim accompagné de trois hommes armés de mitraillettes se serait rendu à Privas afin de négocier grâce à l’entremise de la Résistance locale avec la Gendarmerie. Demontès indique dans son ouvrage publié deux ans après les faits que le chef de Bir Hakeim dépêché à Privas était "Le Docteur". Il pourrait s’agir de Jean Mallet, alias "Marignac" ou "Toubib", médecin toulousain, l’un des lieutenants de Barot pionnier de la création du maquis. En tout état de cause, il fut décidé, à la demande du "Docteur" que les gendarmes ne s’aventureraient pas à moins de quatre kilomètres du mas de Serret où les maquisards attendraient les assaillants de pied ferme avec des armes automatiques.
Le 26 février, une colonne allemande comprenant les soldats de division Hohenstaufen récemment arrivés à Pont-Saint-Esprit et d’autres d’une compagnie de la division Brandenburg composée en fait de Français — connus par la population comme Waffen SS — encadrés par des Allemands en garnison, depuis peu dans le Gard à Alès et à Pont-Saint-Esprit, afin d’infiltrer la Résistance et a maquis et de réprimer ce qu’ils firent avec sauvagerie. Les Allemands étaient accompagnés de miliciens et de gendarmes français qui restèrent en retrait lors de l’affrontement avec les maquisards de Bir Hakeim au mas de Serret. Cette colonne fit mouvement vers Labastide-de-Virac (Ardèche) commune sur le territoire de laquelle était situé le mas du Serret. Lorsque les Allemands arrivèrent à proximité du mas, les maquisards ripostèrent puis, sur l’ordre de Christian de Roquemaurel (alias « RM », un des seconds de Barot qui commandait le détachement de Bir Hakeim cantonné au Serret), décrocha. Ils laissèrent sur le terrain un blessé dont ils ignorèrent le sort funeste (Voir Désandré René). Repliés à la Sivardière, ils furent, le 29 février, accrochés par les Allemands et durent à nouveau se replier. Après avoir franchi l’Ardèche, commandés maintenant par Barot, ils s’installèrent au hameau des Crottes, à deux kilomètres du mas du Serret. Aux Crottes, ils occupèrent la maison vide d’habitants d’Édouard Martin, domicilié à Vagnas (Ardèche).
Avant l’assaut allemand du 26 février, dans ce grand mas, à l’écart et bien dissimulé, les lieutenants de Capel, Christian de Roquemaurel* bientôt rejoint par Paul Demarne assurèrent l’instruction militaire des jeunes recrues qui affluaient, dépêchés par le comité de l’AS de Pont-Saint-Esprit (Gard). Un autre lieutenant de Capel, Jean Mallet alias "Toubib"* s’établit à son tour au mas de Serret.
Sachant que la présence de Bir Hakeim pourrait provoquer des représailles sur les habitants du hameau, Barot leur suggéra de partir. Il réitéra sa proposition au moment du départ de Bir Hakeim du hameau, le 2 mars à 23 heures. Les habitants des Crottes refusèrent.
Pour sa part, Bir Hakeim réussit son regroupement dans les Cévennes lozériennes, à la Picharlarié (commune de Saint-Étienne-Vallée-Française). Les Allemands éprouvèrent un vif sentiment d’échec dans leur traque de Bir Hakeim qui les avait affrontés et qui leur échappait. Leur vengeance allait être terrible.
Les exécutions du 3 mars 1944 :
Le 3 mars, de bon matin, une colonne allemande (trente-cinq véhicules chargés de soldats et quelques autres vides pour transporter le butin ; certains véhicules tractaient des canons et des mortiers) partit de Nîmes et se dirigea vers Labastide-de-Virac. La veille, les Feldgendarmes présents dans la colonne avaient procédé à des pendaisons publiques à Nîmes. Au petit matin du 3 mars, le village de Labastide-de-Virac fut investi par des Allemands de la 9e SS Panzer dont un groupe partit à pied vers les Crottes afin d’isoler le hameau situé à trois kilomètres. Vers 10 h 30, selon des témoignages, vers 12 h, d’après d’autres et d’après les actes de décès de quatorze victimes dressés à la suite du constat de Louis Abrial médecin à Vallon-Pont-d’Arc, les habitants de Labastide entendirent des coups de feu et des explosions mêlés aux cris des victimes. On aperçut des lueurs d’incendie. Vers 14 heures, les Allemands, de retour des Crottes traversèrent Labastide. Les habitants pensèrent qu’ils avaient complètement évacué les lieux. Le maire, Etienne Bourelly, fit sonner le tocsin afin d’éteindre l’incendie des Crottes. Sept hommes qui s’y rendaient afin de leur porter secours et de lutter contre l’incendie furent accueillis par des tirs puis furent faits prisonniers. L’un d’entre eux, le maréchal des logis Eugène Eybalin de la brigade du Pouzin (Ardèche), en "vacances" dans la région — lors de la rafle des Juifs par la police française au Pouzin, la nuit du 25 au 26 août 1942, il ne fut guère zélé et fut révoqué — fut grièvement blessé à la cuisse par une balle explosive. Les six autres (Louis Payan, Henri Charmassou, Auguste Redon, Jacques Mauzé de Labastide-de-Virac ; Marco Gervazoni, de Saint-Julien-de-Peyrolas ; Georges Charrière, épicier à Vallon-Pont-d’Arc) autres furent réquisitionnés afin d’embarquer dans des camions vides le butin, bétail des fermes et produit du pillage des maisons des victimes. Le maire expliqua qu’ils furent menacés d’être conduits à Nîmes afin d’y être fusillés. Un groupe réduit d’Allemands était resté aux Crottes avec pour mission de charger le butin. Finalement, les six prisonniers ainsi que le gendarme blessé furent libérés, tard dans la soirée, lorsque fut terminé le pillage des maisons du hameau incendié.
Le lendemain, 4 mars, Étienne Bourelly, le maire de Labastide, accompagné par quelques administrés et de gendarmes dont l’adjudant de la brigade de Vallon-Pont-d’Arc put enfin se rendre aux Crottes. Il fut rejoint par le docteur Abrial, médecin de Vallon-Pont-D’Arc, amené en automobile sur les lieux par le résistant Paul Ducreux. Le médecin découvrit et reconnut quatorze cadavres de personnes fusillées à quinze mètres d’une ligne tracée au sol. On a retrouvé une centaine de douilles de projectiles à proximité de la ligne de tir du peloton. Les corps étaient criblés de balles au niveau des poitrines et des visages ainsi que le consigna le médecin légiste envoyé sur les lieux, le même jour, par le juge d’instruction de Largentière. Le docteur Louis Abrial, médecin à Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche), commune limitrophe de Labastide-de-Virac et chef-lieu de canton, fit le constat du décès des victimes afin de rédiger les actes leur décès pour l’état civil. Il rédigea un rapport d’ensemble concernant les quatorze morts par fusillade :"Ces quatorze cadavres trouvés au hameau des Crottes, commune de Labastide-de-Virac (Ardèche) présentent tous des plaies par instrument pénétrant, balles de fusil de guerre, au niveau de la tête ou de la poitrine. Toutes ces blessures ont entrainé la mort. la mort semble avoir été provoquée par fusillade.
Vallon, Ardèche, le dix-huit mars mil neuf cent quarante quatre.
Signé ABRIAL"
Le 5 mars, le corps de Georges Boyer, qui avait tenté de fuir, fut retrouvé dans le bois à 400 mètres du hameau. Il était dans un terrier de blaireau, mutilé, le crâne écrasé, percé par des balles. Un berger trouva aussi un seizième corps près du mas du Serret. C’était le cadavre d’un inconnu criblé de balles et d’éclats d’obus qui fut identifié, bien plus tard en 2019 par le journaliste Olivier Bertrand (Voir Désandré René).
Les victimes furent enterrées au cimetière de Labastide-de-Virac. Un monument commémoratif a été érigé aux Crottes. Chaque année, une cérémonie commémorative est organisée aux Crottes afin de perpétuer le souvenir du massacre du 3 mars 1944.
Toutes les victimes des Crottes sont indiscutablement des victimes civiles. Seules, celles qui étaient de nationalité française reçurent la mention : "mort pour la France". Les Italiens n’y eurent pas droit. Pourtant, les habitants du hameau subirent le même sort, indépendamment de leur nationalité.
Le massacre des Crottes et la brutalisation des répressions :
Le massacre des Crottes met en évidence le désarroi des Allemands qui traquaient un maquis dont le renom allait grandissant et qu’ils n’arrivaient pas à détruire. Aux Crottes, ils exercèrent de terrifiantes représailles contre des civils jugés « complices » des « terroristes ». Dans la foulée, à Pont-Saint-Esprit (Gard), ils démantelèrent impitoyablement les soutiens locaux de l’AS qui payèrent un lourd tribut à leur appui à la logistique de Bir Hakeim.
Les SS de la 9e Panzer Hohenstaufen, théoriquement au repos en Provence et dans le Gard, participèrent, forts de leur expérience dans la répression des partisans sur le front de l’Est, au processus de radicalisation des formes de répression et de brutalisation des affrontements. En avril, cette même unité allait à nouveau affronter les hommes de Bir Hakeim rassemblés dans la Vallée Française (Lozère) depuis le mois précédent. Comme dans la région de Pont-Saint-Esprit, l’insaisissable maquis allait, une fois de plus, leur échapper.
Les suites judiciaires :
Le 16 juin 1953, le tribunal militaire de Marseille (Bouches-du-Rhône) jugea les responsables du massacre des Crottes. Le lieutenant Ernst Güttman qui commandait le peloton de Feldgendarmes de la 9e Panzer qui exécutèrent les civils des Crottes apporta des précisions : « les suppliciés furent mitraillés dans le dos, en cinq fournées successives de trois, s’abattant les unes sur les autres ». Il ajouta : « C’est mon chef hiérarchique, le lieutenant Peters qui me donna l’ordre de commander le peloton d’exécution. Cela me faisait mal, et je ne regardai pas les condamnés. Pour ne pas les voir, je n’ai pas quitté les yeux de mes gendarmes durant tout le temps de l’exécution ».
Le monument et la cérémonie commémorative :
Le monument commémoratif du massacre a été édifié, en pierre calcaire de la commune, peu après la Libération par des résistants ardéchois au pied du mur où furent fusillés les habitants de Crottes. Cette érection s’effectua sur un terrain privé avec l’autorisation du propriétaire. Ultérieurement, ses descendants firent le don du terrain à la commune de Labastide-de-Virac. En 2002, un piédestal fut installé près du monument par le conseil général de l’Ardèche où sont relatés les tragiques événements du 3 mars 1944.
Une cérémonie est organisée chaque année devant le monument des Crottes le dimanche le plus proche du 3 mars. Tous les cinq à dix ans environ, elle revêt un éclat plus particulier.
Les victimes :
1) Quinze habitants du hameau des Crottes, commune de la Labastide-de-Virac (Ardèche) appartenant à cinq familles d’agriculteurs et de bûcherons :
Des Français (8) :
BOYER Lucien, 73 ans, conseiller municipal de Labastide-de-Virac
BOYER Ernestine, 68 ans, épouse du précédent
BOYER Georges, 36 ans, fils des précédents
BRUNEL Jules, 47 ans
BRUNEL Joséphine, 44 ans, épouse du précédent
MANIFACIER Adrien, 45 ans, gendre de Lucien et Ernestine Boyer
MANIFACIER Madeleine, 43 ans, fille de Lucien et Ernestine Boyer
MANIFACIER Georges, 17 ans, fils des deux précédents
Des Italiens (7) :
ALCAINI Jean-Marie, 39 ans
ALCAINI Philippe, 45 ans
GALIZZI Noël, 43 ans
GALIZZI Teresa, 43 ans, épouse du précédent, enceinte
GALIZZI Antoine, 17 ans
GALIZZI Michel, 16 ans
GALIZZI Jacques, 15 ans
2) Un maquisard longtemps inconnu tué au mas de Serret le 26 février 1944
DÉSANDRÉ René, 21 ans
Cet inconnu a pu être identifié grâce à l’enquête menée par le journaliste et écrivain Olivier Bertrand, ( Les Imprudents, op. cit.).
Par André Balent
SOURCES : Arch. com. Labastide-de-Virac, registre de l’état civil, actes de naissance et de décès des fusillés nés dans la commune ; actes de décés pour les autres. Olivier Bertrand, Les imprudents,Paris, Le Seuil, 2019, 334 p. — Adolphe Demontès, L’Ardèche martyre : crimes commis par les Allemands ou leurs serviteurs en violation du droit international, public, les années sanglantes de 1942 à 1945, préface du docteur Charles Grand, Largentière, Imprimerie Mazel, 1946, 255 p. [« Le massacre des Crottes », p. 43-50]. — Raoul Galataud, « La tragédie des Crottes », in La Résistance en Ardèche, CD ROM AERI. — Jean-Marie Guillon, Philippe Vieira, « La 8e compagnie de la division Brandebourg, une pièce essentielle et méconnue de la lutte contre la Résistance », Provence historique, LXIII, 2013, pp. 195-211 [p. 207, note 51]. — Harry Roderick Kedward, À la recherche du maquis. La Résistance dans la France du Sud. 1942-1944, Paris, éditions du Cerf, 1999, 473 p. [p. 182, 183, 184, 344]. — René Maruéjol, Aimé Vielzeuf, Le maquis Bir Hakeim, nouvelle édition augmentée, préface d’Yves Doumergue, Genève, Éditions de Crémille, 1972, 251 p. [p. 72-77, avec de larges extraits du rapport de M. Bourelly, maire de Labastide-de-Virac, p. 74-76]. — Aimé Vielzeuf, En Cévennes et en Languedoc. Au temps des longues nuits, préface de Pierre Villeneuve, Nîmes, Lacour Rediviva, 2002, 276 p. [en particulier le chapitre III, « Du massacre des Crottes (3 mars 1944) à la citadelle de la souffrance », p. 197-234]. — MemorialGenWeb, site consulté le 6 novembre 2016. — museedelaresistance.org, site consulté le 22 octobre 2017.