Savigny-en-Septaine (Cher), puits de Guerry, 24 juillet - 8 août 1944

Par Jean-Claude Bonnin

Du 24 juillet au 8 août 1944, 36 Juifs furent jetés dans des puits à Guerry, commune de Savigny-en-Septaine (Cher, à 12 km au sud-est de Bourges), dans le polygone de tir des Établissements militaires de Bourges, par la police allemande avec la participation d’un gestapiste Pierre Paoli et un milicien français.

Stèles d’hommage aux victimes du puits de Guerry, à Saint-Amand-Montrond
Stèles d’hommage aux victimes du puits de Guerry, à Saint-Amand-Montrond
Cliché Michel Gorand

La rafle de la nuit du 21 au 22 juillet 1944 :
Le 21 juillet 1944 après-midi, une trentaine de soldats de la Wehrmacht encadrés par des membres du SD, (dont Pierre Paoli) arrivent de Bourges à Saint-Amand-Montrond. Le SD (Sicherheitsdienst) est le service de renseignement, issu de celui de la SS. Associé à la SIPO (Sicherheilspolizei), ce service était couramment appelé Gestapo à Bourges. Le couvre feu est avancé de 22h 30 à 22h. Avec l’aide d’une quinzaine de miliciens bien renseignés, sous le commandement de Roger Thévenot le chef départemental de la Milice, la rafle commence à 22h50. Violences, insultes, pillages, une nuit horrible se déroule. Le colonel Bernheim, commandeur de la Légion d’honneur, héros de la grande guerre, âgé de 72 ans est maltraité, des vieillards sont traînés au sol…
La rafle dure jusqu’à 4 heures du matin. 71 israélites (27 hommes, 35 femmes, 9 enfants) sont alors enfermés dans le cinéma Rex. Léon Weil qui connaît les lieux réussit alors à s’enfuir.
A 7 heures du matin, les 70 prisonniers montent dans deux camions et sont conduits au Bordiot, la prison de Bourges.

Les assassinats :
Le 24 juillet 1944, à 16 heures, 26 hommes sont entassés dans une camionnette bâchée et partent pour une destination inconnue. A l’avant, se trouvent le chauffeur, le gestapiste Pierre Paoli en tenue d’officier allemand, et le milicien Thévenot. La camionnette est suivie d’une voiture de marque Citroën transportant 5 soldats allemands gradés et armés.
Arrivés à la ferme de Guerry (Charles Krameisen et les autres prisonniers ignorent où les véhicules se sont arrêtés), les Allemands font descendre les hommes de la camionnette six par six. Les départs sont espacés de 10 minutes environ. Trois ont eu lieu, alors les Allemands viennent chercher les 8 hommes restant. Charles Krameisen qui a entendu depuis la camionnette des bruits lui semblant être provoqués par des chocs de pierres, décide de tenter le tout pour le tout. Quand les bourreaux ordonnent au groupe de prisonniers en colonne d’avancer, il se précipite à gauche du groupe dirigé vers la droite par les soldats en armes. Krameisen court aussi vite qu’il le peut, se jette dans les fourrés. Surpris, les Allemands tirent, heureusement ils ratent leur cible ! Charles Krameisen, hagard, vêtements déchirés par les ronces, essoufflé, affolé, va être caché par un fermier Mr Guillemin.
Le 26 juillet, les deux frères Juda, sortis du Bordiot sont précipités dans le puits n°2.
Le 8 août, les Allemands viennent chercher 10 femmes raflées à Saint-Amand à la prison du Bordiot, en principe des femmes n’ayant pas d’enfant ; deux d’entre elles faisant savoir qu’elles ne sont pas juives échappent à la mort. Les huit autres femmes seront jetées dans le puits n°2.
Sera également retrouvé dans ce puits, le corps d’un homme appelé dans un premier temps « l’inconnu des puits de Guerry », finalement, il sera identifié comme étant le docteur Maurice Seiden, réfugié juif, résistant FTP. Pour les nazis, c’était d’abord sa judéité qui déterminait son châtiment ! Dans les puits de Guerry, on a donc retrouvé 36 victimes de Isaac Dreyfus 85 ans à Marcel Walewick 16 ans.

La découverte du lieu où s’est accompli le crime
Rappels : 6 septembre 1944 Bourges est libéré
11 septembre 1944 libération de Saint-Amand-Montrond
13 septembre 1944 l’ensemble du département du Cher est libéré.
« Le 12 septembre 1944 Charles Krameisen vient déclarer à la police qu’il est le seul survivant d’un massacre qui a eu lieu le 24 juillet aux environs de Bourges, près d’une ferme au milieu des bois,…que tous ses compagnons ont été tués » (J Delperrie de Bayac dans son Histoire de la Milice).
Finalement, grâce aux indications de Krameisen le site est découvert le 20 octobre 1944. C Krameisen, né à Scénia Pologne fait partie des familles juives ayant fui les pogroms avant l’invasion hitlérienne de son pays d’origine.
Le site est une ferme abandonnée, au lieu-dit Guerry, dans les bois du polygone (champ de tir militaire) entre Savigny-en-Septaine et Soye-en-Septaine.
Là se situent trois puits, très profonds (jusqu’à 36 mètres de profondeur)
Dans le puits n° 1 (cour de la ferme) on découvre des effets, des objets, dans le puits n° 2 le corps de 8 femmes et ceux de trois hommes, et les corps de 25 hommes dans le puits n°3. En tout 36 personnes, dont 33 furent identifiées comme faisant partie d’une grande rafle qui avait eu lieu à Saint-Amand-Montrond dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944.
L’événement de la découverte des corps des suppliciés, ils avaient été jetés vivants dans les puits et des blocs de pierre précipités sur eux pour les écraser, cet événement impensable prit vite une dimension nationale en cette période de la fin de la Libération du territoire. Une équipe de cinéastes de l’armée américaine filma l’horreur et Guerry deviendra un des lieux symboliques de la barbarie nazie.
À la ferme du hameau de Guerry (sur le polygone du camp d’Avord) , une plaque inaugurée le 18 octobre 1994 porte les noms des 36 otages israélites jetés vivants le 24 juillet et en août 1944 dans les puits, et des sculptures de Georges Jeanclos (1933-1997) évoquent ce drame.
A Saint-Amand Montrond, promenade Dubreuil des plaques commémoratives ont été apposées : "Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, à St Amand-Montrond, la Gestapo, guidée par la milice de Vichy, arrête 71 Français de confession israélite et les emprisonne à Bourges. Le 24 juillet et 8 août 1944, en deux groupes, 36 de ces hommes, femmes et enfants, âgés de 16 à 85 ans, sont conduits sur le domaine militaire de Guerry à Savigny-en-Septaine (Cher). Ils y trouvaient l’horreur et la mort. Jetés, vivants pour la plupart, dans des puits. Parce que nés juifs, ils sont victimes de la barbarie nazie. En leur mémoire Saint-Amand-Montrond se souvient. 24 juillet 1994."

Liste des 36 victimes :

Bernheim-Dennery Fernand, né le 5 juillet 1868 à Rouen (Seine-Inférieure)
Billou Germaine née Guetesmann, née le 30 novembre 1894 à Paris IVe arr.
Brunschwig Armand, né le 19 octobre 1871 à Loerbach (Bade, Allemagne)
Davidovici Maier ,né le 3 août 1893 à Bucarest (Roumanie)
Davidovici Sylvain, né le 12 mai 1928 à Paris
Dreyfuss Isaac, né le 15 août 1859 à Soultz (Haut-Rhin)
Grumbach Élie, Raymond, né le 20 décembre 1902 à Porrentruy (Suisse)
Halkain Salomon, né le 8 mars 1901 à Schobin (Russie)
Halkain Charles, né le 10 janvier 1921 à Paris.
Jeankelowitsch Fanny née Blum ,le 20 juillet 1899 à Vierzon (Cher)
Jeankelowitsch Pierre, né le 7 octobre 1890 à Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Juda André, né le 26 avril 1885 à Bliesbruck (Moselle)
Juda Georges, né le 15 août 1893 à Bliesbruck (Moselle)
Kahn Lucien, né le 4 décembre 1887 à Dettwiller (Bas-Rhin)
Klein Adolphe, né le 26 avril 1891 à Ingwiller (Bas-Rhin)
Krameisen Marthe née Kupferman, née le 23 janvier 1893 à Sienleva (Pologne)
Lang Jeanne née Weill, le 25 janvier 1876 à Reims (Marne)
Lévy Mina née Maïs, le 18 juin 1884 à Ingwiller
Lévy Gaston, né le 1 novembre 1862 à Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Lévy Salomon, né le 6 septembre 1874 à Ingwiller
Méchel Marck, né le 7 avril 1904 à Livan (Pologne)
Metzger Michel, né le 21 février 1872 à Buswiller (Bas-Rhin)
Nathan Léon, né le 6 août 1876 à Paris
Rosenfeld Alexandre, né le 6 février 1903 à Coarodera (Roumanie)
Salomon Salomon, né le 8 mars 1901 à Strasbourg (Bas-Rhin)
Seïden Mojzesz Maurice, né le 13 octobre 1912 à Rteszow (Pologne)
Smoliack Blanche, née le 4 novembre 1877 à Paris Ve arr.
Smoliack Charles, né le 12 août 1890 à Paris
Strauss Colette, née le 19 novembre 1926 à Paris
Strauss Simon, né le 8 avril 1897 à Mommenheim (Bas-Rhin)
Walewyk Marcel, né le 30 juin 1928 à Aix-les-Bains (Savoie)
Weill Edmond, né le 4 décembre 1868 à Strasbourg (Bas-Rhin)
Weill Fernand, né le 1 mai 1899 à Paris
Weill Gédéon, né le 14 juin 1893 à Ingwiller (Bas-Rhin)
Wolf Alphonsine, née Weill le 11 août 1891 à Strasbourg (Bas-Rhin)
Wolf Félix, né le 21 juin 1877 à Hoenheim (Bas-Rhin)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article186545, notice Savigny-en-Septaine (Cher), puits de Guerry, 24 juillet - 8 août 1944 par Jean-Claude Bonnin, version mise en ligne le 6 novembre 2016, dernière modification le 14 février 2019.

Par Jean-Claude Bonnin

Stèles d'hommage aux victimes du puits de Guerry, à Saint-Amand-Montrond
Stèles d’hommage aux victimes du puits de Guerry, à Saint-Amand-Montrond
Cliché Michel Gorand

SOURCES : Histoire de la Milice de J. Delperrie de Bayac, édition Fayard, les grandes études contemporaines (1969).
- Une tragédie française. Été 1944 scènes de guerre civile de Tzevan Todorov, édition du Seuil (1994.) [certains points sont contestés par des historiens de la résistance comme Jean-Yves Ribault et Jean-Claude Bonnin, s’appuyant la chronologie des événements, sur les témoignages et sur les actes de procès].
- Brochure : La tragédie des puits de Guerry éditée par le Comité berrichon du souvenir et de la reconnaissance (1945).
- L’intervention de J -Y Ribault au colloque de Saint-Amand-Montrond (juin 2005) sur la répression de l’été 1944 publiée sur le site de la Fondation de la Résistance (Paris 2007) : "La tragédie des puits de Guerry (été 1944) : étapes, rouages et mobiles d’une répression raciale"
- Le CD- ROM La Résistance dans le Cher (AERI 2008) fiche de Gérard Boursier et Jean-Claude Bonnin.
Le téléfilm : Milice film noir de Alain Ferrari (1997) présente les événements de l’été 1944 à Saint-Amand-Montrond et des images des puits de Guerry.

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