Par Jean-Sébastien Chorin
Entre le 19 février et le 4 août 1944, trente-huit résistants furent exécutés par des Français dans les fossés du fort de la Duchère (Lyon, IXe arr.) après condamnation par une cour martiale du secrétariat général au Maintien de l’ordre (SGMO).
Le 1er janvier 1944, à la demande des autorités allemandes, Joseph Darnand, chef de la Milice, fut nommé au gouvernement en tant que secrétaire général au Maintien de l’ordre. Un décret du 10 janvier lui attribua les pleins pouvoirs pour la répression de la Résistance. À partir de cette période, l’État devint milicien et la Milice infiltra l’administration. C’est dans ces conditions que furent créées, le 20 janvier 1944, les cours martiales du secrétariat général au Maintien de l’ordre (SGMO). Selon la loi du 20 janvier 1944, devaient être « déférés aux cours martiales les individus, agissant isolément ou en groupes, arrêtés en flagrant délit d’assassinat ou de meurtre, commis au moyen d’armes ou d’explosifs, pour favoriser une activité terroriste » (avec la loi du 14 mai 1944 la condition de flagrant délit ne fut plus nécessaire). Dans les faits, le plus souvent, les cours martiales furent mises en place pour juger les auteurs d’actions armées dirigées contre des membres des forces du Maintien de l’ordre, policiers, gendarmes ou miliciens. Les cours martiales du SGMO fonctionnaient comme une justice expéditive d’État. La condition première de la comparution devant la cour était que la culpabilité de l’accusé soit établie. Aucune information n’était ouverte, puisque « l’application des lois sur l’instruction criminelle [était] suspendue à l’égard des individus déférés en cour martiale ». Joseph Darnand, secrétaire général au Maintien de l’ordre (nommé secrétaire d’État à l’Intérieur le 13 juin) et donc membre de l’exécutif, signait les ordres de comparution et désignait les juges. Les accusés n’étaient assistés d’aucun avocat. Ils n’avaient aucun recours possible, ni appel ni demande en grâce. Ils étaient immédiatement passés par les armes après condamnation par la cour.
Les cours martiales du SGMO firent deux cents victimes environ. La cour de Lyon fut la plus meurtrière. Elle fit exécuter quarante-quatre personnes, sans doute du fait de l’activité intense de la Résistance dans cette ville. À Lyon, les membres du cabinet de Darnand, Georges Marionnet et surtout Joseph Boiron, travaillèrent main dans la main avec René Cussonac, intendant régional de police de Lyon. Dans un premier temps, les personnes « en infraction à la loi du 20 janvier » étaient emprisonnés à la maison d’arrêt de Lyon (prison Saint-Paul), le plus souvent sur ordre de René Cussonac. Les dossiers des résistants susceptibles d’être déférés en cour martiale étaient constitués par l’intendant de police et ses hommes. Ces dossiers étaient ensuite transmis à Joseph Boiron qui les présentait au secrétaire général au Maintien de l’ordre. Joseph Darnand signait les ordres de renvoi devant la cour martiale et désignait les juges (en principe des miliciens). Puis Boiron se rendait à l’intendance de police de Lyon en compagnie des membres de la cour. Le procès était réglé par avance dans les bureaux de l’intendant de police. Les arrêts de condamnation à mort et procès-verbaux d’exécution étaient remplis avant comparution. Ensuite, les juges de la cour martiale de Lyon se rendait à la prison Saint-Paul. C’est dans la petite salle de l’anthropométrie, située à l’entrée de la prison, que siégeaient anonymement le président de la cour et ses deux assesseurs. Une douzaine de GMR se chargaient du service d’ordre. La séance durait le temps de lire l’acte d’accusation aux inculpés et de les condamner à mort. Immédiatement après des GMR ou des hommes de la garde fusillaient les condamnés. Parmi les quarante-quatre victimes de la cour martiale de Lyon, trente-huit furent exécutés dans les fossés du fort de la Duchère (Ixe arr.) entre le 19 février et le 4 août 1944. Les corps des fusillés furent enterrés au cimetière de la Guillotière (Lyon). Certains condamnés purent écrire une dernière lettre. Aucune ne fut transmise aux familles. Avant la Libération, René Cussonac brûla celles qui étaient en sa possession avec les archives de la cour martiale. D’autres furent déchirées par Joseph Boiron devant les condamnés.
Le mémorial de la Résistance, situé place des 39 Fusillés à Lyon (Ixe arr.), rend hommage aux trente-huit résistants fusillés au fort de la Duchère après condamnation par la cour martiale du SGMO. Deux plaques portent leurs noms (quelques fois leurs noms d’emprunt : Bonnefoy, Daloz, Marchetti et Tokar), ainsi que celui de Guy Bernard, compagnon d’armes de certains d’entre eux, exécuté le 18 février 1944 dans les locaux de la Milice.
Liste des victimes :
ABIGNOLY Roger [dit MARGHETTI ou MARCHETTI Roger]
BOEGLIN Roland
BONAVENT Louis
BOUIT Claudius Jules Henri
BROCHOT Alfred
CHEVAILLER Jean-Claude Marie Gilbert
CLAUDE Gérard Henri Aloïs
COLONNA Jean Étienne
DAL PERO Sergio
DANIELIDIS Dimitri
DUPUIS André
DURAND Paul
FERRAS Henri Marius
FLOR Alexandre
GAJEWSKI Georges Gustave [dit TOKAR Simon]
GIRARD Édouard
GOLDBERGER Étienne [dit DALOZ Henri]
GRANGER Jacques
GUILLERMAIN Michel Marc Marius
GUTSCHMIDT William
LANDOWICZ Guy
LHOPITAL Aimé
MATEO José
MAZURAT Jean-Baptiste
MULARD Guy
OUSTENKO Jacques
PAUPIER Armand
PFEFFER Fischel
REUSSNER André Georges
SANTORO ou SANTORI Vincenzo
SCHUWER Jean Charles Henri
SELONCZYK Julien
TARDY Marcel
TUCCI Enzo
VILLE Pierre Germain
VOLAY Joseph Germain
WEISZ Tibor
XIMA Georges [dit BONNEFOY Gaston]
Par Jean-Sébastien Chorin
SOURCES : Arch. Dép. Rhône, 3460W1, 3808W65. – Arch. Mun. Lyon, 1025WP25. – Virginie Sansico, La justice du pire, les cours martiales sous Vichy, 2002. – Mémorial Genweb