Par Antoine Olivesi
Né le 6 août 1901 à Génerac (Gard) ; trésorier des Jeunesses socialistes à Marseille en 1919 ; secrétaire adjoint de la fédération « unitaire » du Parti communiste dans les Bouches-du-Rhône (1923 - 1924) ; secrétaire de rayon à Paris avant 1930 ; syndicaliste et résistant.
Le père d’Aimé Carlier, Jean, originaire du Nord de la France (il était à Templeuse, département du Nord, le 16 novembre 1867, près de la frontière flamande) était un cultivateur de condition modeste. Venu s’établir dans le Midi de la France, il épousa Louise Lafon, issue de l’aristocratie protestante nîmoise. Carlier, protestant lui-même, et membre d’une secte parmi les plus sévères, les baptistes, devint négociant en vins dans le Gard, puis, en 1913, s’installa avec sa femme et ses trois enfants à Marseille où il exerça les fonctions de fondé de pouvoir de la Banque de Marseille, 24, rue Grignan. Il se retira ensuite des affaires et habitait en 1921 au n° 20 de la Promenade de la Plage, au début de la Corniche.
Aimé Carlier grandit donc dans une atmosphère familiale bourgeoise, aisée mais très stricte ; l’influence religieuse maternelle (méthodiste) fut, du moins au début, la plus marquante.
Après avoir commencé ses études au lycée de Nîmes, le jeune Carlier fut élève du lycée Périer, à Marseille où il eut comme condisciple Gabriel Péri*. Tous deux, en 1917, en classe de 3e, révoltés par la guerre et les exécutions de soldats, exaltés par la Révolution russe, fondèrent un journal clandestin pacifiste, « Le Diable Bleu ».
De 1918 à 1920, Carlier acheva de brillantes études secondaires au « Grand lycée » (Lycée Thiers) et obtint notamment une mention de prix de composition française en 1re A-B, en juillet 1919.
Doué aussi en histoire et en langues vivantes (anglais, italien), Carlier emporta le Grand prix d’honneur de la ville de Marseille, l’année suivante, en Philosophie. Il avait choisi un sujet portant sur le marxisme, que son professeur, Lesenne, lui avait fait découvrir et approfondir. L’influence d’Henri Barbusse et du groupe Clarté furent également déterminantes.
Mais déjà, depuis 1918, Carlier avait adhéré aux Jeunesses socialistes de Marseille (section de Castellane) dont le secrétaire était un ouvrier boulanger, Ferrand*. Il fut nommé trésorier des JS en 1919 et fit partie de ceux qui furent à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire.
Au cours de l’entretien avec le militant, en mai 1982, ce dernier a déclaré s’être rendu à Berlin et avoir fait « le coup de feu avec les spartakistes », donc au début de l’année 1919 ?
L’année 1920 fut pour lui, comme pour beaucoup d’autres, décisive. L’engagement coïncida chez Carlier avec l’acquisition des connaissances théoriques. Il se souvenait encore, plus de quarante ans plus tard, du profond mouvement populaire et de l’immense écho provoqués par la venue de Cachin et de Frossard, à Marseille, en septembre, et de leurs discours favorables à l’adhésion à la IIIe Internationale. Carlier fit partie du Comité marseillais d’adhésion et, avec la majorité des JS, qui s’appelaient déjà les JC, il se détacha du Parti socialiste SFIO dont il avait été membre quelque temps. Cette même année, d’après ses souvenirs, il se rendit avec Péri, à Florence, clandestinement en passant la frontière sous un train en marche, pour assister au congrès des JCI.
Au moment même où il s’inscrivait, à la rentrée universitaire, en première année de Médecine, Carlier signa personnellement, peu avant le congrès de Tours, le texte de la motion Cachin*-Frossard* publié dans l’Humanité du 3 novembre, c’est-à-dire l’adhésion sans réserves à la IIIe Internationale (liste des 294 premiers signataires). Et dès le congrès national des JS à La Bellevilloise, à la même époque, il fit partie de la majorité qui décida de transformer les JS en JC. À Marseille, cette opération s’effectua malgré Fernand Bouisson, et contre lui. Cependant avec l’aide de Latière*, les JC installèrent leur nouveau local. Carlier était alors secrétaire adjoint.
Mais très vite les JC furent mobilisés pour des tâches de propagande du nouveau parti. L’imprudence d’un de leurs membres entraîna, le 8 février 1921, l’arrestation des principaux dirigeants. C’est « l’affaire du complot » qui valut à Carlier un mois de prison préventive (régime politique) à la prison Chave et surtout qui entraîna, pour lui, la rupture avec sa famille laquelle ignorait tout de ses activités. « Loin de partager les idées de son père... » (rapport de police de l’époque), Carlier, qui avait refusé l’avocat proposé par ce dernier, se vit couper les vivres après avoir été relaxé, en mars, au cours d’un procès qui eut un certain retentissement dans la presse et l’opinion publique.
Quelques semaines plus tard, au premier congrès de la JC tenu à Paris les 15 et 16 mai, Carlier, avec Péri et Adrien Mouton, tous trois animateurs de la 22e Entente (Midi Provençal), sont parmi ceux qui font triompher le principe de la liaison étroite entre la JC et le Parti conformément aux positions définies par l’ICJ.
D’une manière générale Carlier, au cours de cette période d’hésitations qui suivit la création du Parti communiste fit partie du noyau le plus avancé, le plus décidé à faire accepter les décisions de Moscou et à lutter contre les militants plus tièdes ou hésitants. C’est l’attitude qu’il adopta lors du premier congrès fédéral du PC à Marseille, le 17 décembre 1921. Il préconisa notamment la création d’une garde rouge, mesure que le Ier congrès national du PC (que Carlier contribua à préparer à Marseille pour le 12 décembre), ne retiendra pas. Carlier fut personnellement chargé, lors de ce congrès, de la protection du délégué de la IIIe Internationale, Bordiga.
Au cours de l’année 1922, et notamment au IIe congrès fédéral, Carlier défendit le mot d’ordre du Front unique et tenta de le mettre en pratique lors des élections cantonales du mois d’octobre qui coïncidèrent avec ce congrès. Il fit campagne pour les candidats communistes à Marseille, en particulier pour Marius Latière*, avec l’aide des socialistes, pour tenter de le faire réélire au second tour, mais sans succès. Au début de l’année 1923, au moment de l’occupation de la Ruhr, il fut surveillé par la police. Après la scission survenue dans le parti en mars 1923, il joua un rôle important au congrès de Miramas, le 30 septembre ; il y fut élu secrétaire général adjoint de la Fédération (Juillet 1923 - juin 1924 ), et devint l’un des cinq membres du Bureau politique fédéral, Gabriel Péri étant Secrétaire Régional. En juillet, il avait été délégué à Toulon pour mettre en place une interfédération communiste du Sud-Est - prélude à la future région - mais qui n’aboutit pas.
Carlier fut dans l’immédiat, l’un des principaux réorganisateurs du Parti communiste « unitaire », par opposition aux socialistes-communistes « autonomes ». Il fit diviser la ville de Marseille en quatre secteurs (plus tard, les quatre rayons) regroupant les douze sections. Très influent, il rejeta la réintégration en bloc des communistes dissidents, acceptant, cependant, d’examiner les demandes individuelles. Le 17 juillet 1924, il abandonna ses fonctions de secrétaire pour aller occuper celles de rédacteur aux éditions régionales de l’Humanité. Le 1er septembre 1924, il participa à une réunion destinée à préparer l’implantation des cellules d’usines et de rues, en remplacement des sections, et déclara que ce travail devait être effectué avant le 1er janvier 1925. Le 6 octobre, après avoir participé à Paris à une réunion des secrétaires fédéraux, il annonça la suppression de l’édition régionale de l’Humanité, estimée trop coûteuse, et fit état d’un déficit de 70 000 francs. Nous ignorons, s’il exerçait encore, à titre transitoire, les fonctions de secrétaire fédéral entre juillet et octobre. Mais au congrès Fédéral du PC qui se tint à Miramas le 28 décembre 1924, Carlier est mentionné comme étant alors délégué régional dans le Rhône. Cette nomination datait de la réunion du Bureau politique du 23 septembre 1924. En son absence, il fut accusé d’indélicatesses par Duprat* qui demanda un contrôle des comptes à propos du journal. Sylvestre Cermolacce*, lui-même mis en cause, réclama à son tour une demande de contrôle sur la conduite de M. Gay, employé à l’Humanité de Midi, qu’il accusa de calomnies et de manœuvres contre lui.
En ce qui concerne Carlier, selon le témoignage formel de Frédéric Roux-Zola, aucune malversation ne put lui être reprochée dans cette circonstance.
À cette époque, du reste, Carlier n’était plus à Marseille, partageant son activité entre Nîmes, la région lyonnaise et Paris. Selon ses déclarations il aurait été membre coopté du Comité central - c’est pourquoi son nom n’apparaît pas officiellement dans les listes de ce dernier - et aurait assisté à toutes les séances.
Quoi qu’il en soit, Carlier fut délégué au IIIe congrès national tenu à Lyon du 20 au 23 janvier 1924. Semi-permanent, il dut néanmoins travailler pour gagner sa vie, non pas aux usines Berliet, mais dans la région stéphanoise et au Creusot, chez Schneider, où il essaya d’implanter des cellules.
Aimé Carlier avait envoyé à la direction un rapport sur le Rhône et la Loire le 5 octobre 1924 et un rapport sur la préparation des élections municipales à Lyon le 11 janvier 1925. Au Bureau politique du 10 février 1925, Ginestet se plaignit du manque de souplesse de Carlier et Doriot le jugea trop sectaire. Treint proposa de le mettre à la base dans la région parisienne. On retrouve en effet Carlier militant communiste parisien vers 1926. Lui-même a déclaré qu’il avait été en désaccord avec Doriot, notamment à propos des cérémonies « trop grandioses » organisées à Saint-Denis après la mort de Lénine.
Mais il est possible également que cette décision ait été une conséquence de son mariage avec Eva Neumann*. Cette jeune militante communiste allemande avait été chargée de s’occuper des problèmes de la main-d’œuvre étrangère en France. Elle alla les étudier notamment à Marseille où elle séjourna pendant dix-huit mois. Il lui fallait à la fois un guide et une « couverture » - si l’on peut dire - et ces fonctions furent confiées à Aimé Carlier. Officiellement, et c’est ce que répète notamment Philippe Robrieux, il ne devait s’agir que d’un « mariage blanc » destiné à accorder la nationalité française à Eva Neumann. En fait, le mariage porta ses fruits à tel point que Sylvestre Cermolacce*, alors conseiller municipal à Marseille, dut marier les jeunes gens le 22 novembre 1924 sans attendre de publier les bans... Un enfant, Marcel, était né le 20 octobre 1924. Cette union permit aussi à Carlier d’apprendre l’allemand et de lire Rosa Luxemburg dans le texte !
La morale du Parti fut-elle choquée par cet événement imprévu ? Il n’en reste pas moins que Carlier était à Paris en 1926 l’année même où sa femme avait une permanence et un bureau au siège de l’Humanité. Les époux furent du reste assez vite séparés. Eva (Henriette Carlier*) vécut avec Raymond Neveu*, fut proche d’André Marty et fut exclue du PCF..
Carlier continua son action militante à Paris, après avoir effectué son service militaire, à l’expiration de son sursis, en qualité de sous-lieutenant.
Puis il travailla dans une entreprise du Bâtiment de la capitale, devint ensuite métallurgiste chez Citroën mais fut renvoyé dès la première grève. Il fut, à la fin des années 1920, secrétaire de rayon à Paris, participa notamment aux manifestations en faveur de Sacco et de Vanzetti, mais entra en conflit avec l’équipe Barbé-Celor, « conflit qu’il a payé très cher » selon ses propres termes. Discipliné, mais gardant son franc-parler, Carlier fut de nouveau rétrogradé. Le Parti lui trouva un emploi chez Hachette comme employé aux écritures, mais ses diplômes et sa connaissance de l’anglais le firent rapidement monter en grade. Après avoir effectué un stage d’un an à New-York, Aimé Carlier devint directeur de service chez Hachette, mais c’était en 1936, et il mécontenta ses supérieurs en fondant un syndicat CGT des cadres chez Hachette et en réclamant des conventions collectives. Il essaya même de créer un syndicat national des cadres, mais qui ne regroupa que 200 à 300 adhérents et que la CGT rattacha à la Fédération du Papier-Carton, après le refus de la Fédération du Livre !
La grève du 30 novembre 1938 fut pour Hachette l’occasion de renvoyer Carlier sans aucune indemnité.
Lors de la déclaration de guerre, Carlier fut mobilisé à Fréjus en qualité d’officier d’administration. Il avait ressenti avec un certain malaise le Pacte germano-soviétique. Après la défaite, il fut affecté au bureau militaire de la poste Colbert, à Marseille sous les ordres de Pierre Descaves, le fils de l’écrivain. Ce poste lui permit de transmettre des renseignements à Londres et des faux renseignements aux Allemands. Mais ces derniers le recherchaient et Descaves le prévint à temps pour qu’il puisse partir en Algérie, avant octobre 1942.
Parachuté depuis l’Afrique du Nord, au moment de la Libération, dans la région de Montpellier, il prit contact avec les mouvements de résistance, puis en tant que commandant FFI, fit toute la campagne d’Allemagne avec la 2e DB. Il était chargé en même temps des dépôts de librairie et des distributions de journaux par les Messageries françaises du Livre qui avait remplacé Hachette, d’abord dans la zone occupée, jusqu’à Vienne, par les troupes françaises en temps de guerre, puis en France après la fin de la guerre. Mais le retour de Hachette signifia pour lui un nouveau renvoi.
Carlier essaya alors de créer une exploitation agricole près d’Agen (pépiniériste, puis éleveur de volailles) tout en ne négligeant pas son rôle de propagandiste (il fonda un syndicat agricole). Mais son expérience rurale échoua finalement et il revint à Marseille où, au début des années 1950, il milita au sein de Mouvement de la paix.
Voulant demeurer un militant de base, il exerça divers emplois à la Maison du Peuple du PC à Endoume à la libraire Paul Éluard* au début des années 1970.
En 1983, âgé de quatre-vingt-deux ans, il était diffuseur de l’Humanité dans les entreprises à Marseille. Physiquement très solide, ayant conservé une grande lucidité intellectuelle, Aimé Carlier admettait « en avoir bavé » durant son existence, mais avait toujours eu le souci de ne pas nuire à son parti. Homme de caractère et de discipline à la fois, ce qui explique sans doute son acceptation d’être écarté des postes de responsabilité hiérarchiques, puis son renoncement total, Aimé Carlier est, paradoxalement, plus connu en URSS qu’en France dans l’histoire du communisme français et international dont il demeure l’un des pionniers et des témoins survivants sur une aussi longue période.
Par Antoine Olivesi
ŒUVRE : Articles, notamment dans l’Humanité du Midi.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13096. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M6/8286, M6/10801, rapports des 1er septembre, 6 octobre et 30 décembre 1924, M6/10804, rapport du 9 juin 1924, M6/10805, rapport du 31 octobre 1926. — Arch. com. Marseille, listes électorales de 1923. — Institut de Recherches marxistes, bobines 74 et 95. — Le Petit Provençal et Le Petit Marseillais, 9 février et 16 mars 1921 ; L’Humanité, 16 mars 1921, supplément quotidien de L’Humanité, 30 septembre 1923, cité par D. Moulinard, Le Parti communiste à Marseille..., op. cit. — Maurice Gontard (dir.), Histoire des lycées de Marseille, Aix, Edisuel, 1982, p. 179. — Philippe Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste..., op. cit. t. 1, p. 445. — Adrien Mouton, Notes d’un vétéran..., op. cit. p. 30. — J. Varin. Jeunes comme JC... op. cit., p. 79. — Le Congrès de Tours..., op. cit., p. 138-139. — Renseignements fournis par Jacques Girault. — Témoignage de Frédéric Roux-Zola*. — Entretien avec Aimé Carlier en mai 1982. — Note de Gérard Leidet.