RAINCHON Nelly Régine, épouse DECELLE.

Par Francis Drugman - José Gotovitch

Lodelinsart (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi), 23 novembre 1899 – Nalinnes (aujourd’hui commune de Ham-sur-Heure-Nalinnes, pr. Hainaut, arr. Thuin), 21 mars 1969. Institutrice, fondatrice et dirigeante du Parti communiste de Belgique (PCB), fille de Théodore Rainchon.

Nelly Rainchon est la fille de Théodore Rainchon, dit Arsène (1868-1940). Sa mère, Joséphine Brogneaux, tailleuse, née en 1873, mariée en 1892, meurt en 1903. Elle a une sœur aînée, Yvonne.
Nelly Rainchon obtient son diplôme d’institutrice à l’École normale provinciale d’institutrices de Mons en 1918. Baignant dans le monde socialiste depuis l’enfance, elle participe en 1919 au Congrès régional de Charleroi de la Jeune garde socialiste (JGS) en tant que déléguée de la section de Lodelinsart-Ouest qui soutient L’Exploité, journal fondé en 1911 par Joseph Jacquemotte.

On retrouve Nelly Rainchon parmi les participants du IIIe Congrès des Amis de l’Exploité qui décide la création du PCB en mai 1921. Elle est élue au Comité central du parti constitué en septembre 1921, l’une des très rares femmes figurant parmi les fondateurs. Proche de Claire Racine, épouse de Guillaume Vandenborre*, elle se situe dans la lignée politique de War Van Overstraeten*, avec lequel elle entretiendra une correspondance amoureuse que saisira le Parquet lors des perquisitions de 1923.

Nelly Rainchon, qui fait partie de la commission d’organisation ainsi que de la commission syndicale du parti, se signale immédiatement par une activité militante intense : meetings publics, liaisons entre les groupes du Centre (pr. Hainaut), de Liège, de Verviers (pr. Liège), mais aussi missions plus discrètes en Allemagne occupée. Le Rappel du 23 mars 1923 y fait allusion ainsi qu’à des « rencontres avec des Russes ». Elle assure, avec Léon Lesoil*, la direction effective de la Fédération de Charleroi. Depuis janvier 1923, elle y réside chez sa soeur et son mari, rue du Roton, mais est fréquemment hébergée dans sa famille à Lodelinsart.

En mars 1923, Nelly Rainchon fait l’objet d’une perquisition et est incarcérée dans le cadre du « Grand complot », dénoncé par la Justice lors des grèves et manifestations contre l’occupation de la Ruhr. Elle est la seule femme parmi la quinzaine de dirigeants du PCB traduits devant la cour d’assises en juillet 1923. Quelques lettres de prison retrouvées témoignent de sa belle écriture d’institutrice, de son humour envers la situation, mais aussi de ses curiosités intellectuelles : étude de l’italien, lecture de livres d’histoire, d’histoire de l’art, demande d’histoires de saints et saintes ! Claire Racine la ravitaille en papier ce qui l’incite à formuler son désir « d’écrire des livres ».
Quand vient le procès, c’est le jeune Paul-Henri Spaak* qui assure sa défense, « avec flamme », estime-t-elle, tandis qu’un second avocat la décrit comme une « charmante jeune fille, infiniment douce ». C’est aussi le souvenir qu’en a P.-H. Spaak dans des mémoires inédites : « je défendais aussi Nelly Rainchon, une jeune fille blonde, aux yeux bleus, très mignonne, dont la douceur cadrait mal avec les reproches de violence que lui prêtait l’acte d’accusation ». La journaliste Yvonne Dusser la décrit également, « vêtue d’un tailleur rouge foncé, sans chapeau, un fin visage de Wallonne » ( ? !!).
Le procès tourne à la confusion de l’accusation et tous les prévenus sont acquittés.

Nelly Rainchon reprend aussitôt une intense vie militante. Mais en septembre 1924, elle est rayée de Charleroi pour une petite bourgade française du Morvan, Anost (département de Saône-et-Loire). Nous ignorons les raisons et la durée de ce séjour. Même interrogation sur les deux années qu’elle passe à Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers) où elle est inscrite comme employée, du 23 juin 1925 (à la Zirkstraat, venant de Charleroi) au 28 mars 1927. Elle gagne alors Ixelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) où elle reparaît dans les archives et dans l’action militante. Selon le procureur du Roi de Bruxelles, elle fait l’objet d’une « surveillance particulière ». Elle est, selon lui « l’une des personnalités dirigeantes du parti communiste ». Il rappelle avoir transmis de multiples rapports à son sujet alors qu’elle ne figure plus dans les organigrammes du parti.
L’explication repose à coup sûr dans la rupture qui s’installe alors au sein du PCB. Nelly Rainchon est en étroite liaison avec E. Dufoing, dirigeant des Jeunesses communistes (JC) de Charleroi qui y anime l’Opposition et va suivre War Van Overstraeten en mars 1928 dans la scission dite trotskyste. Les liens de Nelly avec ce dernier sont anciens et bien établis ainsi qu’avec Guillaume Vandenborre, autre dirigeant de l’Opposition. Il est amusant de constater que c’est alors que le journal de l’officine d’espionnage anticommuniste SEPES la décrit comme l’une des membres de la « troïka de la section belge de la Tchéka ».

C’est alors sans doute que N. Rainchon se rapproche de Raymond Decelle qui mène l’Opposition au sein des JC de Bruxelles et qu’elle va épouser à Ixelles, le 30 mars 1929. Decelle est né à Bruxelles le 19 janvier 1905. Militant actif des JC depuis plusieurs années, il est nommément visé par l’envoyé de l’Internationale, comme trotskyste à éliminer lors du Congrès du parti de 1927. Il est architecte et s’est fait remarquer, notamment à l’Exposition des Arts décoratifs et industriels de Paris de 1925. L’acte de mariage qualifie Nelly d’employée. Le couple s’installe à Bruxelles en 1929, déménage à Uccle (Bruxelles) en 1932. Nelly est alors qualifiée de « sans profession ». Il semble qu’ils ne déploient aucune activité politique et rien ne signale un engagement quelconque sous l’occupation allemande qu’ils passent à Montigny-le-Tilleul (pr. Hainaut, arr. Charleroi) où ils ont emménagé en novembre 1939.

Des documents ultérieurs nous apprennent cependant que Nelly Rainchon et son mari demeurent en contact avec des militants de leur sphère politique. Ainsi, nous savons qu’il séjournent en 1946 chez Alfred Rosmer dans sa demeure de Périgny (département de la Charente-Maritime, France) et qu’ils ont un abonnement à La Révolution prolétarienne en 1947. C’est sa revue d’avant-guerre que relance alors le vieux lutteur syndicaliste et internationaliste anti-stalinien, devenu éditeur des œuvres de Trotsky, tout en refusant l’enrôlement dans quelque parti que ce soit. Cherchant des abonnés potentiels en Belgique, Nelly Rainchon ne suggère qu’un nom, « seul survivant du naufrage », Adhémar Hennaut*. Nelly et Raymond Decelle-Rainchon suivent les avatars des groupes trotskystes issus de la scission du PCB de 1928. Dans ces quelques lettres très chaleureuses envers Alfred et Marguerite Rosmer, Nelly et Raymond expriment ainsi leur désillusion du passé mais aussi la distance prise avec quelque action que ce soit dans cette Belgique, « pseudo paradis », « triste pays où seul, le ventre est à l’aise ».
En avril 1962, le couple effectue son dernier déménagement pour Nalinnes où Nelly décède en mars 1969 et Raymond Decelle le 14 janvier 2001. Ils n’y ont exercé aucune activité politique.

Quelques lacunes demeurent dans notre connaissance d’un parcours étonnant d’une jeune femme instruite, issue des milieux socialistes, engagée avec fougue et efficacité depuis la Révolution d’octobre, engagement qui témoigne du rayonnement qu’eut l’événement sur une jeunesse politisée, notamment au sein des Jeunes gardes socialistes. Mais aussi, elle a su s’imposer dans un milieu presque exclusivement masculin, affronter tous les risques, dont la prison, sans rompre totalement avec son milieu d’origine puisque son père est présent à son mariage. Mais celui-ci correspond à la cessation de ses activités politiques, ainsi d’ailleurs qu’à celles de son mari. Cet arrêt pose question, les hypothèses sont multiples. Mais rien ne permet d’en privilégier aucune.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article187351, notice RAINCHON Nelly Régine, épouse DECELLE. par Francis Drugman - José Gotovitch, version mise en ligne le 30 novembre 2016, dernière modification le 29 novembre 2022.

Par Francis Drugman - José Gotovitch

SOURCES : RGASPI, fonds Komintern Belgique, passim – Archives du Parquet du Procureur du Roi de Bruxelles, instruction du Grand Complot, 1923 : 102/1/56, 102/1/57et 102/1/38 – Archives des communes de Lodelinsart, Charleroi, Ham-sur-Heure-Nalinnes, Anvers, registres de la population – Archives Guillaume Van den Borre (copies personnelles) – Mémoires dactylographiées inédites de Paul-Henri Spaak – DUSSER Y., Mémoires d’une Française de l’extérieur, Liège, (1937) – CEDIAS-Musée social, Paris, Archives Alfred Rosmer et Marguerite Thévenet, Correspondance générale − SEPES, 5ème année, n°1, 15 janvier 1929.

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