RIVIÈRE Raymond, Hubert.

Par José Gotovitch

Saint-Gilles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 8 août 1908 – Tontelange (aujourd’hui commune d’Attert, pr. Luxembourg, arr. Arlon), 12 octobre 1951. Rédacteur-administrateur de La Jeunesse ouvrière et communiste, professeur à l’Université ouvrière de Bruxelles, directeur à l’ONPC, déporté, membre du cabinet du ministre du Ravitaillement, Edgar Lalmand.

Enfant naturel reconnu par sa mère, Charlotte Rivière, née à Amboine (Ambon) dans les Moluques, Raymond Rivière est élevé par son grand-père, Hubert Rivière, qui fut sergent dans l’armée des Indes néerlandaises et revint en Belgique, carrière achevée, dans les années 1870. Après une courte période passée à Liège, il accomplit ses études moyennes à l’Athénée de Saint-Gilles.

Raymond Rivière apparaît en 1925 dans le cercle restreint de la Jeunesse communiste (JC) où lui échoit très rapidement la responsabilité de l’organe alors bimensuel, La Jeunesse ouvrière et communiste. On lit sous sa plume des articles sur les questions économiques. Il entame l’année académique 1925 comme étudiant en droit à l’Université libre de Bruxelles (ULB), mais ne poursuit pas. En 1926, il effectue un stage à L’Humanité, journal du Parti communiste français. Il est expulsé de France. Ces années là sont des années de militance à la direction des JC. Il est signalé comme tel par le procureur du Roi de Bruxelles. Il met cette activité en veilleuse en 1929 pour reprendre, aidé par des prêts de l’université, des études qu’il achève brillamment en décrochant, avec grande distinction, sa licence en sciences économiques en juillet 1933. Poursuivant une recherche doctorale jusqu’en 1935, il décroche au passage une licence en économie financière.

En novembre 1934, Raymond Rivière participe à la création de la Centrale des cercles de matérialisme dialectique (CEMADI) dont l’objectif est de « redonner au socialisme marxiste le caractère scientifique que de mauvais épigones lui ont enlevé et servir ainsi le mouvement révolutionnaire anticapitaliste dont le mouvement ouvrier forme le noyau décisif. » Rassemblant des intellectuels issus des rangs socialistes et communistes, ils abordent dans des diverses commissions des problèmes philosophiques, économiques, politiques et même artistiques sur lesquels paraissent des rapports dans une revue (CEMADI) qui couvre l’année 1935. Voulant étendre leur rayonnement au sein du mouvement ouvrier, les CEMADI donnent naissance en 1936 à l’Université ouvrière de Bruxelles (UOB) dont Raymond Rivière est le premier directeur. Avec l’appui de quelques syndicats et sous le patronage de plusieurs professeurs de l’ULB ainsi que de dirigeants politiques, l’UOB prodigue, à la Maison des tramwaymen jusqu’à la veille de la guerre, à des auditoires très fournis composés de syndicalistes, de jeunes ouvriers et d’étudiants, un enseignement couvrant divers domaines scientifiques. Rivière y assure notamment un cours d’économie politique.

Curieusement, malgré son engagement politique, Raymond Rivière accède au terme de son service militaire (classe 1930) au grade de lieutenant de réserve. Il peut faire état de la connaissance de multiples langues, italien, allemand, néerlandais, anglais, auxquelles s’ajouteront par la suite l’espagnol et le russe.
Mettant fin à son travail de recherche, il est engagé au premier novembre 1935, à l’Office national de placement et du chômage (ONPC) en qualité de chef du service de la statistique. Il semblerait qu’il ait bénéficié de l’appui de Henri De Man, alors ministre, à la recherche de cadres progressistes qui manquent cruellement dans l’administration de l’État. Il est promu l’année suivante au grade de chef de service de première classe et accède ensuite à la direction du service « Chômage ». Il n’a pas trente ans ! Cette ascension rapide ne fait pas que des heureux. Son statut de fonctionnaire interdit alors strictement l’adhésion au Parti communiste, mais, en 1936, le jeune cadre supérieur se joint au personnel venant de déclencher une grève, qui s’étend à tout le pays, contre le directeur général. Il retrouvera ce dernier sur son chemin après-guerre.

Mobilisé en 1939, Raymond Rivière est fait prisonnier pendant la campagne de 1940 qu’il sert comme lieutenant ravitailleur. Il est emprisonné à l’Oflag VIIIC, à Juliusbourg (Westphalie, Allemagne), mais est libéré en août 1940 comme flamand. Il reprend ses fonctions à l’ONPC, devenu en 1941 l’Office national du travail (ONT) où il favorise l’entrée de deux militants communistes, William Pauwels, (le peintre Wilchar) et le jeune peintre et mathématicien Jean Lagneau, tous deux actifs résistants et futures victimes de la répression nazie. Rivière se revendiquera d’un engagement dans la résistance, de sabotage administratif et d’une liaison opérative avec les Partisans armés. Cette dernière activité est reconnue comme telle en 1948 par le titre de « résistant armé ».

Responsable des statistiques, Raymond Rivière assume son travail avec sérieux et fournit des indications précises sur la situation du marché de l’emploi, suggérant à l’interne des orientations à prendre. Certaines lui seront portées à charge après-guerre, mais, en mars 1942, le chef de l’ONT, collaborateur affiché, le démissionne d’office avec préavis. Il trouve alors refuge à la CNAA où il entre le 16 janvier 1943 comme chef de la statistique.
Raymond Rivière est arrêté à son domicile le 2 avril 1943, en même temps que dix-neuf autres employés de l’ONT impliqués dans le réseau bâti autour du journal clandestin de l’ONPC, Le Maillon. Il aurait figuré sur une liste « d’indésirables » transmise à l’occupant allemand par le directeur de l’ONPC. Convoquée à la SIPO (Sicherheitspolizei), sa femme, Angèle Vrancken, y est brutalisée, interrogée sur une hypothétique origine juive et sur l’incendie à la Maison du peuple, alors siège de la Werbestelle (service du travail obligatoire). En février 1941, L’Ami du peuple, organe antisémite, s’était indigné sur le maintien en fonction d’un certain Rivière qui serait juif ! Quant à l’attentat à la Werbestelle, il avait été effectivement monté par les Partisans armés dont certains employés à l’ONPC.

Alors que plusieurs de ses codétenus sont libérés, Raymond Rivière entame un parcours concentrationnaire qui le mènera de la prison de Saint-Gilles au fort de Breendonk (commune de Willebroek, pr. Anvers-Antwerpen, arr. Malines-Mechelen), où il reste dix mois : il y passe de 65 à 45 kg. Il connait ensuite Vught (pr. Brabant-Septentrional, Pays-Bas), Gross-Rosen, Dora (commune de Nordhausen, Thuringe, Allemagne) et Ravensbruck (aujourd’hui commune de Fürstenberg/Havel, Brandebourg, Allemagne) dont il est rapatrié en avril 1945. Sa santé est gravement compromise par ce long cheminement concentrationnaire. Mobilisé quelques jours comme officier de réserve, il est mis en congé de repos jusqu’au 1er octobre 1945. Alors qu’il demande sa réintégration au sein du Fonds provisoire de soutien des chômeurs involontaires – qui exerce alors les fonctions de l’ex-ONPC –,il se voit notifier par le directeur général remis en place, un licenciement qui aurait été décidé sur proposition de ce dernier, par le Ministre en 1940 alors que Rivière est mobilisé !

C’est le coup d’envoi d’une campagne, animée par ce même ancien et à nouveau directeur général qu’il a nargué avant guerre, d’accusations très agressives sur sa conduite à l’ONT, dépeinte comme une aide volontaire à la politique du travail de l’occupant. Pour tenter d’y mettre fin, le ministre communiste Edgar Lalmand, en charge du département du Ravitaillement depuis février 1945, fait passer Raymond Rivière devant la Chambre supérieure de la Commission d’enquête du ministère du Ravitaillement. Son avocat sera, du début à la fin de ses démêlés, son compagnon de déportation, le député CVP (Christelijke volkspartij - Parti social-chrétien), Marcel Vandewiele*, président national de la KAJ (Kristelijke arbeidersjongeren - Jeunesse ouvrière chrétienne)et futur secrétaire national de l’ACW (Algemeen christelijk vakverbond - Mouvement ouvrier chrétien). La Commission examine longuement les accusations portées contre lui, et aboutit à le « blanchir totalement de tout grief d’ordre patriotique ». Aussi est il nommé, en date du 1er avril 1946, chef du Cabinet du Comité de coordination du Ravitaillement et de l’Agriculture.

Par opposition au dénigrement de certains, la confiance de ses compagnons de déportation confère à Raymond Rivière, dès sa création en 1946, la présidence de l’Amicale des ex prisonniers politiques des camps et prisons de Haute-Silésie, qui comprend initialement les rescapés des camps d’Auschwitz, Gross-Rosen et Gross-Strehlitz Il le demeurera jusqu’à son décès. C’est au nom de cette amicale qu’il assiste, comme observateur et aux côtés d’un groupe principalement composé d’anciennes détenues juives venues témoigner, en mars-avril 1947 à Varsovie, au procès de Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz. Il siège également au Comité national de la CNPPA (Confédération nationale des prisonniers politiques et ayants droits). Le 5 octobre 1948, le Régent lui attribue la Médaille de la Résistance. Le 15 novembre 1950, il est fait chevalier de l’Ordre de la Couronne « pour services rendus à l’armée ».
Son activité au Cabinet Lalmand est intense mais elle cesse définitivement au 1er avril 1947 avec la sortie des communistes du gouvernement Huysmans. Son licenciement de 1940 lui est alors confirmé mais le harcèlement se poursuit. Il doit faire face à une instruction ouverte à sa charge par l’Auditorat sur base de nouvelles dénonciations introduites par le même directeur général.

Devenu chômeur de fait, Raymond Rivière rebondit en créant une société d’import-export, International Supply, qui débute dans l’importation de denrées alimentaires, et va se développer avec succès, étendant sa sphère d‘activité dans les pays de l’Est, principalement la Tchécoslovaquie, et en Amérique Latine où il fera de fréquents et longs séjours. Sa situation financière devient relativement florissante. Mais la période de guerre le poursuit.

L’instruction menée par l’Auditorat et l’examen du statut de Prisonnier politique de Raymond Rivière vont, pour des raisons non élucidées, se dérouler seulement au début des années 1950. Et dans le climat d’anticommunisme virulent qui se déploie alors et qui mobilise une frange du monde résistant et de la déportation, malgré le témoignage favorable de son chef direct, le futur administrateur de Fabrimétal, Georges Velter, malgré les avis antérieurs des commissions d’épuration, le conseil de guerre proclame en novembre 1950, l’extinction de l’action publique par prescription. Ceci en l’absence du prévenu et sans débat contradictoire avec sa défense sur les faits incriminés, d’ailleurs non évoqués dans l’arrêt ! Curieusement, l’ensemble des journaux fait écho à cette décision qui induit le doute et provoque une motion d’indignation de l’Amicale de Haute-Silésie.

Sans plus apparaître ni s’engager publiquement, hors du monde des prisonniers politiques, Raymond Rivière demeure en contact et fournit occasionnellement des éclaircissements économiques à son ancien ministre. Selon sa fille, ses convictions n’ont pas changé quand une mort accidentelle le surprend en mars 1951 sur la route, au retour d’un voyage à Prague.
C’est sa veuve, Angèle Vrancken (1905-1975) épousée en 1939 à Uccle où Raymond Rivière résidait depuis 1938, qui poursuivra les démarches devant la Commission d’agréation des Prisonniers politiques. En 1954 et 1955, l’enquête reprend donc avec l’audition de ses détracteurs et défenseurs. Mais l’atmosphère s’est modifiée depuis la Libération : des figures de proue de la chasse « patriotique » aux Rouges siègent et déposent. Les commissions ont changé d’atmosphère. Y témoignent notamment un homme d’influence lié aux milieux d’où sont issus les assassins de Julien Lahaut, mais aussi des proches de Fernand Demany* qui a quitté avec fracas le Parti communiste et mène un Front de l’Indépendance dissident ! Le 30 mars 1955, le bénéfice du statut est attribué à Raymond Rivière.
Angèle Vrancken et Raymond Rivière sont les parents d’une fille, Monique, née le 4 septembre 1941 : elle deviendra institutrice maternelle aux Cailloux, école liée au Home du même nom, créé par Jean Lavachery et qui héberge de nombreux orphelins de guerre et enfants de résistants.

Ainsi s’achève brutalement ce parcours atypique d’un des rares intellectuels ralliés au communisme dès sa jeunesse et qui l’est demeuré, devenu officier et haut fonctionnaire dans l’avant-guerre. La résistance, l’arrestation et la déportation, marqueurs communistes classiques de la période, le projettent dans les coulisses d’un pouvoir éphémère. La Guerre froide l’en chasse, mais ses capacités personnelles lui permettent de rebondir, restant fidèle à ses convictions de départ.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article187460, notice RIVIÈRE Raymond, Hubert. par José Gotovitch, version mise en ligne le 3 décembre 2016, dernière modification le 16 décembre 2021.

Par José Gotovitch

SOURCES : CArCoB, Dossier CCP Rivière − MASSON H., L’Université ouvrière de Bruxelles, article inédit, s.d. − Administration communale d’Uccle, service de l’État civil − Archives générales du Royaume, Fonds SPF Sécurité sociale, Direction générale Victimes de la guerre, dossiers SVG-d019619 et SVG-PP 27831/33992 − Archives de l’ULB, Rôle des inscriptions, 1924-1955 − Documents personnels de Raymond Rivière communiqués par sa fille Monique, 2016.

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