Beyssenac (Corrèze), Moulin de la Papeterie (Massacre dit du Pont Lasveyras), 16 février 1944

Par Jean-Claude Bellarbre

Massacre dit du Pont Lasveyras : le 16 février 1944, les Allemands donnèrent l’assaut à un refuge de réfractaires au STO installé par l’Armée secrète sur le territoire de la commune de Beyssenac (Corrèze). Ils exécutèrent sur place 34 réfractaires et en déportèrent treize.

Monument commémoratif du massacre du 16 février 1944
Monument commémoratif du massacre du 16 février 1944
MémorialGenWeb.

Le 16 février 1944, une colonne allemande venue de Limoges donna l’assaut à un refuge de réfractaires au STO installé par des membres de l’Armée secrète au moulin de la Papeterie aussi appelé moulin de la forge de Pissac ou moulin de la Forêt situé sur la commune de Beyssenac, un kilomètre en amont du Pont-Lasveyras en bordure de l’Auvézère.
Cette colonne forte d’environ 150 hommes issus du 28e Régiment de sécurité stationné à Limoges et renforcée par des agents français de la Gestapo transportés par deux voitures et sept camions s’immobilisa au niveau du village de Germignac à proximité de la route de Pompadour à Payzac. Après avoir contraint un jeune habitant des lieux alors âgé de 15 ans à les guider vers leur objectif distant d’environ un km, les Allemands attaquèrent le moulin. Quelques occupants des lieux semblent alors avoir été tués et leurs camarades, qui ne disposaient quasiment d’aucun armement se rendirent rapidement.
Les survivants furent contraints de s’allonger face contre terre par groupes de cinq puis de se relever groupe par groupe. C’est alors que 34 hommes furent abattus à coups d’armes automatiques. Treize autres, choisis préalablement au hasard pour transporter équipements et munitions vers les camions, furent ensuite emmenés en captivité à Limoges.
Douze membres de ce groupe furent emprisonnés à la caserne Marceau. Certains subirent des tortures au siège du K.D.S (Sipo-SD), à la villa Tivoli. Ils furent ensuite transférés au camp de Compiègne-Royallieu puis à Neue Bremm et déportés à Mauthausen et Auschwitz. Cinq d’entre eux y sont décédés, Sept ont survécu.
Curieusement l’un des prisonniers, Jean Delage, né en 1920, originaire de Pompadour et fréquemment présenté comme le chef du camp fut traité différemment. Dans le registre d’écrou du K.D.S de Limoges, son nom a été barré au crayon rouge alors qu’en face des douze autres noms figure le chiffre « III » signifiant la déportation dans un camp de type III en l’occurrence Mauthausen. Détenu pendant deux mois à la prison de Limoges, Delage a été ensuite envoyé travailler en Allemagne au titre du S.T.O. Transféré à Dachau le 10 octobre 1944 puis à Auschwitz le 24 novembre par un convoi qui n’y est jamais parvenu, son nom a été cité le 26 juin 1945 lors d’une émission de radio dans une liste de prisonniers se trouvant en Pologne. Depuis, sa trace a été perdue...
Trois autres occupants du moulin ont survécu : l’un d’entre eux, André Cubertafon a été recueilli et soigné de ses graves blessures à la tête et à l’épaule ; deux autres, Audor et Joubertie, réussirent à s’enfuir au début de l’attaque en traversant la rivière.
Le refuge, alors composé d’un moulin désaffecté et d’une maison-grange inoccupée dite du meunier, avait été aménagé à partir de la mi-janvier 1944 par Fernand Devaud, maire de Savignac-Lédrier, et Raoul Audrerie, sergent-chef d’infanterie démobilisé, responsables de l’A.S de Dordogne-Nord après l’arrestation de Charles Serre le 22 janvier. Les bâtiments appartenaient alors au docteur Dutheil, membre du P.P.F, qui exerçait à Limoges où il était le médecin habituel des troupes allemandes d’occupation. Après le massacre, les Allemands ont allumé un bûcher pour incendier divers équipements et effets, suffisamment à l’écart pour que le moulin et la maison ne soient pas touchés. Il semble y avoir eu une volonté manifeste d’épargner les bâtiments,
Sur la route du retour, ils se sont arrêtés dans une ferme située au village de Paradinas commune de Payzac, où ils ont abattu et emmené des animaux d’élevage. Ils ont alors été la cible de tirs d’armes automatiques en provenance du village proche d’Aubisse. Cette « contre-attaque » a été revendiquée à la fois par les responsables A.S et F.T.P de Dordogne Nord sans que les uns et les autres n’apportent de précisions déterminantes. Cet épisode fut à l’origine d’une opération de ratissage des environs menée les jours suivants, au cours de laquelle les prisonniers ont été utilisés comme boucliers humains.
Le choix de ce refuge, au fond d’une vallée encaissée aux versants abondamment boisés et adossé à des rochers abrupts paraît avoir été fait pour héberger dans l’urgence des réfractaires au STO toujours plus nombreux alors que la plupart des « fermes amies » proches n’avaient plus la capacité de les accueillir.
La maison- grange a été démolie dans les années soixante ; seul subsiste aujourd’hui le moulin devenu propriété de la commune de Beyssenac et qui a été transformé en musée à l’initiative de l’Amicale des Familles et Amis des Victimes du 16 février 1944 (AFAV) et des Communautés de Communes de Lanouaille, Pompadour et Saint-Yrieix. Sur place, une stèle, érigée en 1947, et un chemin de la mémoire commémorent le massacre. Un large chemin d’accès empierré a été construit en lieu et place de l’étroit sentier de 1944 qui serpentait entre rochers et rivière depuis le Pont-Lasveyras.
Depuis 1945, une cérémonie officielle a lieu chaque 16 février. Ce massacre est évoqué dans le film de Winfried Lachauer réalisé par la SWR en juillet 2004 "Apprentissage chez l’ennemi" et dans le film "Massacre du Pont Lasveyras" réalisé en janvier 2011 par l’Amicale des Familles et Amis des Victimes du nazisme en Limousin et Périgord (AFAV).


Réfractaires exécutés sommairement le 16 février 1944 au Moulin de la Papeterie, à Beyssenac (Corrèze) :

BITARD Paul Elie Gilbert né le 17 février 1924 à Périgueux (Dordogne)
BORDERIE Albert Jean né le 12 juin 1923 à Ruelle-sur-Trouve (Charente)
BRUN Albert né le 4 septembre 1924 à Savignac-Lédrier (Dordogne)
CADET André né en 1924
CHAZARIN Pierre Jean alias Bricard né le 9 septembre 1923 à Cénac-et-Saint-Julien (Dordogne)
CROUZY Yves né le 27 mars 1922 au Chalard (Haute-Vienne)
DAMIS Maurice né le 6 juin 1922 à Vaunac (Dordogne)
DAUBISSE René né le 9 novembre 1923 à Lasbrugnas, commune de Savignac- Lédrier (Dordogne)
DELAGE Robert Aimé né le 10 mars 1924 à Eymoutiers (Haute Vienne)
DUBOUÉ Jacques alias Rabouin né le 4 novembre 1924 à Bordeaux (Gironde)
DUPUY André Marcel né le 16 août 1921 à Excideuil (Dordogne)
DUREDON André né le 17 janvier 1924 à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute Vienne)
ENAULT André Eugène Joseph né le 4 décembre 1921 à Fécamp (Seine-Inférieure, Seine-Maritime)
ENAULT Francis Louis Charles Pierre né le 10 avril 1923 à Yport (Seine-Inférieure, Seine-Maritime)
EVEINE Jean né le 8 juin 1924 à Périgueux (Dordogne)
FAROUT Adrien né le 15 janvier 1924 à Glandon (Haute Vienne)
GARDES Jean Gabriel Mathieu né le 20 juin 1925 à Limoges (Haute-Vienne)
GATINEL Raymond né le 8 juin 1924 à Périgueux (Dordogne)
GELBERGER Hermann dit Henri né le 20 mars 1925 à Strasbourg (Bas-Rhin)
GIRARDEAU Roger né le 31 mai 1924 à Sarlande (Dordogne)
GRANGER Raymond né le 21 février 1924 à Lanouaille (Dordogne)
LAGORCE Edmond né le 17 novembre 1924 à Sarlande (Dordogne)
LAVAUD Albert né le 9 juillet 1924 à Savignac-Lédrier (Dordogne)
LE JALU Joseph né le 23 juillet 1922 à Callac (Côtes-du-Nord, Côtes d’Armor)
LOSEILLE Jean Marcel né le 24 mars 1924 à Bègles (Gironde)
MACHEFER François né le 16 avril 1924 à Coussac-Bonneval (Haute-Vienne)
MADRONNET Pierre Louis né le 1er janvier 1924 à Saint-Léonard-de-Noblat (Haute -Vienne)
MISSEGUE Pierre Henri né le 7 mai 1924 à Périgueux (Dordogne)
PEYRAMAURE Henri Joseph Albert né le 24 avril 1924 à Lanouaille (Dordogne)
POMPOGNAT Joseph né le 30 octobre 1924 à Saint-Pantaly-d’Excideuil (Dordogne)
POUYADOU Noël né le 25 décembre 1921 à Saint-Cyr-les-Champagnes (Dordogne)
SCHNEIDER Paul né le 17 octobre 1923 à Haguenau (Bas-Rhin)
SIMON Raymond Georges, cuisinier, né le 4 septembre 1921 à Saint-Marcel (Indre)
SOUDEIX Robert alias Spada né le 26 novembre 1919 à Périgueux (Dordogne)


Résistants morts en déportation :

BARTOU André né le 1er mars 1924 à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), mort, selon les sources, le 21 avril 1944 au camp de concentration de Mauthausen (Autriche) [JO 2007] ou le 6 septembre 1944 au camp de Melk, Kommando de Mauthausen [Fondation pour la Mémoire de la Déportation].

CUMAZZI René

LAGUIONIE René, né le 10 juillet 1924 à Savignac-Lédrier (Dordogne), mort le 6 avril 1945 au camp de concentration de Gusen (Autriche).

MADRONNET Max Gabriel, né le 18 avril 1922 à Angoulême (Charente), mort le 21 février 1945 au camp de concentration de Gusen (Autriche) ; alias Moreau, fils de Gabriel et de Thérèse Lescure.

MARSALEIX Léon, né le 7 mars 1922 à Troche (Corrèze), mort le 17 avril 1944 au camp de concentration de Mauthausen (Autriche). Fils de Jean et Marie Maselle.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article187733, notice Beyssenac (Corrèze), Moulin de la Papeterie (Massacre dit du Pont Lasveyras), 16 février 1944 par Jean-Claude Bellarbre, version mise en ligne le 14 décembre 2016, dernière modification le 17 février 2021.

Par Jean-Claude Bellarbre

Monument commémoratif du massacre du 16 février 1944
Monument commémoratif du massacre du 16 février 1944
MémorialGenWeb.

SOURCES : Archives Départementales de la Dordogne, de la Corrèze et de la Haute-Vienne. — Archives des Tribunaux militaires, Le Blanc. — Archives des victimes des conflits contemporains, Caen. — Extrait des registres de la prison de Limoges. — Documents et témoignages collectés par l’Amicale des Familles et Amis des Victimes du 16 février 1944 (AFAV). — Sites web :
-  MémorialGenWeb, Mémorial de la Résistance de Beyssenac.
-  Francs-Tireurs et Partisans, blog.
-  Le chemin de la Mémoire du Pont Lasveyras
-  Communication du colonel (er) Pierre Mercier, neveu de Robert Delage.

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