CARRÉ Lucien, Joseph

Par Claude Pennetier

Né le 28 octobre 1910 à Besançon (Doubs), mort en déportation le 12 avril 1945 à Dora (Allemagne) ; cordonnier, ouvrier dans diverses industries ; militant communiste du Doubs.

Né dans une famille de onze enfants dont le père, facteur des PTT, fut un actif militant socialiste puis communiste du Doubs (voir Armand Carré*), Lucien Carré perdit sa mère à l’âge de neuf ans et dut vivre avec la nouvelle épouse de son père qu’il qualifia de « marâtre ». Il quitta l’école à douze ans, avant d’avoir passé le certificat d’études primaires, pour être berger puis, pendant neuf mois, apprenti cordonnier. Sans doute faut-il voir l’influence de son père dans son adhésion au Secours rouge international - il fut trésorier de la section locale - dès l’âge de quatorze ans. Sa politisation précoce n’allait pas sans lacunes dans sa connaissance du mouvement ouvrier : ainsi, étant entré comme apprenti bobineur dans une papeterie de Besançon, il adhéra à la CGT car, dira-t-il, il n’avait pas fait la distinction entre CGT et CGTU, et renouvela son affiliation au syndicat confédéré deux ans plus tard. Il aurait fait la grève avec quelques amis le 1er Mai 1924. Attiré par l’appel de la mer, il embarqua à Marseille comme novice sur le Madona et fit six voyages sur les côtes d’Afrique. Lucien revint à Besançon, travailla dix-huit mois au Gaz, puis comme aide-fumiste pendant un mois avant d’être renvoyé de ces deux places pour son activité syndicale à la CGT.

En 1924, Lucien Carré décida d’adhérer aux Jeunesses communistes où il accéda à des responsabilités en 1928. Délégué à la conférence nationale des Jeunesses communistes en avril 1928, il devint secrétaire de la 8e Entente en juillet. Dans son autobiographie de juillet 1933, il signale sa présence, sans doute au titre des JC, à la conférence nationale communiste des 30 janvier-1er février 1928 qui fut marqué par l’exclusion d’Albert Treint et de Suzanne Girault.

Lucien Carré mena avec énergie la campagne contre les dangers de guerre impérialiste, encourant les rigueurs de la justice : le tribunal de Besançon le condamna le 5 octobre 1928 à un mois de prison pour provocation de militaires à la désobéissance, cette peine étant portée à quatre mois avec sursis en appel ; le 5 novembre de la même année, le même tribunal lui infligea six mois de prison et deux cents francs d’amende pour avoir distribué des journaux à la porte de la caserne Ruty. S’étant écrié au prononcé de la sentence : « À bas la bourgeoisie, vive le Parti communiste », il se vit infliger une condamnation à un an de prison pour outrage à magistrat. Commença pour lui une longue période d’incarcérations successives. Le Parti communiste fit de ce « prisonnier d’État » un candidat aux élections municipales du 5 mai 1929 à Besançon. Gracié le 29 décembre par décret présidentiel, il sortit de prison le 1er janvier 1930. Le même mois, Lucien Carré fut arrêté pour avoir participé activement à la grève de Belfort. La justice le condamna en mars 1930 à trois mois et un jour de prison (le jour supplémentaire a son importance car il fallait deux condamnations de plus de trois mois pour envoyer un conscrit aux bataillons disciplinaires d’Afrique) pour entraves à la liberté du travail et rébellion. Carré entra, le 29 septembre 1930, à la Compagnie des chemins de fer du Nord comme agent du service automobile au dépôt des Batignolles. Le comité central des Jeunesses communistes l’envoya en fin d’année en Russie pour « enquêter sur l’édification du socialisme en URSS ». Il semble être revenu à Belfort avant son incorporation à l’armée en octobre 1931 car les rapports de police le qualifiaient de « secrétaire du groupe des JC de Belfort » (Arch. Nat. F7/13124.) Envoyé au dépôt des « exclus » de Collioure (Pyrénées-Orientales) et maintenu un mois au fort Miradou, il fut envoyé à la section disciplinaire de Mecheria dans le sud oranais. La presse communiste mena campagne pour obtenir son transfert dans une unité régulière et le Secours rouge international publia en 1932 une brochure intitulée Arrachons Carré au bagne de Mecheria. Son épreuve prit fin en octobre 1932. Il avait fait en tout deux ans et trois mois de prison. « Exclu de l’armée [pour un an], grade zéro » écrivait-il fièrement en réponse à la question sur sa situation militaire dans son autobiographie de juillet 1933.

Le VIIe congrès des JC, tenu à Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais) du 11 au 17 juin 1932, l’élut à son comité central. Lucien Carré reprit sa fonction de secrétaire de la 8e Entente des JC et participa à l’exclusion des oppositionnels, influents dans la région de Belfort (voir Henri Jacob*). Devenu permanent, il fut secrétaire du rayon communiste de Belfort en 1934 et secrétaire de la 29e région (Haute-Saône et Belfort) de 1935 à 1937. Le Parti communiste le présenta aux élections municipales à Belfort en mai 1935. Lucien Carré était très proche de deux autres militants originaires de la Franche-Comté, Henri Janin et Maurice Tréand, responsables aux cadres. Mais il eut lui même à deux reprises des blâmes pour ne pas avoir respecté les règles de sécurité. En juin 1934, le secrétariat lui reprocha d’avoir envoyé à l’Humanité la photographie de quatre militants communistes (dont lui-même) en uniforme pendant une période de réserve, avec des pancartes portant les mots d’ordre « À bas la guerre impérialiste », « Les réservistes du 21e RI - Vive l’Humanité », « Vive l’Armée Rouge Ouvrière et Paysanne ». Il fut relevé de ses fonctions de secrétaire régional en février 1937 pour avoir envoyé - contrairement aux consignes - une lettre à sa femme, Henriette Schmidt, élève de l’École léniniste internationale de Moscou.

Lucien Carré s’était marié le 26 novembre 1932 à Belfort avec Henriette Schmidt* qui, après avoir séjourné pendant deux ans à Moscou, devint la compagne puis la femme d’André Heussler. Il vivait en 1937 avec Maria Chaussner, ouvrière d’usine militante communiste avec qui il se remaria le 9 mars 1940, toujours à Belfort.

Il vécut clandestinement en Haute-Saône et entra au Font national en février 1943.

Arrêté le 25 août 1943 sur dénonciation, détenu à la caserne Friedrich à Belfort, il fut conduit à Compiègne puis déporté à Buchenwald. Il mourut à Dora (Allemagne) le 12 avril 1945, massacré par les Nazis avant la libération du camp.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18790, notice CARRÉ Lucien, Joseph par Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 30 mai 2021.

Par Claude Pennetier

SOURCES : RGASPI, Moscou, archives biographiques du Komintern, 495 270 3850. — Arch. Nat. F7/13024, F7/13033, F7/13115, F7/13124. — Arch. Jean Maitron. — Le Semeur, 27 avril et 4 mai 1929, 18 janvier 1930. — Le Semeur ouvrier et paysan, 25 juin 1932, 27 avril 1935. — Arrachons Carré au bagne de Mecheria, 1932, 40 p. — Cl. Angeli et P. Gillet, Debout, partisans !, op. cit. — T. Ferlé, Le Communisme en France : organisation, La Bonne presse, 1937. — État civil de Besançon. — Témoignages pour ne pas oublier 1940-1945. Des communistes dans la Résistance, 1966, Brochure réalisée par la Fédération du Parti communiste du Territoire de Belfort.

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