CARRIER Maurice

Par Michel Pigenet

Né le 11 juillet 1902 à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 17 octobre 1975 à Rouen ; docker ; syndicaliste CGTU (Ligue syndicaliste) et CGT.

Fils de Jean-Baptiste Carrier, employé de chemin de fer, et d’Alexandrine Lecaplain, sans profession, Maurice Carrier se maria à Rouen en juillet 1929 avec Madeleine Dupont. Après avoir navigué pendant la Première Guerre mondiale sur un navire qui faisait la navette entre la France et les États-Unis ( rescapé d’un torpillage en 1917), il travailla quelques mois sur les quais du Havre, puis revint s’établir dans sa ville natale.

Partisan convaincu de Victor Engler, il suivit ce dernier à la CGTU et au Parti communiste (en 1927, il était fiché par la police comme membre du Secours rouge international). Le 26 mai 1923, il fut condamné à quatre mois de prison pour avoir bousculé un agent de police qui était tombé dans la Seine lors d’une manifestation de grévistes (réhabilité en 1936 selon ses dires). Dans l’opposition de la Ligue syndicaliste, il s’imposa par sa culture et son autorité comme le principal lieutenant d’Engler, bien qu’il n’ait assuré aucune responsabilité syndicale avant la mort de ce dernier en décembre 1935.
C’est lui qui négocia la fusion entre les dockers unitaires et confédérés vers la fin du mois de décembre 1935. Il fut élu trésorier des dockers, archiviste de l’Union locale et secrétaire à la propagande de l’Union départementale. Élu secrétaire adjoint de l’Union locale en janvier 1937, il fut réélu trésorier des dockers jusqu’à la guerre.

Avec Poupion, Maurice Carrier s’efforça de limiter l’influence des communistes sur le port de Rouen. Il passa outre les décisions des instances locales et départementales de la CGT et se présenta contre Jeanne aux élections prud’homales de 1938. Battu, il poursuivit son combat au sein de l’organisation syndicale où il présenta, en vain, une liste contre la direction sortante dominée par les anciens « unitaires ». Les événements de l’automne 1939 lui permirent de prendre sa revanche. À la faveur de l’exclusion des communistes, il devint secrétaire de la nouvelle Union syndicale du port créée pour la circonstance et bientôt reconnue par la Fédération des Ports et Docks, elle-même épurée.

Après les poursuites engagées contre les syndicalistes de tendance communiste, il fut élu secrétaire des dockers, responsabilité qu’il conserva jusqu’en 1944, date à laquelle il fut évincé du bureau.

Ses responsabilités amenèrent Carrier à participer aux activités des organismes de la Charte du travail. Il expliqua, plus tard, son appartenance simultanée au bureau clandestin de l’Union départementale et assura être entré sur ordre au COSI local. Membre de la commission de la main-d’œuvre du port et du BCMO de Rouen en 1942, il nia avoir contribué, à ce titre, à l’établissement des listes de travailleurs requis pour le STO. Au printemps 1943, il fut nommé à la sous-commission régionale rouennaise de la famille des auxiliaires des transports pour y représenter la catégorie des ouvriers et des employés. Demeuré sur une ligne strictement syndicale, il protesta, lors d’une réunion tenue le 6 décembre, contre l’immixtion des employeurs dans des débats qui, à ses yeux, relevaient des seuls délégués ouvriers. Afin de marquer son désaccord, il quitta la séance et annonça sa démission. Revenu sur sa décision, il assista à la séance du 13 janvier 1944, mais critiqua, en présence du secrétaire de la Fédération des Ports et Docks, les commissaires patronaux. Il se plaignit notamment du rôle attribué à « certaines personnalités que des faits antérieurs avaient opposées aux ouvriers » rendus responsables, à ses yeux, de la mauvaise atmosphère qui régnait dans la sous-commission et du fait que les ouvriers avaient « perdu tout espoir de faire œuvre utile ». Onze jours plus tard, il invoqua la « discipline syndicale » pour exiger que la désignation des représentants ouvriers procède d’une décision votée par leurs camarades en assemblée générale.

Cette attitude ne lui valut aucune indulgence de la part des militants communistes évincés par ses soins en 1939. Le 22 octobre 1944, l’assemblée générale du syndicat du port ratifia son exclusion à l’unanimité. L’année suivante, la commission départementale d’épuration syndicale réduisit la sanction à quinze ans de privation de ses droits syndicaux dans le même temps où la Cour de justice de Rouen l’acquittait. Il fit appel auprès de la commission nationale de reconstruction des organisations syndicales. Réfutant les arguments de ses détracteurs, il mit en cause « le parti pris de certains membres de la commission » pressés de régler « des querelles personnelles datant de l’avant-guerre » et désireux « à tout jamais [de] [l’]éloigner de toute activité syndicale ». Embauché comme contremaître d’une entreprise rouennaise de manutention dès le 14 novembre 1944, Maurice Carrier fut soutenu par le syndicat des agents de maîtrise qui lui renouvela sa confiance les 10 juin et 12 août 1945. De fait, il demeura à la tête de cette organisation affiliée à la Fédération des Ports et Docks. Depuis cette base de repli, il demeura un syndicaliste de terrain, fidèle à la CGT, mais soucieux de tenir à distance ses anciens adversaires de tendance. Membre du premier comité d’hygiène et de sécurité créé en 1952, il exigea ainsi le départ de Jules Duhamel, son opposant des années 1930, invité à une réunion à titre consultatif. En 1956, ce fut le tour du syndicat des dockers de contester l’élection de Carrier en tant que délégué des agents de maîtrise au motif qu’il occupait désormais un poste de pointeur. Longtemps réduites au minimum, les relations du syndicat des contremaîtres avec celui du port ne commencèrent à s’améliorer pour déboucher sur une fusion qu’après la cessation d’activité de Carrier pour cause d’invalidité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18816, notice CARRIER Maurice par Michel Pigenet, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 29 avril 2020.

Par Michel Pigenet

SOURCES : Arch. mun. Rouen, 7 F 3 (Archives judiciaires). — Arch. Nat., F22 1968, 1972, 1792. Centre des archives contemporaines : 870150, art. 152. — Arch. Institut CGT d’Histoire sociale, dossier de la Commission nationale de reconstruction des organisations syndicales. — E. Guillaud, Dockers et syndicalisme à Rouen, 1947-1962, mémoire de maîtrise, Rouen, 1994. — P. Veyron, Les Dockers du port de Rouen, 1919-1947, mémoire de maîtrise, Rouen, 1979. — Notes de M. Boivin - Arch. dép. Seine-maritime 10 MP 1410 bis Syndicats dissous après 1936, 1 MP 269 Suspects - Le Prolétaire normand passim - Témoignages directs de Maurice Carrier et de Charles Énée.

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