CHAUTARD Léon [CHAUTARD Jean, Léon, Ricard]

Par Michaël Roy

Né le 1er décembre 1812 à Gallargues (Gard), mort le 13 janvier 1890 à Gallargues ; comptable ; quarante-huitard actif, insurgé de Juin, transporté ; évadé de Cayenne en 1857 ; auteur de Fuir Cayenne (Escapes from Cayenne, 1857) ; exilé aux États-Unis de 1857 à 1872.

Léon Chautard naquit le 1er décembre 1812 à Gallargues, dans le Gard, où ses parents, Michel Chautard (fabriquant d’eau-de-vie) et Marie Ricard, s’étaient mariés le 1er juin 1801. Plusieurs des oncles de Chautard servirent l’Empire : deux d’entre eux combattirent comme officiers et perdirent la vie dans la campagne de Russie (juin-décembre 1812) ; un autre commanda le navire qui, en 1815, ramena en France Napoléon Ier exilé à l’île d’Elbe. Chautard était orphelin de père et de mère à l’âge de quatre ans. Un oncle maternel, « qui avait été commissionnaire en chef à la Grande Armée de Napoléon premier », prit l’adolescent âgé de quinze ans sous sa protection « pour lui faire donner une bonne éducation ».

En septembre 1831, Léon Chautard, alors domicilié à Montpellier (Hérault), s’engagea comme soldat au 6e régiment d’infanterie de ligne. Il fut promu caporal en mai 1832, puis cassé de son grade « pour inconduite » en mai 1834, « déclaré déserteur » en août 1835 et « rayé pour longue absence » en mars 1837. « Rentré volontairement à Lille » en novembre 1838, il fut finalement « congédié par libération » en novembre 1838. Chautard mentionne dans Fuir Cayenne un séjour de quatre ans qu’il fit en Angleterre dans sa jeunesse, vraisemblablement entre 1838 et 1842.

Avec sa femme Clémentine (née Collare), originaire de Valenciennes (Nord), Léon Chautard vécut par la suite dans la commune encore indépendante de Montmartre, au numéro 3 de l’impasse Constantine. Il travaillait comme « teneur de livres » (comptable) pour divers négociants parisiens, parmi lesquels Pierron, rue Saint-Honoré, et les frères Angrémy, grossistes en « mérinos, châles et nouveautés » situés rue de Cléry. Dans les divers documents d’archives qui le concernent, Chautard apparaît toujours comme étant lié au monde du commerce : « commis-négociant », « caissier », « arbitre de commerce » sont quelques-uns des termes utilisés pour désigner sa profession tout au long de sa vie.

Républicain et socialiste, Léon Chautard fut un acteur de terrain des journées révolutionnaires de 1848. Il présida un temps le Club républicain de Montmartre et participa à la création du Club de la révolution démocratique, dont il cosigna une déclaration de principes adressée aux travailleurs : « Tous les membres appartiennent à l’opinion radicalement démocratique  : ils veulent l’abolition de tous les privilèges, sous quelque forme qu’on les présente, de l’exploitation de l’homme par l’homme, des distinctions sociales, du cumul des emplois, et généralement de tout ce qui porte atteinte au principe sacré de l’égalité. » Chautard participa également à la rédaction de quelques-uns des journaux qui se multiplièrent parallèlement aux clubs. Enfin, il se mit en rapport avec les ateliers nationaux, où il fit, dans les termes d’un préfet de police, « une active propagande en faveur des idées démagogiques ».

Léon Chautard prit part aux journées de juin 1848. Selon le même préfet de police, il « commandait la barrière du faubourg Poissonnière » et « exerçait une grande influence sur les insurgés qui combattaient sous ses ordres ». Auprès de la commission militaire d’enquête sur l’insurrection, Chautard se défendit d’avoir joué un tel rôle, admettant seulement s’être trouvé dans les parages du faubourg Poissonnière « comme curieux ». Mais cette version des faits se trouva contredite par Denis-Étienne Collas, adjoint au maire de Montmartre, qui déclara auprès de la commission d’enquête que Chautard lui avait « fait l’effet d’être le chef de la barricade ».

Après son arrestation le 11 juillet, Chautard fut conduit de prison en prison – Conciergerie, fort de Noisy, fort de l’Est, ponton L’Uranie en rade de Brest –, tandis qu’à Paris, en janvier 1849, sa femme Clémentine plaidait son innocence dans une lettre au président de la République nouvellement élu, Louis-Napoléon Bonaparte : « Avant d’abandonner la capitale permettez à une malheureuse femme d’intercéder auprès de vous, Monsieur le Président, pour que son mari soit rendu à la liberté, liberté de la qu’elle [sic] il n’aurait jamais dû être privé. » Léon Chautard resta incarcéré. Il passa l’essentiel de l’année 1849 au dépôt de Belle-Île-en-Mer, aménagé à la suite des journées de juin, où il côtoya d’autres « dangereux », selon le terme utilisé par l’administration pour désigner les prisonniers politiques. Avec deux de ses codétenus, il fit en avril une première tentative d’évasion, évoquée notamment par le socialiste Jean-Baptiste Dunaud dans le « Journal de ma transportation ». Une violente altercation eut lieu entre gardiens et prisonniers les 11 et 12 décembre 1849, dont Chautard, avec une dizaine d’autres prisonniers, fut tenu pour responsable. Tous furent acquittés par les assises du Morbihan en mars 1850.

Léon Chautard fut transporté en Algérie à l’issue du procès. Il y passa un peu plus de deux ans, enfermé d’abord à la casbah de Bône, puis envoyé à Alger, Oran et Mers el-Kébir. En réaction aux mauvais traitements infligés aux prisonniers, Chautard entama une grève de la faim, qui permit une légère amélioration de leur condition. Dans le même temps, ses actes répétés d’insubordination lui valurent d’être par deux fois condamné à cinq ans de fers, les 4 juin 1851 et 10 juin 1852. Chautard fit un bref séjour au fort Lamalgue, à Toulon (Var), à l’été 1852, prélude à sa transportation outre-Atlantique. Il embarqua à bord de La Fortune le 5 septembre et débarqua à Cayenne le 31 octobre, premier parmi la trentaine d’insurgés de juin transportés en Guyane.

Sur cinq ans de détention en Guyane, Léon Chautard en passa à peu près la moitié sur les îles du Salut (île Saint-Joseph, île Royale et île du Diable) et sur l’île de la Mère, « destinée à servir d’ossuaire aux républicains vaincus », comme il l’écrit dans L’Homme. Chautard raconte dans Fuir Cayenne le calvaire enduré par les bagnards : « Nous étions chargés de chaînes […]. On nous faisait travailler toute la journée sous un soleil écrasant […]. Nous passâmes dix-neuf mois sur l’île Saint-Joseph, pendant lesquels nous perdîmes cinquante de nos compagnons, soit un quart d’entre nous. Certains moururent de désespoir, d’autres de faim, de mauvais traitements ou de dysenterie. » En mai 1855, Léon Chautard finit par obtenir l’autorisation de résider à Cayenne même, où il bénéficia d’une relative liberté de mouvement. Il occupa divers postes où il put mettre à profit sa maîtrise de la comptabilité, en participant par exemple à la création de la banque de Guyane.

Après plusieurs tentatives, Léon Chautard parvint à s’évader de Cayenne à bord d’un navire en partance pour la Guyane anglaise, le 14 juillet 1857, soit quelques mois avant ce qui aurait dû être la date de sa libération, le 2 octobre. Une lettre de recours en grâce que Chautard s’était décidé à adresser à Napoléon III en juin 1856 avait débouché sur une réduction de peine, dont il n’a visiblement pas été informé. Arrivé à Georgetown, capitale de la Guyane anglaise, Chautard retrouva deux de ses amis les plus proches, Hippolyte Paon et Charles Bivors, eux-mêmes transportés à Cayenne en juin-juillet 1853 et évadés de l’île du Diable en septembre 1856, à bord de deux radeaux sur lesquels se trouvaient également François Attibert, Pierre Séroude, Alphonse Davaux et Gustave Dime. Chautard, Paon et Bivors gagnèrent les États-Unis ; ils débarquèrent à Boston (Massachussetts) en septembre 1857 et se rendirent à Salem (Massachusetts). Léon Chautard composa Fuir Cayenne dans les jours qui suivirent l’arrivée des trois républicains aux États-Unis, à partir de son propre témoignage et de celui d’Hippolyte Paon. Le récit parut en feuilleton dans les pages du Salem Register, avant d’être republié sous forme d’une brochure de soixante-trois pages vendue au prix de vingt-cinq cents.

Fuir Cayenne fut principalement promu dans les pages du journal antiesclavagiste The Liberator, publié à Boston par l’abolitionniste blanc William Lloyd Garrison, qui activa ses réseaux pour aider les trois hommes. En novembre 1857, il écrivait ainsi à l’activiste transcendentaliste Theodore Parker : « Permettez-moi de vous présenter [trois] réfugiés français miraculeusement évadés de Cayenne, des victimes du despotisme de l’usurpateur français, Louis-Napoléon. L’un d’entre eux a rédigé le récit de leur évasion […], qu’il est impossible de lire sans éprouver la plus profonde pitié pour leur triste sort. » C’est également dans les pages de The Liberator que fut publié l’un des écrits les plus significatifs de Léon Chautard en dehors de Fuir Cayenne. Aux conservateurs se disant inquiets de l’influence grandissante des « républicains étrangers » sur la scène politique locale, Chautard répondit par une longue lettre, datée du 27 mars 1858, dans laquelle il réitéra – toujours dans un anglais de haute tenue – les principes socialistes et anti-esclavagistes déjà exposés dans son récit.

Léon Chautard s’établit à Boston, où il fréquenta la petite communauté des réfugiés politiques. En compagnie de républicains italiens, allemands et français, il participa, le 29 avril 1858, à une cérémonie en l’honneur du révolutionnaire et patriote Felice Orsini (voir la notice de son frère, Cesare Orsini), exécuté quelques semaines plus tôt pour sa tentative d’attentat contre Napoléon III. Chautard renoua avec le milieu professionnel qu’il avait quitté à Paris dix ans plus tôt, celui du commerce de vêtement : il travaillait en 1860 pour un vendeur de « bottes, guêtres et chaussures » auquel il procurait des articles envoyés de Paris ; Chautard fit au moins un voyage en France la même année. Chautard prit-il les armes lors de la guerre de Sécession ? Il en eut en tout cas le projet. Dans son édition du 22 avril 1861, le Boston Herald indiquait que Chautard venait de constituer une compagnie de soixante-quinze volontaires français et qu’il espérait encore recruter trente-cinq hommes. S’il est difficile de suivre plus avant le parcours de Chautard dans la guerre, il est certain que son engagement au sein de l’armée de l’Union constitua pour lui une autre facette d’un combat pour la liberté et la justice commencé de l’autre côté de l’Atlantique.

Léon Chautard fit le choix d’un exil prolongé, ne revenant définitivement en France qu’en 1872, une fois le Second Empire déchu et la Troisième République proclamée – et trop tard pour avoir participé à la Commune. Aspirant sans doute à une vie plus calme auprès des siens, il s’installa à Nîmes (Gard) avec sa femme Clémentine. Le couple ne semble pas avoir eu d’enfants. Chautard tenta d’obtenir une indemnisation au titre de la loi de réparation nationale de 1881, quand bien même il ne faisait pas partie des victimes du coup d’État du 2 décembre 1851 ni de ceux concernés par la loi de sûreté générale du 27 février 1858. L’issue de sa requête est inconnue, mais il est possible qu’elle ait été rejetée au prétexte que son cas relevait d’« affaires de 1848 » ou de « faits antérieurs au coup d’État », selon les formules qu’on trouve apposées sur les dossiers de certains prévenus de juin.

Léon Chautard semble être revenu dans son village natal de Gallargues à la toute fin de sa vie. Il y mourut le 13 janvier 1890, à l’âge de soixante-dix-sept ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article188256, notice CHAUTARD Léon [CHAUTARD Jean, Léon, Ricard] par Michaël Roy, version mise en ligne le 3 janvier 2017, dernière modification le 6 novembre 2021.

Par Michaël Roy

SOURCES : Arch. Nationales, W 574, F 15 4169. — Archives nationales d’outre-mer, COL H 569. — Service historique de la défense, 6 J 128, GR 34 Yc 236, no 7711.—Léon Chautard, Fuir Cayenne (Salem, 1857) in Michaël Roy, Léon Chautard, un socialiste en Amérique (1812-1890), Paris, Anamosa, 2021. — Jean-Baptiste Dunaud, « Journal de ma transportation » dans Des barricades à l’île du Diable. Journal de Jean-Baptiste Dunaud, révolutionnaire de 1848, présenté et annoté par Véronique Fau-Vincenti, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2019. — Louis-José Barbançon, « Les transportés de 1848 (statistiques, analyse, commentaires) » et « Transporter les insurgés de juin 1848 », Criminocorpus. — La Presse, 17, 19, 20, 21 mars 1850. — L’Homme, 9 août 1856. — The Liberator, 25 décembre 1857, 1er janvier, 16 avril, 7 mai 1858. — Boston Daily Advertiser, 24 octobre 1860. — Boston Herald, 22 avril 1861. — Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration, Paris, Firmin Didot, 1847. — Alphonse Lucas, Les Clubs et les Clubistes, Paris, E. Dentu, 1851. — Louis Ruchames (éd.), The Letters of William Lloyd Garrison, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1975, t. 4. — Correspondance avec Bernard Atger, avril 2021. — État civil.

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