CASANOVA Laurent [CASANOVA Antoine, Laurent]

Par Claude Pennetier

Né le 9 octobre 1906 à Souk-Ahras (Constantine, Algérie), mort le 20 mars 1972 à l’hôpital Broussais de Paris ; docteur en droit ; collaborateur de Maurice Thorez ; ministre des Anciens combattants et victimes de la guerre (26 janvier-6 décembre 1946) ; député communiste de Seine-et-Marne (1944-1958) ; membre du comité central (1945-1961) et du bureau politique (1947-1961), écarté en 1961.

Laurent Casanova naquit en Algérie d’un père cheminot originaire de Corse ; employé aux Chemins de fer algériens de l’État, il fut successivement homme d’équipe, chef de train et contrôleur avant d’être mis à la retraite le 1er juillet 1933. Sa mère était sans profession, son frère devint employé de banque et sa sœur employée des postes. Laurent Casanova passa à Souk-Ahras « une enfance heureuse et libre » (l’Humanité, 13 avril 1956). Deux événements marquèrent profondément son enfance, écrivit-il en 1956 : les grèves des cheminots de 1920 au cours de laquelle son père fut délégué des ouvriers grévistes et la grande famine de 1924 qui lui fit constater les souffrances du peuple arabe.

Laurent Casanova fit ses études secondaires au collège de Bône comme interne boursier. Après son baccalauréat, il vint à Paris en octobre 1927 pour poursuivre ses études à la Faculté de droit et termina sa licence en octobre 1930. Il fréquenta les cercles d’étudiants corses où il connut Vincentella Perini (la future Danielle Casanova) à laquelle il se lia en juin 1928 (il l’épousa en décembre 1933) et qu’il retrouva à l’Union fédérale des étudiants où il avait adhéré pendant sa première année de résidence à Paris, en 1928, au moment d’un conflit entre étudiants et direction d’un restaurant philanthropique chrétien : « C’était une propagandiste infatigable et son prosélytisme était insistant. Elle n’eut de cesse que j’eusse moi-même adhéré au Parti. Et, pour en être bien sûre, elle m’accompagna, en personne, le jour où je remplis mon bulletin d’adhésion au siège du comité central » (l’Humanité, 13 avril 1956). Son adhésion date de janvier 1929, Danielle avait, elle, adhéré en octobre 1928 aux Jeunesses communistes.

Laurent Casanova participa à la direction de l’Union fédérale des étudiants comme membre responsable de la fraction centrale de l’Union, chargé plus particulièrement du travail auprès des étudiants immigrés, tout en assurant le secrétariat de la cellule communiste du XIIe arrondissement. Son « esprit de parti » se forgea dans la lutte contre les étudiants trotskystes de l’UFE comme dans la polémique avec les six conseillers municipaux de Paris qui, en 1929, rompirent avec le Parti. Après avoir effectué son service militaire d’octobre 1930 à décembre 1931, au 60e régiment d’artillerie où il fut caporal, il prépara une thèse de droit mais n’eut pas l’occasion de s’inscrire comme avocat au barreau. Membre de la cellule 351, il était secrétaire du XIIe arrondissement depuis la conférence de rayon d’août 1932 et membre du comité régional. Il travailla dans la commission d’agit-prop régionale. Pendant les années 1932-1933, son militantisme et son état de santé l’empêchèrent de passer son doctorat en droit. Il accepta alors en 1933 un poste de permanent. Souvent malade, il fréquentait assez irrégulièrement sa cellule du XIVe arrondissement et fut considéré comme suspect par un communiste de Reims. L’enquête de la commission de contrôle conclut le 10 janvier 1934 à la fausseté de l’accusation. Il entra dans l’appareil clandestin pour s’occuper du travail en direction des soldats et, en particulier, des journaux et brochures. En 1934, il accéda à la direction de cet appareil sous le contrôle de Maurice Thorez* et du secrétaire général de la Jeunesse communiste. L’orientation du travail militaire changea en 1935 : le Parti communiste envisageant l’éventualité d’une guerre de défense nationale juste, contre le fascisme. Il fut donc le dernier responsable du travail antimilitariste. En février 1936, il s’installa au 120, rue Lafayette, siège du comité central, dans le bureau de Maurice Thorez. Sans fonction précise, on le prenait pour le secrétaire personnel du secrétaire général. « Thorez ne faisait plus un pas sans être suivi par un jeune et altier personnage, Laurent Casanova », écrivit Charles Tillon* (On chantait rouge, p. 228). Thorez le chargeait d’étudier des questions politiques en l’invitant parfois à assister aux réunions du secrétariat. Une mission de confiance, après le comité central d’Ivry-sur-Seine (mai 1939), consistant à porter aux dirigeants de l’Internationale communiste les documents adoptés, lui permit de découvrir l’URSS. Il la vit « avec les yeux du croyant », même en 1969, il raconta à Philippe Robrieux, malgré toutes les révélations de la période khrouchtchevienne sur la situation de la paysannerie, « à quel point il avait été frappé alors par l’aisance d’un groupe de paysans soviétiques rencontrés au restaurant » (Maurice Thorez, p. 512). Laurent Casanova s’était fait inscrire au barreau, en 1937-1938, pour assurer le cas échéant les transmissions entre les dirigeants emprisonnés et les autres. L’occasion ne se présenta pas ; il s’occupa seulement de la liaison entre le groupe parlementaire et la direction.

La mobilisation d’août 1939 interrompit son activité militante. Il partit avec le grade de caporal dans un régiment de pionniers stationnés sur la ligne Maginot. Pendant ses permissions, il reprenait contact avec Danielle passée à la clandestinité. Il tentait avec quelques camarades de faire paraître sur place un matériel de propagande lorsque l’attaque allemande de mai 1940 survint. Sa compagnie fut capturée avec toutes ses armes. Il partit prisonnier dans la région de Dortmund puis de Duren, travailla à la construction d’une autostrade et dans une usine de bakélite. Casanova ne parvint pas à rétablir le contact avec la direction du PCF. Il tenta une première évasion mais fut repris à Maestricht en Hollande ; après un séjour dans un camp de représailles, il travailla dans la banlieue de Cologne et s’évada avec l’aide d’ouvriers allemands. Il arriva à Paris le 1er mai 1942 pour apprendre l’arrestation de Danielle Casanova qui mourut en camp l’année suivante. Par Claudine Chomat* - sa future épouse en secondes noces et dont il aura un fils - il reprit en quelques semaines le contact avec la direction du Parti, rencontra Aragon* et Elsa Triolet*, fit la connaissance de Picasso*. Pendant plusieurs mois il collabora sans fonction précise avec Pierre Villon. Le commandant en chef des FTP. Charles Tillon* demanda à bénéficier de l’aide de « l’ancien secrétaire particulier de Thorez » : « Encore que je connusse peu Casanova, j’étais sûr qu’il serait notre meilleur interprète auprès de l’assemblée consultative et du général (de Gaulle), après quelques semaines d’initiation à nos problèmes. Le secrétariat fut d’accord. Casanova assista donc au comité militaire national » (On chantait rouge, p. 368). Les deux communistes ne sympathisèrent guère et Tillon, dans ses ouvrages et ses déclarations, souligna à plusieurs reprises le rôle modeste de « Casa » qui, selon lui, n’assista qu’à quatre ou cinq comités militaires nationaux. Il ne parvint pas à rejoindre Londres ou Alger : « Plusieurs rendez-vous furent organisés sur des terrains d’atterrissage clandestins où un avion devait venir me prendre. L’avion ne vint jamais. La simple annonce à Londres de la présence sur le terrain d’un représentant des FTP suffisait pour faire annuler les opérations projetées. » (Casanova, l’Humanité, 13 avril 1956)

Lorsqu’en septembre 1944 de Gaulle demanda à Jacques Duclos* quels communistes pourraient entrer au gouvernement, ce dernier avança les noms de Charles Tillon* et de Laurent Casanova, mais de Gaulle retint ceux de Tillon et de François Billoux*. Casanova, député de Seine-et-Marne, entra avec Maurice Thorez dans le cabinet Félix Gouin* (26 janvier-24 juin 1946) comme ministre des Anciens combattants et victimes de la guerre. Il conserva ce portefeuille dans le premier ministère Georges Bidault (24 juin-6 décembre 1946). Membre du comité central du PCF depuis 1945, il devint membre suppléant du bureau politique en juin 1947 et titulaire en juin 1954. Chargé des relations avec les intellectuels à l’époque du jdanovisme triomphant en URSS, il assuma cette responsabilité avec brio mais « d’une manière autoritaire, sans permettre la moindre discussion » (Claude Morgan*, directeur des Lettres françaises, Unir, 10 janvier 1973). « Par tempérament, il cherchait plus des publics que des interlocuteurs », affirma Roland Leroy (Cahiers d’Histoire de l’IMT, art. cit.). Selon Pierre Daix, qui le surnommait « le Cardinal », Casanova « jouait du moindre de ses gestes, de sa stature imposante, des inflexions de sa voix méditerranéenne, pour investir son interlocuteur, le séduire et lui en imposer tout à la fois » (J’ai cru au matin, p. 198). En 1948, la théorie de l’hérédité, que le biologiste Lyssenko venait d’imposer aux scientifiques soviétiques, lui permit d’introduire en France les concepts de « science bourgeoise et science prolétarienne » malgré les réserves et même l’opposition de nombreux intellectuels communistes. « Je l’ai fait avec l’accord de Maurice, ne pouvant croire qu’il y avait en URSS, à l’abri du stalinisme, des falsificateurs » déclara-t-il à Philippe Robrieux (Arch. Ph. Robrieux). Sa brochure, Le Parti communiste, les Intellectuels et la Nation, fixa les règles de pensée et d’action des intellectuels communistes. Auguste Lecœur lui ravit au début des années 1950 une partie de ses responsabilités et renforça, dans le domaine de la peinture, des conceptions étroites que Casanova aurait combattu auprès de Maurice Thorez, en particulier lorsque Lecœur voulut contraindre Aragon à l’autocritique pour avoir publié dans les Lettres françaises un portrait de Staline jeune dû à la main de Picasso. Il contribua à l’élimination de Lecœur en 1954 et reprit la haute main sur les « intellectuels », confiant à Aragon le rapport pour le XIIIe congrès national (Ivry, 3-7 juin 1954). Après la mise à l’écart de Charles Tillon* en 1952 (à laquelle Casanova avait pris une part active), il fut chargé de représenter le Parti dans les instances dirigeantes du Mouvement de la paix et au Conseil mondial de la paix. Le XXe congrès du PC soviétique le surprit pendant une période de convalescence. Victime d’une infection rénale depuis février 1956, il dut subir l’ablation d’un rein en avril puis partir se reposer en Corse en mai. Les nouvelles du réquisitoire de Khrouchtchev contre Staline lui arrivèrent par la lecture du Monde. Il se serait fait deux réflexions : « désormais il faudra tenir compte de cette critique », « les camarades soviétiques avaient raison d’aborder la question et de lui donner une publicité », puis il cessa de « lire ces trucs du Monde » (interview du 24 mars 1969, Arch. Ph. Robrieux). Claudine Chomat lui téléphona pour lui dire de revenir à Paris avant le congrès du Havre (18-21 juillet 1956) où il n’intervint pas.

Le comité central du Parti communiste, réuni le 24 février 1961, prononça l’exclusion du bureau politique de Marcel Servin* et de Laurent Casanova. La signification de cette élimination reste très discutée d’autant que les intéressés ne se défendirent jamais publiquement. Le désaccord portait apparemment sur l’analyse du gaullisme que Casanova voulait caractériser avec nuance. Il en résultait des points de vue différents sur l’action à mener contre la guerre d’Algérie. Les rapports amicaux entre le couple Thorez-Vermeersch et le couple Casanova-Chomat se distendirent (les Thorez avaient passé leurs vacances en Corse avec Laurent et Danielle avant la guerre, ils séjournaient parfois dans les Alpes avec Laurent et Claudine, les Casanova étaient allés en URSS pendant la maladie de Thorez et celui-ci était revenu en France avec Casanova). Des observateurs ont pensé que les tensions entre Servin-Casanova et Thorez étaient à la fois plus anciennes et plus profondes : Servin-Casanova auraient tenté de tirer pour le parti français des leçons du XXe congrès. Leur expérience représenterait la première tentative de déstalinisation du PCF par le haut. Dans cette hypothèse, l’attribution du prix Lénine de la paix à Casanova, en décembre 1960, par un jury comprenant Aragon (vice-président), apparaîtrait comme un soutien de Khrouchtchev un mois avant la réunion du comité central qui devait discuter du cas Casanova (voir sur ce point les interprétations divergentes de Ph. Robrieux et de Louis Couturier, op. cit.).

Les deux accusés assistèrent au XVIe congrès (11-14 mai 1961) qui ratifia leur élimination et désigna Georges Marchais au secrétariat à l’organisation, mais sans intervenir dans les débats. Marcel Servin reconnut plus tard la « leçon méritée » que lui avait infligée le comité central et put accéder à des responsabilités régionales. Laurent Casanova refusa de s’incliner. Avec son épouse Claudine Chomat* (non réélue au CC) il se retira de la vie politique active tout en conservant la carte du PCF.

L’intervention soviétique en Tchécoslovaquie (1968) reçut son approbation. Il mourut quatre ans plus tard sans avoir « desserré les lèvres », fier de sa fidélité au parti. Le bureau politique lui sut gré de sa réserve. Son corps fut exposé au siège de la fédération de Paris. Roland Leroy qui lui rendit hommage au nom du comité central expliqua, en 1976, qu’il avait salué son « esprit de parti qui s’est surtout manifesté au moment de ses désaccords. Il a été l’objet de sollicitations multiples et extrêmement pressantes auxquelles il n’a pas cédé » (Cahiers d’histoire de l’IMT, art. cit., 1er trim. 1976).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18875, notice CASANOVA Laurent [CASANOVA Antoine, Laurent] par Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 27 juin 2022.

Par Claude Pennetier

SOURCES : Arch. Komintern, Moscou, RGASPI, 495 270 42 : autobiographie du 9 mai 1933. — Arch. Ph. Robrieux, interviews de mars 1969, 20 p. — L’Humanité, 13 avril 1956 (autobiographie) et 22 juin 1972 (décès). — Cahiers du communisme, octobre 1948. — Unir-débat, n° 65, 10 mai 1972. — Débat communiste, n° 22, 15 décembre 1963. — Cahiers d’histoire de l’IMT, n° 15 (43) 1er trimestre 1976 : « Le PCF, les Intellectuels et la Culture dans les 20 dernières années ». — Louis Couturier, Les « Grandes affaires » du PCF, Maspero, 1972. — Pierre Daix, J’ai cru au matin, 1976. — Dominique Desanti, Les Staliniens : une expérience politique 1944-1956, Fayard, 1974. — Philippe Robrieux, Maurice Thorez, vie secrète et vie publique, Fayard, 1975. — Charles Tillon, On chantait rouge, Robert Laffont, 1977. — Jeannine Verdès-Leroux, Au service du Parti. Le Parti communiste, les intellectuels et la culture (1944-1956), Fayard-Minuit, 1983. — Notice Laurent Casanova dans le DBK, par Claude Pennetier. — Francis Arzalier, Héroïsme politique et désir de pouvoir. Destins militants parallèles  : de la diaspora corse au Panthéon sacrificiel de la nation française, Colonna éditions, 2013.

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