CASTIONI Marcel [CASTIONI Marcel, Gilbert, Léon], dit Caco

Par Thibaud Blaschka

Né le 25 mars 1928 à Pontarlier (Doubs), mort le 8 septembre 2006 à Montbéliard (Doubs) ; ouvrier métallurgiste dans l’automobile, animateur culturel ; militant syndical et communiste du Doubs ; membre du conseil fédéral de Travail et culture (1978-1986) ; conseiller municipal (1977-1983), adjoint au maire en charge des affaires culturelles (1983-1995) de la ville d’Audincourt (Doubs).

Fils d’un menuisier (né en Suisse, naturalisé français en 1904) et d’une ménagère installés à Pontarlier (Doubs), Marcel Castioni fut reçu en 1939 au concours d’entrée en sixième, mais, face à la pauvreté de sa famille, aggravée par les privations liées au conflit, fit le choix après l’obtention de son certificat d’études primaires de ne pas poursuivre sa scolarité et de trouver un emploi. Il fut tour à tour employé par un réparateur de cycles, par un marchand de matériaux de construction et par un couple de fermiers. Il fut embauché le 13 mars 1944 comme apprenti ajusteur par Jules Gurtner, propriétaire d’une usine de fabrication de matériaux d’automobiles. Après la Libération de Pontarlier, le 5 septembre 1944, il devint commissionnaire avant de retrouver son poste à l’atelier d’outillage.

Il avait adhéré en juin 1944 à la Confédération générale du travail (CGT) et au Parti communiste français (PCF) clandestins empruntant le chemin défriché par son frère aîné, Pierre, dit Pierrot, militant de la Jeunesse communiste, réfractaire au Service du travail obligatoire, résistant au sein des Francs-tireurs et partisans, arrêté le 13 mars 1944 à Sochaux (Doubs) et déporté à Dachau (Allemagne). Diffuseur de presse à la Libération, Marcel Castioni suivit en 1946 une école de section et siégea au comité de section de Pontarlier sans négliger son engagement au sein de l’Union de la jeunesse républicaine de France.

Après son service militaire dans le génie, qu’il finit avec le grade de caporal-chef à la fin de l’année 1948, il retrouva son poste chez Gurtner. Élu délégué du personnel et secrétaire du comité d’entreprise et devenu secrétaire de cellule en 1949, il fut le rédacteur d’un article intitulé « Oui ! Gurtner est un traître » publié en janvier 1950 dans l’hebdomadaire fédéral du PCF, Le Peuple comtois : il y dénonçait l’œuvre de collaboration de son patron pendant l’occupation. L’article lui valut un licenciement qui provoqua des grèves et des manifestations ; le tribunal, saisi d’une plainte déposée par Gurtner pour diffamation et injures publiques, rendit un jugement en faveur du journal (représenté par Louis Garnier, secrétaire fédéral, qui resta depuis son ami). Réintégré, il rédigea un nouvel article : visé par une nouvelle plainte dont le jugement lui fut défavorable, il fut définitivement licencié le 4 avril 1951.

Malgré sa responsabilité de secrétaire de l’Union locale CGT de Pontarlier, il trouva un emploi de terrassier dans une entreprise locale de bâtiment. Il quitta en septembre 1951 Pontarlier pour le pays de Montbéliard (Doubs). Il travailla, d’abord comme manœuvre, puis comme OS2 à la Société industrielle des bois de l’Est et des Landes à Beaulieu (Doubs) intégrée en 1954-1955 par l’Industrielle de l’Est et du Nord (filiale de la Société anonyme des automobiles Peugeot). Les ateliers du site de Beaulieu, promis à une fermeture définitive en 1960, étant progressivement transférés à Bart (Doubs), Marcel Castioni, délégué syndical à Beaulieu dès 1952, fut élu secrétaire du comité d’établissement (CE) du site de Bart et siégea à partir de 1962 comme représentant du comité central d’entreprise au conseil d’administration de la Société anonyme des automobiles Peugeot. Il négocia au milieu des années 1960 l’achat par le CE (en collaboration avec d’autres CE) d’une maison familiale « Les Belles-Roches » située à Notre-Dame-de-Bellecombe (Savoie) ; ouverte en août 1969, elle devint sous sa gestion bénévole (et celle de sa femme, Milène) colonie de vacances pour les enfants et lieu de villégiature pour les adultes.

À la fin de l’année 1972, les élections confirmant la majorité CGT au sein du CE, il se libéra de son mandat de secrétaire pour rejoindre le CE des usines Peugeot du site de Sochaux en tant qu’animateur culturel permanent au sein de « La Cité », association de loi 1901 chargée de gérer par le CE (à parité entre élus et non élus) les activités de loisirs et de culture du personnel et de leurs familles ; il y fut embauché le 13 novembre 1973. Afin de combler les « lacunes » qu’il ressentait dans la pratique de son nouveau métier, il prépara de 1974 à 1978 le Certificat d’aptitude à la promotion des activités socio-éducatives et à l’exercice des professions socio-éducatives (CAPASE). Guy Konopnicki, secrétaire général de l’association Travail et culture, témoignait en 1978 dans Balades dans la culture de l’énergie virevoltante déployée par Marcel Castioni et de l’éventail large d’activités culturelles développées et promues sous sa responsabilité, tant et si bien qu’il fut membre de 1978 à 1986 du conseil fédéral de Travail et culture. Il batailla ainsi ferme dans une campagne qui revêtit un caractère national (par les soutiens engrangés dans le contexte de la victoire de la gauche en 1981) pour que le bibliobus de « La Cité » puisse circuler librement dans l’enceinte des usines Peugeot. À son initiative (aiguillée par l’équipe technique de la fédération nationale Travail et culture et épaulée par Jean Cadet, Muguette Cadet, Milène Castioni et Sylvie Mouget), en 1984, « La Cité » sauta également le pas de la diffusion à la création puisque, grâce à un financement opportun du ministère de la Culture, elle accueillit en résidence l’écrivain Jean-Paul Goux qui composa en 1986 à la suite de son immersion dans le pays de Montbéliard un livre polyphonique intitulé Mémoires de l’Enclave. Avant la sortie en librairie de l’ouvrage, la majorité du CE ayant basculé au détriment de la CGT, le licenciement économique de Marcel Castioni fut prononcé le 10 janvier 1986.

Si son goût de l’action l’orientait vers le militantisme syndical et culturel, en liaison directe avec les travailleurs, il ne délaissa pas pour autant son activité militante au sein du PCF. Secrétaire de la section communiste de Beaulieu, membre du secrétariat fédéral de 1952 à 1954, il ne fut pas réélu au comité fédéral en 1954 « pour erreurs politiques » : il l’expliquait par sa participation à une collecte visant à soutenir l’œuvre de l’abbé Pierre. Il eut un retour en grâce au début des années 1960 : retour au secrétariat fédéral en 1963, participation à l’école centrale d’un mois en mars-avril 1964 et à un voyage d’études en URSS du 9 au 21 juillet 1973, direction de l’école fédérale du Doubs et de la programmation de la fête annuelle d’Audincourt (Doubs) dans les années 1970. Les désaccords personnels avec la fédération du Doubs, qui entraînèrent sa mise à l’écart du secrétariat fédéral en mai 1964, puis du bureau fédéral en mars 1972 en raison de « difficultés politiques », faisaient pâle figure historique vis-à-vis des divergences, autrement plus politiques, entre la fédération du Doubs et la direction nationale du PCF qui s’intensifièrent au cours des années 1980 et débouchèrent sur la dissolution de la fédération contestataire par décision du conseil central en octobre 1988. Après une valse-hésitation, les exclus, parmi lesquels figurait bien Marcel Castioni, se regroupèrent sous un étendard commun surnommé « Fédération démocratique des communistes de Franche-Comté ».

Il avait été élu en 1977 conseiller municipal de la ville d’Audincourt sur la liste communiste conduite par Serge Paganelli, puis, en 1983, adjoint au maire en charge des affaires culturelles avant d’ajouter en 1989 à son périmètre d’intervention le personnel municipal. Il s’attacha en parallèle à son action impulsée à « La Cité » à défendre et à promouvoir une politique publique de la lecture qui se concrétisa notamment par l’inauguration en 1983 d’une bibliothèque municipale baptisée « Janusz Korczak » et par la programmation annuelle depuis 1984 d’une fête de la bande dessinée (initiée par le personnel de la bibliothèque). Il s’investit aussi dans des associations et des groupements de bibliothécaires en faveur de la lecture publique. Quelque peu boute-en-train, il profitait volontiers d’inaugurations et de manifestations publics soit pour entonner la chansonnette, soit pour prononcer un discours en vers de sa composition.

Il renonça en 1995 à ses fonctions électives ; malgré cela, il ne remisa pas au vestiaire ses convictions et s’engagea de plein pied en 1999 dans la campagne de soutien à la liste « Bouge l’Europe ! » conduite par Robert Hue, déclarant dans un meeting à Montbéliard en écho à son exclusion (avec la majorité de la fédération) du parti onze ans plus tôt et en présence du secrétaire général du PCF : « Rompant la logique implacable qui affirme qu’il n’y a de vrais communistes que dans le parti, je suis resté profondément communiste. »

Il s’était marié à Audincourt le 9 mai 1953 avec Milène Bonetti, fille d’immigrés italiens venus s’installer dans le pays de Montbéliard après un bref crochet par la Lorraine du fer ; ils eurent quatre enfants prénommés Michel (1954), Nadine (1956), François (1957) et Pierre (1966).

Encouragé par sa fille, Nadine Castioni, et son gendre, François Lassus, il s’attela de 1997 à 1999 à rédiger ses « souvenirs » qu’il destinait d’abord à sa famille et ses amis : évoquant des pans de sa vie, et en laissant d’autres dans l’ombre, ces « souvenirs » dessinent un récit, parfois maladroit, souvent émouvant, mais surtout précieux, pour qui veut saisir les paradoxes et les contradictions d’un militant ouvrier ayant investi la culture comme champ militant et professionnel.

Par décision du conseil municipal de la ville d’Audincourt dirigée par le sénateur-maire Martial Bourquin, en accord avec l’équipe professionnelle du lieu, le bâtiment de l’harmonie municipale porte depuis le 23 octobre 2009 le nom de Marcel Castioni qui fut un soutien indéfectible de l’harmonie et de ses musiciens.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article18970, notice CASTIONI Marcel [CASTIONI Marcel, Gilbert, Léon], dit Caco par Thibaud Blaschka, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 27 juin 2020.

Par Thibaud Blaschka

ŒUVRE : Le Caco. Autobiographie à l’usage des miens, édité par et pour sa famille, imprimé à la faculté de lettres de Besançon (Doubs), 2000., 265 p.

SOURCES : Arch. comité national du PCF. — Arch. Dép. de Seine-Saint-Denis (archives de Travail et culture, fonds 23 J). — Arch. privées de Lucien Marchal, sans cote, Sadia Saighi, « Culture : droit de cité à l’entreprise ? », Médianes, n° 12, novembre-décembre 1985. — Guy Konopnicki, Balades dans la culture (avec arrêts fréquents chez les travailleurs), Éditions sociales, 1978. — Jean-Paul Goux,Mémoires de l’Enclave, Mazarine, 1986 (rééd. Actes Sud, 2003). — Notice DBMOMS de Marcel Castioni par Claude Pennetier. — Thèse en préparation sur Travail et culture. — Presse locale. — Autobiographie de Marcel Castioni. — Entretien avec Jean Cadet. — Notes de François Lassus et de Lucien Marchal. — État civil de Pontarlier.

ICONOGRAPHIE : Photographie 1 : Marcel Castioni dans les années 1950 (Coll. privée Nadine Castioni et François Lassus) Photographie 2 : Marcel Castioni croqué par le dessinateur québécois La Fontaine lors de la fête de la bande dessinée, à Audincourt, en 1982 (Coll. privée Nadine Castioni et François Lassus) Photographie 3 : Marcel Castioni en chef honoraire de l’harmonie municipale de Dison (Belgique), ville jumelée avec Audincourt, vers 1985 (Coll. privée Nadine Castioni et François Lassus)

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