CHÂTELIN Antoine (Come, Damien)

Par Labbé Jean-Luc

Né à Issoudun (Indre) en septembre 1820, décédé vers 1890 à Méréville (Seine-et-Oise, Essonne). Relieur et Libraire à Issoudun, marié à Issoudun en 1844 avec Jeanne Froment (1825-1888) avec qui il eut trois enfants. Militant démocrate-socialiste dès les débuts de la Seconde République en 1848, inculpé en 1849 et condamné en 1851, ami de Félix Pyat, il s’exila à Londres. En 1868, dix ans après la loi d’amnistie qui lui aurait permis de rentrer, il était toujours à Londres. De retour à Paris au début de la 3ème République, il déclarait le métier de relieur et bénéficia de la loi d’indemnisation en 1882. Décédé postérieurement au décès de sa femme en 1888.

Après plusieurs années à Paris où il s’était formé à son métier de relieur, il revint s’installer libraire à Issoudun (sur la Place du marché aux légumes) avec, semble-t-il, les conseils et l’appui de Maurice Lachâtre, lui aussi issoldunois de naissance. Cette installation se fit très vraisemblement au cours de l’année 1845 puisque son nom apparait alors dans une revue professionnelle listant les personnes venant d’obtenir leur brevet de libraire et leur ville d’installation (Revue "Bibliothèque de la France, journal général de l’imprimerie et de la librairie", 4 janvier 1845).
Agé alors de 28 ans, démocrate-socialiste, engagé politiquement dès les débuts de la Révolution de 1848, il était sous surveillance policière. Sa fiche de police le décrivait ainsi : 1,65 m., bouche et nez moyens, visage, menton et sourcils ronds, cheveux châtains, front haut, teint pâle et yeux gris-bleu. A Issoudun son frère était bourrelier et ses beaux-frères menuisiers.
Louis Châtelin fut mis en cause en 1849 et condamné à trois semaines de prison pour sa participation active à la « société secrète » La Solidarité républicaine au côté de Lumet J-B*. Le jugement de première instance du tribunal d’Issoudun (ADI 2 U 75) conclut qu’il n’était pas été l’un des principaux initiateurs de cette « société secrète » et ordonna l’arrêt des poursuites contre lui ; contrairement aux cinq autres inculpés dont le dossier fut transmis au Procureur général de la Cour d’appel de Bourges. Mais Antoine Châtelin restait sur les listes des militants surveillés, listes qui servirent à mater les tentatives de soulèvement à Issoudun.
En 1851, il fut traduit avec une quarantaine d’autres, devant le tribunal correctionnel pour sa participation, le 25 février 1851, à un banquet commémorant le troisième anniversaire de la proclamation de la République le 24 février 1848.
Suite au coup d’Etat du 2 décembre 1851, il fut arrêté et emprisonné à Châteauroux. Un rapport joint à une lettre du procureur de Châteauroux au ministre de l’Intérieur (31 janvier 1852) décrivait un « très mauvais drôle, en relations avec les démagogues de l’Indre et de Paris, surtout Cabet. C’est de son magasin que sont sortis les écrits socialistes et les gravures qui ont infestés le pays ».
Condamné à l’expulsion définitive du territoire national, peine commuée en internement en France, Antoine Chatelin fut remis en liberté après deux mois d’incarcération. Les autorités mises en place à la suite du coup d’Etat semblaient en effet attentives à « ménager » les journalistes ; George Sand avait également intercédé en sa faveur auprès du pouvoir parisien comme en attestent les notes de Georges Lubin.
Finalement assigné à résidence et manquant de confiance pour la suite des évènements, il refusa de faire acte d’allégeance au pouvoir impérial et décida de quitter la France. Le 10 avril 1852 Antoine Chatelin figurait parmi les passagers du Panther, bateau qui assurait la liaison Ostende-Londres. Ce fut donc par la Belgique qu’il rejoignit l’Angleterre. Sa femme et ses enfants l’accompagnaient ainsi que deux menuisiers d’Issoudun dont l’identité, Froment, indique les liens familiaux avec sa femme Jeanne, née Froment elle aussi ; il s’agissait vraisemblablement de ses beaux-frères.
La famille Châtelin, arrivée sans argent, vécut difficilement du métier de relieur qu’exerçait Antoine dans un quartier de Londres, Soho, où se trouvaient également Friedrich Engels, Karl Marx et sa femme, Wilhem Liebknecht et de nombreux proscrits français. En 1861 la famille Châtelin quitta Soho (deux autres enfants étaient nés) pour un autre quartier de Londres où Antoine pût donner la pleine mesure de ses qualités professionnelles ; lors de l’exposition internationale de Londres de 1862, section reliure, il obtint une médaille avec la mention « dorure supérieure, fini excellent ». Félix Pyat, député de Vierzon pendant son exil à Londres, recevait son courrier de France chez Antoine Châtelin, confirmant de fait l’intimité des deux hommes. Cette proximité entre Pyat et Châtelin était bien connue du pouvoir impérial français grâce au cousin d’Antoine, Eugène Châtelin, qui vivait également à Londres et dont le travail consistait à renseigner la police politique de Napoléon III …
Un membre de la famille Châtelin-Froment, parmi les quatre adultes partis en Angleterre, était-il revenu à Issoudun ? Rien dans l’historiographie du mouvement ouvrier issoldunois ne l’atteste. A quelle date la famille Châtelin rentra-t-elle en France ? Si le retour à Paris s’effectua probablement dans les premières années de la IIIème République, deux certitudes peuvent être apportées. Antoine, en 1882, se trouvait sur la liste des indemnisés par la République pour avoir été « victime du deux décembre » 1851 et déclarait être relieur à Paris (il perçut une rente annuelle de 1000 Francs). Sa femme Jeanne décéda à Méreville (Essonne) en 1888, Antoine étant toujours en vie. Le couple avait eu trois enfants : Ernestine (couturière à Paris, née en 1845 à Issoudun), Auguste (employé à Paris né en 1857 à Londres) et Charlotte (née en 1860 à Londres).
Le nom de Châtelin apparaissait au début des années 1880 dans des comptes rendus d’associations de berrichons de Paris (Comité républicain des berrichons de Paris et Comité des Républicains socialistes). S’agissait-il d’Antoine ?

Le procès de 1851 pour avoir organisé un banquet républicain donnait le nom de la quarantaine de militants issoldunois (sans que s’y trouvent les principaux chefs) : Laplantine-Gerbault, Fromenteau-Leyron, Garnier-Ringuet, Chatelin-Froment Antoine, Vilotte François, Garnier-Massicard, Bergerion Antoine, de Courcelle-Paudat, Bestigne-Michon, Michon Jean-Antoine (fils du précédent), "Dame" Beaujoin, veuve Michon, Sineau-Pigelet, Chicot Gabriel fils, Bagnat Jean-Etienne, Rimboeuf Léonard, Riguet Pierre, Durivage, Breton Adolphe, Montigny Claude-Emile, Roblat (fils), Rivière Pierre (père), Briault Etienne, Boiry Benjamin, Boiry Charles (fils), Brossard, Petit François (dit Paterne), Maillet Louis (fils), Housard Louis (fils), Nuret Charles (fils), Leboeuf Pierre, Lemeusne-Foulatier, Boiry (fils de Boiry-Pierrot), Petit Jacques, Chapon-Giraudeau, Lebrun-Renault, Baron-Thirat, Vinaille-Coulon.
La sanction prononçé par le tribunal correctionnel d’Issoudun fut cassée par la Cour de cassation dans son arrêt en date du 6 juin 1851. Le juge issoldunois s’était appuyé sur des lois et décrets réprimant l’activité des "clubs, des associations ou réunions organisées" (Lois du 19 juin 1849 et du 6 juin 1850). Or, selon la Cour de cassation, le banquet du 25 février n’aurait du déboucher que sur une contravention en application de l’arrêté du préfet de l’Indre, en date du 18 février 1851, interdisant "toutes réunions publiques, banquets ou manifestations politiques dans le département de l’Indre à l’occasion de l’anniversaire du 24 février". Ce banquet à Issoudun ne s’était donc pas tenu dans le cadre d’une activité politique permanente, mais devait être considéré comme une "réunion accidentelle" selon les termes employés par la défense. Pour donc, avoir participé "accidentellement" à un banquet réunissant une quarantaine de participants (dont deux femmes), Antoine Chatelin s’en sortit sans trop d’encombres, pour la seconde fois après le procès de 1849... Mais la police n’oublia pas de le mettre en bonne place dans la liste des militants interpelés le 4 décembre 1851. Il ne fut pas le seul dans ce cas parmi les participants au banquet. Sous réserve d’inventaire, on peut citer Laplantine, Vilotte et Rimboeuf.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article190354, notice CHÂTELIN Antoine (Come, Damien) par Labbé Jean-Luc, version mise en ligne le 10 mars 2017, dernière modification le 4 mai 2020.

Par Labbé Jean-Luc

Sources ; Arch. Dép. du Cher 2U33 - Sidney Hopper, Une famille berrichonne à Londres sous le règne de Victoria : Antoine Châtelain, relieur ami de Félix Pyat, Revue de l’Académie du Centre, 1983 – Moreau B., Marianne bâillonnée, les républicains de l’Indre et le coup d’Etat du 2 décembre 1848, Points d’Encrage, 2002. – L’Eclaireur du Berry, 1881 et 1882. – Arch. Dép. Indre, - Archives judiciaires et état civil d’Issoudun.

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