CAZAUBON Bernard [CAZAUBON Jean, Bernard]

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 11 décembre 1893 à Montréjeau (Haute-Garonne), mort le 9 juin 1969 dans les Hautes-Pyrénées ; instituteur ; secrétaire de la fédération communiste des Hautes-Pyrénées, puis militant socialiste SFIO ; syndicaliste révolutionnaire de l’École émancipée.

Jean Cazaubon, fils de Bernard,  à la libération de Marmande en 1945
Jean Cazaubon, fils de Bernard, à la libération de Marmande en 1945

Bernard Cazaubon naquit à Montréjeau où son père, artisan maçon, travaillait à la réfection du château de Valmirande. En 1900, la famille revint dans les Hautes-Pyrénées, son département d’origine. Bon élève, Bernard Cazaubon obtint son brevet élémentaire au cours complémentaire de Lannemezan, en juin 1910. Il manifesta déjà un besoin d’action politique en fondant l’Association de la jeunesse républicaine du canton et en publiant, à l’automne de la même année, un tract dénonçant la « Lettre pastorale des cardinaux archevêques et évêques de France sur les droits et les devoirs des parents relativement à l’école ». Il n’entra pas à l’École normale, mais se dirigea pourtant vers l’enseignement et devint instituteur suppléant en 1912. Cette même année, il affirma son athéisme et ses conceptions internationalistes dans les numéros de juillet et septembre des Nouvelles Annales dont il fut codirecteur avec le poète Jean Merly. Les suites d’un accident survenu pendant sa petite enfance le dispensèrent d’être mobilisé pendant la Première Guerre mondiale.

Pacifiste et partisan de la Révolution russe, Bernard Cazaubon adhéra à la section socialiste de Tarbes, reconstituée en 1918 et comprenant surtout des ouvriers de l’Arsenal. Avec Georges Tanesse, professeur de philosophie, il eut pendant deux ans la charge de l’hebdomadaire fédéral Le Travailleur socialiste. Leurs voies se séparèrent après le congrès de Tours (décembre 1920). Cazaubon entraîna la majorité de la fédération à la IIIe Internationale tandis que Tanesse devint le principal dirigeant d’une fédération socialiste réduite à la section d’Arreau, à trois militants de Tarbes et à un de Bagnères-de-Bigorre. Cazaubon succéda à Robert Aveillé* comme secrétaire de la fédération communiste en octobre 1921. Propagandiste actif, il publia de nombreux articles dans le journal communiste régional qui s’appela successivement L’Églantine, L’Ordre nouveau puis L’Ordre communiste, avant de cesser de paraître en 1922. Dans un rapport du 20 mars 1922, le commissaire spécial de Tarbes estimait qu’il fallait l’inscrire au Carnet B « comme réellement dangereux pour la sûreté intérieure et extérieure de l’État » (Arch. Nat., F7/13745).

Léon Vernochet, dirigeant communiste de Toulouse (Haute-Garonne), accompagnait souvent Cazaubon dans ses tournées de réunions. Il fut témoin lors du mariage, le 31 décembre 1926 à Ivry (Seine, Val-de-Marne), de Bernard Cazaubon avec Louise Langlois, institutrice syndicaliste (voir Louise Cazaubon). Candidat sur la liste communiste aux élections législatives du 14 mai 1924, avec Jean Fontanilles et Léon Alard, Cazaubon recueillit 2 416 suffrages sur 56 671 inscrits (4,26 %).

Secrétaire fédéral des Hautes-Pyrénées, Bernard Cazaubon n’approuva pas la politique de « bolchévisation » entreprise en 1924 par la direction Treint-Girault. Il s’insurgea contre le rapport de Pierre Semard à la conférence des secrétaires fédéraux des 21 et 22 septembre 1924 et dénonça les malhonnêtetés utilisées dans la campagne contre Trotsky. Mis en minorité au congrès fédéral du printemps 1925, il quitta le secrétariat et n’eut plus qu’une activité épisodique. Il quitta le Parti communiste en 1928, après avoir tenté de relancer un débat politique. En août 1933, il adressa une lettre de soutien à Léon Trotsky récemment arrivé en France (cf : La Vérité, 11 août).

Déçu par l’action politique, Bernard Cazaubon se consacra au syndicalisme. Il avait participé à la création du Syndicat des membres de l’enseignement laïque des Hautes-Pyrénées en 1919. L’année suivante, le syndicat se transforma en section du SNI malgré l’opposition de Cazaubon qui garda la double appartenance. En 1925, il réussit à reconstituer un syndicat affilié à la Fédération unitaire de l’enseignement, avec Auguste Arramond, Noël Cazabot et Marcel Lhomme. La petite section des Hautes-Pyrénées eut une intense activité militante et une importante action éducative. Après avoir enseigné à Aventigan, où la municipalité le combattit, puis à Tilhouse, il exerça avec son épouse à Bulan, petit village pittoresque des Baronies. Ils obtinrent la gémination des deux classes et appliquèrent une pédagogie inspirée des expériences de Célestin Freinet. Avec leurs propres deniers, ils acquirent des cartes, du matériel de projection et une presse à imprimer. Son cours de français, publié par l’École émancipée en 1927-1928, déchaîna la colère de la presse nationale et locale. Le Semeur du Dimanche (édité à Tarbes) du 6 novembre 1927 s’indignait : « Ces jours derniers, toute la presse signalait avec effarement les élucubrations de l’instituteur communiste haut-pyrénéen Cazaubon que publiait l’École émancipée et qui est un cynique appel à la haine et à l’envie. » Cazaubon poursuivit une active propagande syndicale et lutta pour la réunification en 1935. L’assemblée de fusion entre les sections départementales du SNI et de la Fédération unitaire de l’enseignement se réunit le 10 novembre 1935. Dans l’Instituteur syndicaliste de novembre 1935 Cazaubon précisa sa conception du Front populaire, un Front « exclusivement fait de peuple prolétarien » et non « un Front populaire de duperie », car c’est un crime de « conclure alliance, au nom d’une classe asservie, avec une vague formation de politiciens conservateurs dont le rôle fut toujours de duper les exploités, d’assurer sous les apparences libérales, avec la persistance du régime d’appropriation individuelle, l’intangibilité des privilèges par lesquels deux cents dynasties (pour ne parler que de la France) réduisent à la portion congrue des millions de paysans et d’ouvriers ». La fusion lui permit d’étendre son action au-delà des milieux enseignants. Le syndicaliste d’Armagnac-Bigorre ayant disparu en avril 1935, Cazaubon le recréa en janvier 1938 sous le titre Le Syndicaliste des Hautes-Pyrénées.

En 1935, les jeunes socialistes de Tarbes entretenaient avec Bernard Cazaubon des contacts fréquents et amicaux qui lui laissaient entrevoir la possibilité d’un travail fructueux au Parti socialiste. Il adhéra à la fin de l’année 1935 ou au début de l’année 1936 et fonda rapidement la section de Bernac-Debat.

Favorable à la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, il mena une bataille de tendance qui aboutit le 30 janvier 1938, lors du congrès fédéral de Maubourguet, au succès de la motion de la Gauche révolutionnaire par 40 mandats sur 73. La nouvelle commission administrative remplaça le secrétaire fédéral sortant Georges Tanesse par Bernard Cazaubon. Il devint également secrétaire de rédaction de la Bigorre socialiste où il polémiqua contre la politique de Léon Blum*, condamna l’exclusion des amis de Marceau Pivert et encouragea l’effort de la fédération en faveur de l’Espagne républicaine. Il approuva les accords de Munich, pensant que « tout retard imposé à la guerre est une victoire pour la paix ». Le congrès d’Argelès réuni le 29 janvier 1939 approuva le rapport moral de Cazaubon par 38 mandats contre 19. Réélu à la commission administrative et au bureau fédéral, Cazaubon refusa le secrétariat en alléguant son extrême besoin de repos. Certes, il s’était dépensé pendant un an aux limites des forces physiques, mais cette décision reflétait son malaise face à la politique du parti. Il prit congé en adjurant la nouvelle équipe de ne pas sacrifier aux « mortelles déviations » comme « l’idée énorme d’Union sacrée pour la paix ». Pas d’unanimité nationale au service de l’impérialisme français, demandait-il : « Nous avons sur ce point, l’impérieux devoir d’être intraitables et nous le serons. » (La Bigorre socialiste, 19 février 1939).

Maurice Thorez*, lors de la réunion du comité central du PCF des 27-28 mai 1938, dans le passage sur la lutte contre les trotskistes, critiqua le secrétaire régional qui avait, dans la presse, qualifié Cazaubon de « bon camarade » qui « reconnaît ses erreurs. »

En février 1940, la voiture de Bernard Cazaubon fut perquisitionnée et des journaux divers comme des correspondances étudiées par la police ; son appartement subit le même sort. Une campagne de la presse locale tendit à créer des doutes sur ses liens avec le communisme et le présenter comme un instituteur sévère qui demandait aux élèves, dans la cadre d’un exercice, de dire quels journaux recevaient leurs parents. Il répondit point par point et ses lettres furent généralement publiées. Vers l’automne 1940, Bernard Cazaubon reçut, selon les témoins, « fort cavalièrement », à la Bourse du Travail, un émissaire du gouvernement de Vichy venu contrôler les organisations ouvrières. En décembre de la même année, l’administration le déplaça d’office avec sa femme dans le Lot-et-Garonne. Ils n’en revinrent qu’en 1945.

Bernard Cazaubon réadhéra à la fédération socialiste SFIO et milita dans la tendance École émancipée du Syndicat national des instituteurs. En 1948, il dénonça avec vigueur la scission de la CGT, puis le passage de la Fédération de l’éducation nationale à l’autonomie. Son désaccord avec la motion Bonissel-Valière soutenue par l’École émancipée ne l’empêcha pas de rester membre de la tendance syndicaliste révolutionnaire de l’enseignement. Pour être lié au syndicalisme ouvrier, il adhéra à la Fédération de l’Enseignement CGT tout en assurant le secrétariat général des sections départementales du Syndicat national des instituteurs et de la Fédération de l’éducation nationale. Il quitta ces fonctions en 1950, mais resta quelques années encore membre de la commission exécutive et, lorsqu’il mourut, tous les articles consacrés à Bernard Cazaubon louèrent sa culture, son courage, sa sensibilité. Ils mettaient surtout l’accent sur sa « liberté », son indépendance. Homme de principes et non de parti, il resta fidèle à ses idées révolutionnaires des années 1920 dans les différentes organisations auxquelles il appartint.

Bernard Cazaubon, directeur de l’école Paul Bert à Tarbes, figurait sur la liste C (Amis de l’École émancipée) aux élections du bureau national du SNI. Le 28 décembre 1947, il obtint 148 voix. Lors du congrès national du SNI, les 22-24 mars 1948, il intervint sur les questions corporatives. Il critiquait la pratique du référendum que introduisait une mauvaise habitude et affirmait que seule l’assemblée générale comptait.

Le 4 décembre 1959, l’organe du SNI, L’École libératrice publiait un long article de Bernard Cazaubon répondant à un article du Monde qui affirmait que Jaurès n’était plus internationaliste en 1914.

Leur fils Jean, Gilbert Cazaubon (1928-1974) prit le maquis pendant le séjour de ses parents à Marmande de 1943 à 1945. Il poursuivit après la Libération une carrière dans la marine marchande.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19097, notice CAZAUBON Bernard [CAZAUBON Jean, Bernard] par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 15 août 2021.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Jean Cazaubon, fils de Bernard, à la libération de Marmande en 1945
Jean Cazaubon, fils de Bernard, à la libération de Marmande en 1945
Bernard et Louise Cazaubon dans les années 1960
Bernard et Louise Cazaubon dans les années 1960
Bernard Cazaubon en 1920
Bernard Cazaubon en 1920
Bernard Cazaubon dans sa classe à Bulan
Bernard Cazaubon dans sa classe à Bulan
Portrait en 1962
Portrait en 1962
Bernard Cazaubon lisant <em>l'Humanité</em>
Bernard Cazaubon lisant l’Humanité

SOURCES : Arch. Nat., F7/13013, F7/13744, F7/13745 et F7/13747. — Arch. Cazaubon, papiers de la fédération communiste des Hautes-Pyrénées, correspondance. — RGASPI, 517, 1, 1880, 1894. — L’Ordre nouveau, 23 février 1921. — La Bigorre socialiste, 1938-1939 (collection Louise Cazaubon). — L’École Emancipée, 20 septembre 1969. — Bulletin mensuel du Syndicat national des instituteurs des Hautes-Pyrénées, octobre 1950 et octobre 1969. — Article inédit de Georges Tanesse sur Bernard Cazaubon, 1969. — Notes rédigées par Louise Cazaubon. — Presse syndicale. — Renseignements fournis par Jarick Cazaubon, petit-fils.

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