PLAT Camille, Ernest, Arthème

Par Jean-Luc Labbé

Médecin à Martizay (Indre), démocrate socialiste condamné en 1851, exilé à Londres, déporté en Algérie en 1858 où il meurt en 1861.

Né à Palluau-sur-Indre (Indre) le 23 janvier 1813 dans une famille d’agriculteurs, le docteur Plat s’était établi à Martizay, dans l’ouest du département de l’Indre, en 1844. A en croire les rapports de police, il affichait des principes républicains et révolutionnaires et depuis 1847 il haranguait ses compatriotes les dimanche et lundi de chaque semaine ; « Philanthrope, c’était un adepte de la médecine gratuite pour la classe ouvrière ». Son activité politique lui attirait des sympathies, ce qui inquiétait le maire qui jugea plus prudent de désarmer les quelques hommes de la Garde Nationale pour confier les fusils « à des hommes d’ordre ». Commentant cet épisode, le docteur Plat aurait dit : « Les conseillers municipaux qui ont emporté les fusils chez eux sont des chouans, des cosaques, des tarés, des restants de galère … Les nobles et les bourgeois ont fait leur temps, c’est maintenant au tour des prolétaires ».
Avant même le coup d’Etat du 2 décembre 1851, Plat fut arrêté et condamné à 10 mois de prison. Il avait alors 37 ans et sa sœur 40. Il aurait déclaré aux gendarmes venus l’arrêter : « Cette mesure ne m’étonne pas mais si on me met, moi, Plat, sous un pressoir, il n’en sortira que de l’huile républicaine ». A sa remise en liberté début 1852, il jugea plus prudent de prendre rapidement le chemin de l’exil politique, en Belgique puis en Angleterre. Son ami politique, Jean Patureau-Francoeur, était alors en fuite et condamné par contumace. Des dizaines d’autres républicains et démocrates socialistes venaient d’être emprisonnés à Châteauroux
Des lettres adressées depuis Londres à sa sœur Allyre, restée à Martizay, furent interceptées ; lettres dans lesquelles le docteur Plat parlait de ses relations avec les « chefs du parti ». Il revint à Martizay lorsque la répression impériale lui parut marquer le pas et que des mesures de grâce permirent à des militants de sortir de la clandestinité ou de revenir d’internement. A quelle date était-il revenu ? Une lettre, datée 9 septembre 1857, adressée à Patureau-Francoeur prouvait qu’il était à Martizay à cette date et qu’il continuait ses actions de résistance : « J’oubliais de vous dire que nous avons eu une lettre d’un de nos amis à la grande Maison [L’Internationale ?] qui demeure maintenant à Paris ; il nous assure que le monstre [Napoléon III] se porte très mal, que ses gardiens croient qu’il n’en a pas pour longtemps. Hélas ! On nous a dit tant de fois la même chose que nous le croirons que lorsqu’il sera encavé ». Effectivement la prudence était de mise, et ce d’autant plus que son courrier continuait d’être ouvert.
Sa sœur, « mademoiselle Allyre Plat », professait les mêmes idées que son docteur de frère et correspondait, elle aussi, avec Patureau-Francoeur de Châteauroux. La demoiselle était, bien entendu, « encore plus mauvaise que lui », elle qui se laissait aller à « la même ardeur d’opinions et au même emportement des passions » selon le rédacteur d’un rapport de police. Tous les deux avaient organisé une souscription pour venir en aide à Philippe Mormet, huissier de justice à Saint-Benoit (Indre) qui venait d’être déporté en Algérie en 1856. Lors d’une élection locale à Châteauroux, Plat était venu soutenir la candidature du « rouge » Boyer-Nioche.
Le docteur Plat figurait donc en bonne place sur les listes établies par la Préfecture en prévision de l’application de la loi de Sûreté générale du 27 février 1858. Dans l’Indre, les autorités firent même preuve d’un zèle particulier puisque les arrestations commencèrent deux jours avant la promulgation de cette loi. Les 24 et 25 février une vingtaine d’arrestations eût lieu dans le département : sept à Issoudun, six à Châteauroux, trois à Argenton, deux à La Châtre et une au Blanc, tous anciens inculpés de 1852 auxquels on ajouta le Docteur Plat dont on a dit qu’il avait été emprisonné avant le coup d’Etat. Sa maison fut investie à trois heures dans la nuit du 24 au 25 février 1858 pour une perquisition opérée par le commissaire de police, le lieutenant de gendarmerie et quatre auxiliaires. On ne trouva rien de compromettant mais le Sous-Préfet arrivé sur place jugea « devoir le faire arrêter car c’est le plus exécrable de tous les coquins du département ».
Sur la vingtaine de militants emprisonnés à Châteauroux plusieurs échappèrent à la déportation, dont Ernest Périgois qui, grâce une nouvelle fois à George Sand, bénéficia d’une mesure temporaire d’exil en Belgique. Treize condamnés, dont le docteur Plat, partiront effectivement chaines aux pieds pour une assignation à résidence en Algérie. Plat fit partie du premier convoi, dans la « voiture cellulaire n°11 », accroché au train pour Paris le 26 mars 1858. Dans ce wagon se trouvaient également Patureau-Francoeur, Madrolle, Confoulant et Fromenteau. Arrivé gare d’Austerlitz, le wagon fut transféré gare de Lyon pour Marseille et la traversée en bateau pour Alger.
L’amnistie générale fut prononcée 16 mois plus tard. Selon des sources policières, Ernest Plat resta en Algérie où il décéda en 1861. Mais cette version était incertaine puisque le recensement de cette même année 1861 le notait médecin à Martizay, où se trouvait toujours sa sœur ainsi que deux domestiques ; ce qui laissait penser que le cabinet médical était toujours en activité.
En 1873, le fils de Jean Patureau-Francoeur, Joseph, écrivait ses « Lettres berrichonnes » dans le seul journal républicain à cette époque dans l’Indre. Dans deux de ces lettres, Patureau évoquait la mémoire du Docteur Plat qu’il avait côtoyé à Bône, ville d’assignation à résidence où se trouvait donc également Patureau (père). L’assignation à résidence et la surveillance policière permettaient néanmoins de travailler « librement » et le docteur Plat « s’était constitué une belle clientèle ». Pour autant, raconta Joseph Patureau, « il lui arrivait de pleurer en pensant à son pays », de l’autre côté de la Méditerranée. Patureau confirmait que Plat était bien mort en 1861 à Bône, sur la côte de l’est algérien. Il avait 48 ans.
Cette « lettre », publiée dans le journal l’Ordre Républicain fut lue par une habitante de Martizay ; elle écrivit en réponse à Patureau pour évoquer le souvenir « ce bon docteur Plat » et sa maison proche « de la route de Tournon » dans le jardin de laquelle se trouvait une fontaine ; aussi appelée le réservoir à grenouilles par le docteur. Alors que les rapports de police décrivaient un exalté prêt à mettre Martizay à feu et à sang, cette dame se souvenait de « ce pauvre homme, si bon qu’il en était naïf ; infatigable, nuit et jour, il parcourait la campagne pour visiter ses malades auxquels il ne demandait pas toujours le prix de ses visites ».
Cet « homme de bien, commentait Patureau le 27 avril 1873, pour avoir voulu dire, sous la République, qu’il était républicain et le prouver par ses actes, a été traqué, emprisonné, déporté par ceux qui alors, comme aujourd’hui, s’intitulaient les amis de l’ordre et de la famille ». Patureau avait toujours sur lui, en 1873, la montre que Plat lui avait « légué en héritage ».
En 1866, sa sœur Allyre n’était plus recensée à Martizay et en 1882, lorsque la République indemnisa les victimes des répressions politiques du Second Empire, aucune référence n’était faite au docteur Plat et aucun ayant-droit se manifesta.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article191370, notice PLAT Camille, Ernest, Arthème par Jean-Luc Labbé, version mise en ligne le 11 avril 2017, dernière modification le 23 mai 2018.

Par Jean-Luc Labbé

SOURCES : Arch. Dép. Indre M 3551. – B. Moreau, Marianne bâillonnée, Points d’Encrage 2002. – L’Ordre Républicain, avril 1873. – Etat civil de Palluau et recensement de Martizay.

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