HÉNOT Jean, Alexis

Par Eric Panthou

Né le 8 mars 1900 à Châteauneuf-les-Bains (Puy-de-Dôme), mort le 8 novembre 1970 à Manglieu (Puy-de-Dôme) ; ouvrier Michelin, membre du bureau fédéral du PCF du Puy-de-Dôme, secrétaire adjoint de 1936 à 1939 puis secrétaire de la CGT Michelin 1944 à 1948, résistant.

Jean Hénot naquit dans un hameau de la commune de Châteauneuf-les-Bains (Puy-de-Dôme). Ses deux parents, Auguste et Marie, née Chatard, étaient cultivateurs et âgés de plus de quarante ans.
Il se maria une première fois avec Louise Sauvadet, le 24 septembre 1921 avec qui il eut un enfant. Il se remaria en août 1948 à Clermont-Ferrand avec Marie-Louise Barrière avec qui il eut un enfant.

La CGTU fut créée chez Michelin en 1930, rassemblant 8 ouvriers de l’atelier VDF. Henri Verde devint secrétaire tandis que Robert Marchadier et Hénot complétaient le bureau. L’action du syndicat était uniquement clandestine car tout militant démasqué ou dénoncé est invariablement renvoyé.
Le 23 juillet 1935, aux côtés de Verde et Marchadier, Hénot conclut un accord avec le syndicat des métaux CGT, un protocole d’accord définissant les modalités d’une action commune qui aboutit quelques semaines plus tard à la réunification. Le syndicat rassembla l’ensemble des ouvriers tandis que les confédérés voulaient des syndicats de métiers.
En février 1936, pour protester contre le licenciement de Verde, le secrétaire de la CGT Michelin, un appel à la grève est lancé, suivi par 300 ouvriers de métiers, presque tous de l’atelier de Verde. Seuls deux caoutchoutiers suivirent le mouvement. Hénot fut l’un d’eux et siégea au comité de grève pour l’atelier W. Il fit partie des licenciés à la suite de la reprise du travail.
Le 21 juin 1936, à la suite de deux semaines de grèves, Pierre Michelin signa le protocole d’accord avec les représentants CGT Verde et Marchadier. La CGT revendiquait la reprise de tous les licenciés pour fait de grève (46 recensés par la CGT). Hénot fit partie de ceux pour lesquels Pierre Michelin s’engageait à une reprise dans la semaine qui suit la reprise du travail mais en fait, il ne fut pas repris.
La grève avec occupation dura 14 jours et aboutit à la satisfaction de la plupart des revendications du comité de grève. Les hausses de salaires fut en moyenne de 22 % chez les hommes et 28% chez les femmes. Pour les manœuvres femmes, on passa de 3 francs de l’heure à 4 francs soit 33 % de hausse.

Il devint alors le second permanent du syndicat, avec Robert Marchadier. Licencié Michelin, il ne put se présenter aux élections des délégués qui se tenaient en mai 1937. Il fut membre du bureau syndical, secrétaire adjoint de la section syndical et à ce titre signa régulièrement des communiqués de presse ou écrivit des articles dans l’organe du syndicat, L’Unité. Il signa par exemple un article contre les syndiqués CFTC Michelin, “des valets serviles du patronat, des syndicats jaunes de briseurs de grève.”
Il participa chaque mois aux entrevues avec la direction Michelin où étaient exposées les revendications et fut celui qui accompagnait les ouvriers ou délégués en cas de problèmes individuels ou suite aux -nombreux- débrayages intervenants dans les ateliers, débrayages contre lesquels la direction Michelin protesta systématiquement auprès de l’inspection du Travail et auprès de Verde, pour violation de la loi sur la conciliation et l’arbitrage, du 31 décembre 1938.
Hénot fut donc un cadre, sachant à la fois mener des négociations avec la direction Michelin, une direction composée d’hommes jeunes, habiles, adaptés aux nouvelles méthodes patronales, selon un rapport interne de la CGT. Hénot fut aussi un orateur, sachant par exemple prendre la parole devant l’assemblée générale des 7000 syndiqués Michelin réunis le 31 juillet 1937.
La CGT n’agit pas seulement sur le terrain des revendications, elle éduqua grâce à sa bibliothèque, protégea par sa mutuelle, distraya par son harmonie et l’Union sportive ouvrière Michelin dont Hénot fut président.
Mais si Hénot ou Marchadier, les deux secrétaires du syndicat, licenciés en février 1936, pouvaient entrer à l’usine pour être reçus par la direction, ils ne pouvaient pas y entrer sans autorisation. Ainsi, Michelin protesta auprès de l’Inspection du travail après que les deux secrétaires aient pénétré “sans autorisation et en violation de leur promesse, au service B et à l’atelier O.21” les 12 et 13 septembre 1938. Le bureau syndical répondit que “Jamais les dirigeants de notre section syndicale se sont engagés à ne plus pénétrer au sein des établissements Michelin. Ils ont déclaré en présence de M. l’inspecteur du travail qu’ils iraient partout où leur présence serait indispensable et jugée nécessaire par les travailleurs Michelin. Ils n’ont pas de parole à donner à Michelin qui a montré ce que valait la sienne en février 1936”.
L’ensemble des membres du bureau fut réélu à l’unanimité et à bulletin secret, lors de la réunion du conseil syndical du 25 juin 1938.

En avril 1938, il fut avec Verde, le seul ouvriers du Puy-de-Dôme élu à la commission exécutive de la fédération des industries chimiques. Fin 1938, le syndicat des produits chimiques de Clermont-Ferrand annonça 12000 adhérents contre 25 fin 1934 !
Hénot était par ailleurs militant du PCF auquel il avait adhéré en 1932. En mars 1938, il fut secrétaire de la section d’entreprise Michelin mais non membre du Comité Régional. Il devint la même année membre du bureau régional du PCF du Puy-de-Dôme jusqu’à la dissolution du Parti fin août 1939.
Il fut élu à la commission exécutive de l’UD CGT en juin 1937 et le reste jusqu’à son exclusion fin 1939 pour avoir refusé de condamner le pacte germano-soviétique. Il fut aussi de 1936 à 1939, secrétaire adjoint de la CGT Michelin jusqu’au départ de Clermont-Ferrand de Robert Marchadier en juillet 1939, après sa condamnation et son interdiction de séjour. Hénot devint alors secrétaire jusqu’à son exclusion quelques semaines plus tard.
Bien que non présent, car malade, il approuva la résolution de la section Michelin refusant de se prononcer sur des questions politiques, suite à l’injonction de l’UD de se prononcer contre le pacte germano-soviétique. S’il écrivit à l’UD pour dire qu’il s’inclinait devant la résolution majoritaire de la CE de l’UD condamnant le pacte, le 4 octobre 1939, il fut quand même exclu car avait refusé de répondre à la fiche où chaque élu devait désapprouver le pacte.

Au moment de la déclaration de guerre, Hénot fut affecté spécial chez Michelin. Il fut arrêté le 5 novembre 1940 suite à un arrêté pris la veille par le préfet ordonnant l’internement administratif de nombreux militants communistes, notamment Hénot et Henri Verde. Il habitait 141 rue Anatole France à Clermont-Ferrand. Un rapport de police le décrit alors comme "militant communiste très ardent, et considéré par la Maison Michelin où il était ouvrier, comme un élément dangereux à tous les égards. On le présente comme ancien membre de la cellule Coutant et très proche Robert Marchadier, Henri Verde et Marcel Magnani.
Il fut envoyé au Camp de Rivel puis au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe. En 1943, le chef du service régional de Police de Sûreté générale considèrait Hénot comme un communiste ayant une influence certaine sur les ouvriers depuis 1936 et estimait dangereux de le remettre en liberté. Il précisait que si sa bonne conduite au camp et l’état de santé de son épouse justifiaient sa libération, il devrait être assigné à résidence en dehors de Clermont-Ferrand “pour éviter toute répercussion fâcheuse sur le plan local.“ Le 28 mai 1943, la police de Clermont-Ferrand fut informée qu’il avait bénéficiait d’une liberté conditionnelle et s’était retiré chez lui.

Fin 1944, il remplaça Emile Meilhac, élu depuis janvier 1944, comme secrétaire de la CGT Michelin jusqu’en mai 1945 puis devint secrétaire adjoint de l’UD, celle-ci restant sous la direction du socialiste Raymond Perrier jusqu’à l’élection du communiste Robert Marchadier au congrès de janvier 1946.
Après que Marchadier ait repris son poste de secrétaire de la CGT Michelin en septembre 1945, Hénot le remplaça de janvier 1946 au début 1948, date à laquelle Chalus le remplace.

Lors des élections instaurant pour la première fois les Comités d’entreprise, la CGT remporta 100% des élus dans les 3 collèges (ouvriers-employés, maîtrise-techniciens, ingénieurs-cadres). La direction Michelin parvint cependant à imposer comme secrétaire du Comité, Périchaud, un employé, et un des deux seuls élus de ce collège à ne pas appartenir ou être sympathisant du PCF. La direction communiste du syndicat n’avait semble-t-il pas combattu fermement cette manoeuvre. Il est vrai que la direction Michelin a clairement exprimé d’emblée quel rôle elle voulait faire jouer au CE : un organisme de coopération où s’exprimerait la communauté d’intérêt qui unit patrons et salariés dans cette époque de reconstruction et d’union nationale. De fait, le rôle reconnu au Comité d’entreprise par la direction en fait une institution qui a sa place dans les pratiques de la “maison”, ce que la CGT ne contesta pas.

La 1ére grève de l’après-guerre fut déclenchée en novembre 1946, portée notamment par des agents de maîtrise protestant contre l’insuffisance du ravitaillement, la hausse des prix, la politique économique de l’État. D’abord critique à l’égard du mouvement accusé de saper la bataille de la production et d’être dirigé contre un pouvoir à participation communiste, la CGT chez Michelin finit par s’y rallier pour ne pas se couper des masses.

Jean Hénot fut considéré comme le principal animateur et orateur de la grève générale déclenchée spontanément le 8 janvier 1947 chez Michelin. La direction de la CGT avait été hésitante à soutenir le mouvement en raison de la présence de ministres PCF au gouvernement. Le conflit porta surtout contre la volonté de la direction de verser une prime exceptionnelle à environ 20% de ses salariés alors que la CGT demandait un versement pour tous. Il y eut blocage, la direction refusant toute ingérence, que ce soit de la CGT ou du CE, dans sa politique salariale et de récompense, l’un des fondements du système Michelin. L’installation de piquets de grève paralysa l’usine le 8 janvier. Le secrétaire de l’UD, l’ancien secrétaire CGT Michelin et héros du mouvement ouvrier local, Robert Marchadier, prit la tête du mouvement.
Les pourparlers locaux ou parisiens ne donnaient rien mais le 12 la CGT et Michelin acceptaient l’arbitrage d’un médiateur, une première dans l’entreprise depuis l’instauration de l’arbitrage obligatoire en 1937. Le médiateur rendit sa décision dès le 14, la CGT ayant appelé à la reprise la veille. Le versement de la prime devait se faire pour tous les salariés mais son montant pouvait varier selon le mérite. Au final, même si la CGT cria victoire, la décision ne répondit pas complètement à la revendication ouvrière.

La CGT Michelin atteignit son apogée en termes d’adhérents en 1947 avec 10033 cartes placées et 65449 timbres vendus, pour 12931 salariés au 1er janvier 1947, et sans doute plus à la fin. Mais son hégémonie fut moins forte qu’après 1936 où la CGT recueillait 95 % des voix chez les ouvriers contre 85 % en 1946.
Tel n’est plus le cas lors d’une nouvelle grève générale en septembre 1947, déclenchée néanmoins là encore spontanément et non sur ordre de la CGT. Mais la direction CGT refusa de reprendre le mot d’ordre d’échelle mobile qui a été en partie à l’origine de la grève. Michelin ne céda rien et la délégation avec Marchadier chez Ramadier n’avait rien obtenu. Lors du meeting qui suivit un défilé faisant suite à ces démarches, Hénot fut hué quand il déclara qu’il fallait reprendre, et traité de “vendu”.

Puis ce furent les grèves virant aux sabotages chez Michelin à partir du 24 novembre 1947 jusqu’au 9 décembre. Hénot était derrière Marchadier qui poussait aux affrontements et à la lutte jusqu’au bout. C’est alors que survint la scission avec la création de FO qui affaiblit gravement la CGT chez les cadres et employés mais ne remit pas en cause son leadership chez les ouvriers Michelin.
Une grève perlée fut lancée le 19 février 1948 et suite au licenciement de huit des grévistes, la CGT Michelin appela à la grève générale. Ce fut un échec avec seulement 1200 ouvriers arrêtés. Une nouvelle grève est lancée le 3 juin 1948 mais elle est largement minoritaire. De violents affrontements ont lieu avec les forces de l’ordre le 15 juin autour des usines Bergougnan, et en réaction, la CGT appelle à la grève générale. Seul Michelin réagit et l’usine est touchée jusqu’au 2 juillet. C’est un échec. Hénot n’est plus à cette date secrétaire de la CGT Michelin. Il vient juste d’être remplacé par son adjoint, Francisque Chalus. Selon les déclarations de Solange Chalus au congrès de l’UD CGT de 1953, “on a fait retomber l’échec d’une grève décidée de l’extérieur” sur Jean Hénot.
Il se retira ensuite à la campagne, vers 1950 mais resta membre du Parti jusqu’à sa mort comme l’atteste un cahier recensant les Vétérans du Parti et le versement de leurs timbres.
Jean Hénot est mort le 8 novembre 1970 à Manglieu (Puy-de-Dôme).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article191495, notice HÉNOT Jean, Alexis par Eric Panthou, version mise en ligne le 18 avril 2017, dernière modification le 20 avril 2021.

Par Eric Panthou

SOURCES :
archives : Questionnaire biographique au RGASPI (non consulté). — SHD Vincennes, GR 16 P 289849, dossier résistant de Jean Hénot (nc). — Arch. dép. du Puy-de-Dôme (AD63) 166W 12 : grève Michelin janvier 1947. — AD63 Dossier 517-1 : 1908 : Liste des membres du comité régional du Puy-de-Dôme, 1939 ; Dossier Hénot, 900 W art. 88-. Puy-de-Dôme : H-L. 1940-1944. — AD 63 1926-2010 : 2330 W 60- Guilloton à Henot. 1946-2005 : Demandes de titres et d’indemnisations . — AD 63 1296W63 : Le commissaire principal, chef du service régional de Police de Sûreté générale à monsieur le Préfet du Puy-de-Dôme, le 2 février 1943. — Henri Verde, Petit historique du syndicat CGT Michelin, 1966, dactyl., 6 p. — Rapport présenté à la Conférence du caoutchouc des 27 et 28 juin 1937, à Paris., dactyl., 15 p. (Archives Henri Verde. CGT Michelin Clermont-Ferrand) ; Observations sur le Rapport présenté à la Conférence du caoutchouc. dactyl., 6 p. (Archives Henri Verde. CGT Michelin Clermont-Ferrand). — Michelin et Cie à Monsieur l’Inspecteur du Travail, le 26 septembre 1938. (Archives Henri Verde. CGT Michelin Clermont-Ferrand). — Extrait de naissance. — Fonds de la Section Française de l’Internationale communiste. FRMSH021-00034.—RAGSPI : Fonds de la direction du Parti Communiste Français :1938 : cote 517_1_1894 : Rapport Moquet sur le Comité Régional élargi du Puy-de-Dôme, 3 juillet 1938. Archives privées : Liste Vétérans du Puy-de-Dôme, 1966-1974. — Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 900 W 88, dossier d’internement de Jean Hénot.
Bibliographie : Jean Hénot, “Quelques aspects des syndicats dits “chrétiens” dans les batailles ouvrières chez Michelin”, L’Unité, n°15, janvier 1938. — L’Humanité, 17 avril 1938. — La Montagne, 11 mars 1938 ; M. Teissedre, La vie économique, sociale, politique, du Puy-de-Dôme en 1947, maîtrise histoire, Université Clermont II, p. 50-51. — Pascal Quincy-Lefebvre, “Le système social Michelin de 1945 à 1973 où l’épuisement d’un modèle”, in André Gueslin (dir.), Les hommes du pneu. Les ouvriers Michelin à Clermont-Ferrand de 1940 à 1980, Paris, éd. de l’Atelier, 1999, p.93-219. — Photo dans L’Unité, n° 22, mai 1938, p. 2, Photo portrait issue des archives de Roger Champrobert. — La Vérité, (organe du Parti communiste internationaliste), n°312, du 3 au 16 avril 1953, p. 4.

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