ROBICHON Suzanne dite Suzette (Suzette Triton)

Par Jean-Paul Salles

Née le 18 août 1947 à Bressols (Tarn-et-Garonne) ; militante de la JCR/LC/LCR, membre de la Commission nationale ouvrière (CNO) et de la Commission nationale homosexualités (CNH). Journaliste au quotidien Rouge en 1976-79, elle milita en faveur de la reconnaissance de l’homosexualité féminine, pour les droits des lesbiennes, combat qu’elle poursuivit après son départ de la LCR.

Suzanne Robichon fut élevée par une mère institutrice, laïque, très attachée aux valeurs de la gauche. Après des études secondaires au Lycée de Montauban, elle entreprit des études supérieures de Lettres classiques à Toulouse. C’est dans cette ville, un des deux « bastions » provinciaux de la JCR qu’elle adhéra à cette organisation, dès sa création en 1966, à l’âge de 19 ans.
Montée à Paris au début des années 1970, elle eut des responsabilités à la LC/LCR, comme membre de la Commission nationale ouvrière, bientôt permanente à Rouge quotidien (mars 1976-février 1979). En décembre 1977, le journal publia son enquête importante sur « Les femmes et l’emploi » (6 pleines pages du n°516 au n°521). Dénonçant le fait que les femmes étaient « les dernières embauchées et les premières licenciées », elle s’efforçait de mettre en avant des revendications spécifiques pour les femmes salariées. Dans plusieurs articles, elle tenta aussi de décrypter la crise qui allait opposer la majorité des rédactrices d’Antoinette, le journal de la CGT dédié aux femmes aux dirigeants de la centrale (par exemple dans Rouge quotidien n° 540, 3 janvier 1978). Cet intérêt pour la question des femmes l’amena à interviewer Yvette Roudy, militante féministe du PS (Rouge quotidien n° 550, 14/15 janvier 1978). Répondant à un lecteur de Rouge qui reprochait aux « femmes sensibilisées à leur oppression » d’exercer sur leurs camarades hommes « un terrorisme intellectuel », elle le remit en place vertement : « son orgueil de mâle bafoué » n’est en rien une excuse, écrivit-elle (Rouge quotidien n° 446, 10/11 septembre 1977).
Mais c’est sur la question de l’homosexualité que son intervention fut la plus importante, de longue haleine, d’abord à la LCR puis dans d’autres structures. Après le passage de Jean Nicolas, responsable de la rubrique Homosexualité à Rouge, aux CCA (Comités communistes pour l’Autogestion), déjà membre de la Commission nationale homosexualité créée en août 1977, elle devint responsable de cette rubrique (Rouge quotidien n°505, 21 novembre 1977, p.2). Simultanément était organisée une réunion nationale des homosexuels et lesbiennes de la LCR, les 2 et 3 décembre 1977. A un militant qui ne trouvait pas indispensable de créer au sein de l’organisation révolutionnaire un regroupement des homosexuel(le)s, elle répondit que c’était selon ce même raisonnement que la lutte pour la libération des femmes avait été repoussée (in Rouge quotidien n° 548, 12 janvier 1978, p.2). Dans les colonnes des Cahiers du féminisme, revue mensuelle créée par la LCR, elle informe sur l’homosexualité féminine (ainsi dans le n°2, février 1978 : « Les femmes, parfois, aiment d’autres femmes » ou dans le n°10, juin-septembre 1979 : « Des groupes lesbiens se créent un peu partout »). Dans Rouge quotidien, elle donnera un compte rendu du livre Les Amantes, avec une interview de son auteure Jocelyne François (n°763, 2 octobre 1978, p.10-11). Elle utilise également les possibilités de débat à l’intérieur de la Ligue pour bousculer ses camarades souvent rétifs sur ces questions. Ainsi elle signera le texte « Les Lesbiennes voient rouge » avec 5 de ses camarades (in le Cahier d’études et de recherches socialistes - CERS n°52, 1977 -, nom que l’organisation donnait à son Bulletin intérieur à l’époque).
Mais ces efforts en interne ne parvinrent pas à convaincre une majorité de délégués au IIIe congrès de la LCR (janvier 1979) d’ouvrir le débat sur le projet de thèses présenté par la CNH. Ce refus génèra une grave crise, entraînant la démission immédiate de trois militants aguerris responsables de la CNH. Suzanne Robichon fit partie, avec Jacques Fortin et Yvan, des autres responsables qui préférèrent dans l’immédiat continuer le combat dans les rangs de la Ligue, persuadés que « seule une révolution socialiste permettra d’extirper les racines de l’oppression » (in Rouge quotidien n°852, 2/3/4 février 1979, p.15 : les positions des uns et des autres). Cependant le lien est maintenu avec les démissionnaires, dans le cadre de la revue créée par ces militants : Masques. Revue des Homosexualités (n° 1, mai 1979). Suzette Robichon fit partie de son comité de rédaction. Les un(e)s et les autres restaient persuadé(e)s qu’il fallait construire un mouvement homosexuel assez fort pour imposer un rapport de force suffisant à l’intérieur des organisations révolutionnaires dans un premier temps. Encore à la Ligue, elle avait fréquenté le Katmandou, une boîte lesbienne parisienne. Elle contribua à la création du Groupe des Lesbiennes de Paris et participa à la revue Quand les femmes s’aiment (revue des groupes lesbiens de Paris et de Lyon, 7 numéros de 1978 à 1980).
Le quotidien Rouge ayant cessé de paraître, elle dut se reconvertir. Par concours, elle devint fonctionnaire à la Mairie de Paris, dans le secteur de l’action éducative. Mais toujours passionnée par la presse et l’écriture, en 1983, avec Michèle Causse et Sylvie Bompis elle créa Vlasta, revue des fictions et utopies amazoniennes (4 numéros de 1983 à 1985). Le n° 4 était consacré à Monique Wittig, écrivaine et théoricienne, avec laquelle elle devint très amie. Elle co-organisera un Colloque international sur son oeuvre, à Paris en 2001. Mais entre temps, elle s’était installée à Montréal, où elle passa les années 1987-1994, participant à 5 des 6 Foires internationales du Livre féministe, à Londres, Oslo, Montréal, Barcelone et Amsterdam. De retour en France, elle reprit sa place au secteur éducatif de la Mairie de Paris, se consacrant à la mise en place de dispositifs pour l’éducation à l’égalité filles-garçons. Désormais à la retraite, elle continue à écrire et participe à l’aventure des éditions iXe, lancées en 2010. Depuis 2014, elle anime l’association Les ami.e.s de Monique Wittig.

Oeuvres : -articles dans Cahiers du Féminisme ; Masques.Revue des Homosexualités ; Vlasta, revue des fictions et utopies amazoniennes ; Rouge quotidien (exemple : n°786, 28/29 octobre 1978, p.9 : compte rendu du livre de Dominique Fernandez, L’Étoile rose ou n° 597, 10 mars 1978 : Législatives, compte rendu de la campagne de la liste parisienne « Différences homosexuelles » (Alain Secouet-Guy Hocquenghem) -Publication du texte de Gertrude Stein, Q.E.D. : les choses comme elles sont, Paris, Vlasta et Montréal, Éditions du remue-ménage, 1986 -« Les drôles de genre se donnent-elles un genre ? », in Lemoine C. et Renard I., dir., Attirances. Lesbiennes fems/Lesbiennes butchs, Paris, Éditions gaies et lesbiennes, 2001, p.31-48 -avec Traude Bührman, de Lesbisches, Paris, 2002, Orlandafrauenverlag, guide historique et culturel du Paris lesbien, en allemand -avec Marie-Hélène Bourcier, Pourquoi les Lesbiennes ne sont pas des femmes. Autour de l’oeuvre politique, théorique et littéraire de Monique Wittig, Actes du Colloque des 16-17 juin 2001, Paris, Éditions gaies et lesbiennes, 2002 -« Mon voyage sans fin avec Monique Wittig : le choc des mots », in Auclerc B. et Chevalier Y., dir., Lire Monique Wittig aujourd’hui, Lyon, PUL, 2012, p.167-174 -Avant-propos et établissement du texte de Rosa Bonheur, Ceci est mon testament..., Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2012.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article191510, notice ROBICHON Suzanne dite Suzette (Suzette Triton) par Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 19 avril 2017, dernière modification le 20 mai 2022.

Par Jean-Paul Salles

SOURCES : Archives départementales de Charente-Maritime, Fonds Jean-Paul Salles 176 : Bulletins intérieurs de la LCR ; CNH (Commission nationale homosexualité) de la LCR : Thèses homosexualités, 19 novembre 1978, 3 p. ronéotées ; CNH-LCR, Homosexuel(le)s en mouvement, octobre 1982, brochure de 20 pages -LCR, Oui le socialisme !, Maspero, 1978, voir pages 202-205 : « Disposer de son corps », « Lutter contre la répression de l’homosexualité » -Jean Nicolas, « La question homosexuelle », Critique communiste n°11-12, décembre 1976-janvier 1977, numéro spécial sur « Militantisme et vie quotidienne », p.86-134. — Éribon Didier, dir., Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003. — Salles Jean-Paul, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?, Rennes, PUR, 2005. — Site Internet consulté le 8 avril 2017 : C’est nous ! Le forum sans tabou des LGBTI, « Bagdam, vingt ans consacrés aux lesbiennes : Suzette Robichon. 5 juin 2009 » tetu.com/actualites/france:bagdam. — Biographie de Suzette Robichon par Brigitte Boucheron, in Bard Christine, dir., Dictionnaire des féministes. France XVIIIe-XXIe s., PUF, 2017, p.1222-24.

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