Par Eric Panthou
Né le 11 septembre 1893 à Beaune-le-Chaud, commune de Saint Genès Champanelle (Puy-de-Dôme), mort le 13 mars 1976 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; ouvrier Michelin, responsable CGT, résistant, membre du PCF, élu municipal de Clermont-Ferrand.
Antoine Prugne naquit dans une chaumière en montagne à Beaune-le-Chaud (Puy-de-Dôme) où l’école primaire porte aujourd’hui son nom. Son père avait un modeste emploi vicinal. Sa famille frôlait la misère.
Il alla à l’école jusqu’à neuf ans, toute l’année, et jusqu’à treize ans les hivers seulement. Il fut pâtre, domestique dans plusieurs fermes. Il décrit plus tard la dureté de son enfance dans un ouvrage resté inédit. Il lut beaucoup. Cet intérêt pour la lecture puis l’écriture, pour accéder à la culture, marqua son engagement militant ultérieur.
A dix-huit ans, il était déjà très mature et devint premier valet dans une importante ferme de montagne.
Il fut ensuite mobilisé pendant la 1ére Guerre mondiale. Il connaît « le sang, la boue, l’horreur, la mort », comme il l’écrivit plus tard. Il fut fait prisonnier et envoyé en Suisse.
De retour à son village natal, il retrouva ses parents effondrés par la mort au combat de son plus jeune frère, Michel. Diminué physiquement par un lumbago latent dû à la guerre, sans terre ni argent, il ne put reprendre son travail à la ferme et partit à Clermont-Ferrand chercher du travail. Détenteur du permis de conduire, il aurait pu se faire embaucher comme chauffeur valet de chambre dans une famille bourgeoise mais il ne se jugeait pas assez docile pour un tel emploi et s’orienta donc vers l’industrie.
Il entra chez Michelin en octobre 1919. Il quitta l’usine en 1958 à 65 ans. Durant l’essentiel de sa carrière, il fut vérificateur à la confection des enveloppes de pneus pour voitures. « Quoique très absorbé par mon travail, je m’ennuie dans ces ateliers prisons à l’atmosphère puante » écrivit-t-il plus tard.
Il se maria alors puis tombe malade à cause de son travail en atelier. À son retour, il fut déplacé comme vérificateur au service dit « secrets », des ateliers modèles d’une propreté absolue, mais sans aération. L’air était dangereux en raison de l’évaporation de la benzine employé en quantité importante pour la confection des pneus. Il jugea son travail de vérificateur peu pénible à côté de celui du personnel chargé de la confection qui avait constamment la main imprégnée de benzine.
Son travail lui valut d’être nommé ”participant” à la date du 1er janvier 1920. Ceci lui accordait une part de 130 francs par an, versés sur un carnet de participant, somme versée 3 ans après le départ du salarié s’il a respecté le secret de fabrication et s’il n’a pas travaillé chez un concurrent.
Le 1er Mai 1920, à la sortie de l’usine, il rejoignit les manifestants qui décidèrent d’appeler les caoutchoutiers à la grève le 3 mai. C’est son premier contact avec le Syndicat des produits chimiques dont le secrétaire travaillait chez Bergougnan. Le 3 mai, les grévistes tentèrent d’empêcher l’entrée de l’usine. Prugne fut à leurs côtés. Des bagarres éclatèrent. La police fut débordée et la troupe intervint. Les manifestants furent chargés à cheval et on installa des mitrailleuses devant les portes de l’usine. Des hommes de main de Michelin attaquèrent aussi les ouvriers grévistes depuis l’usine. On compta trois morts à l’issue de cette journée, dont deux ouvriers. À la rentrée des usines, quelques jours plus tard, des dizaines d’ouvriers furent dénoncés et renvoyés, d’autres surveillés de près, faute de preuves de leur participation à la grève. Prugne n’avait pas été reconnu et échappa donc à la répression.
Son salaire était alors de 450 francs, son loyer de 120 francs mensuel. La vie était donc difficile. Il fut obligé de travailler chaque soir 4 heures supplémentaires chez un particulier qui exploitait des champs d’angélique route de Gerzat.
Sollicité par la direction pour rejoindre la Garde civique créée par le patron après les événements de 1920 pour constituer une milice chargée de protéger l’usine, Prugne déclina la proposition et se vit muté comme vérificateur aux ateliers de cuisson. Le travail y était plus pénible. Il fut obligé de travailler au rythme de la chaîne, dans la chaleur et la puanteur de l’atelier. Épuisé, il fut envoyé au bout de quelques semaines à la vérification du benzinage, un des postes les plus insalubres, dans un sous-sol et une chaleur torride. Les ouvrières qui étaient chargées de nettoyer à une vitesse accélérée des centaines de bandages souillés de talc, avec la benzine, viennent de tous les points du service, en représailles d’une faute commise ou d’indiscipline. C’était la dernière étape avant la mise à la porte. Prugne prit conscience des conséquences qu’avait eu son souci d’indépendance en refusant d’intégrer la Garde civique.
Il fit connaissance avec les mouchards mais aussi les ingénieurs inspectant des semaines durant les ouvriers en train de travailler avant d’imposer de nouvelles cadences, de nouvelles façon de travailler ...et des licenciements.
Cette même année 1920, sa fille naquit et la famille fut mise en demeure de quitter le meublé qu’elle louait. La direction Michelin lui attribua après enquête un logement de quatre pièces dans une cité ouvrière en construction à Clermont-Ferrand.
En 1924, le sérieux de son travail lui permit d’être affecté à la vérification des enveloppes voitures confectionnées sur tambour dans les nouveaux ateliers secrets. Il dut noter les confectionneurs ayant commis des défauts, ce qui entraînait des amendes pour eux. Les vérificateurs étaient appelés les “gabelous”, par les ouvriers qui les détestaient. Les vérificateurs étaient eux-mêmes vérifiés et éventuellement renvoyés.
Sa seconde fille naquit en 1925. Ses enfants allèrent à l’école laïque et non aux écoles Michelin, comme la plupart des autres enfants de Michelin.
S’il avait connu le syndicat en 1920 et s’il accordait sa sympathie au régime soviétique, Prugne ne s’engagea pas politiquement, se contentant de lire en secret l’organe régional du Parti communiste, Le Cri du Peuple, qui accordait chaque semaine une grande place à la dénonciation de l’exploitation des ouvriers Michelin. Il ne connut aucun syndiqué et craignait de s’engager, sachant qu’il risquait d’être renvoyé s’il était découvert. Ceci ne l’empêcha pas pour autant de discuter politique avec certains camarades, à diffuser des livres d’Henri Barbusse ou Romain Rolland.
Prugne alterna les 3 huit qui épuisaient les corps et les esprits.
En 1931, il fut muté à la nouvelle usine de Cataroux, aux ateliers secrets de confection des enveloppes de voitures. Ces immenses ateliers étaient malsains car l’atmosphère était saturée de vapeurs de benzine. De nombreux ouvriers et ouvrières souffraient de benzinisme, une intoxication chronique grave. La discipline était sévère, en contrepartie, les salaires y étaient plus élevés et nombreux étaient les ouvriers ayant la qualité de “participants”.
Ce n’est qu’en 1936, après une grève d’un atelier en février, qu’il prit contact avec le secrétaire de la section CGT Michelin qui venait d’être licencié. Prugne adhéra alors à la CGT et au Parti communiste.
En juin 1936, il participa à l’occupation de la grande usine de Cataroux quand, au même moment, le patron rassemblait ses cadres et ceux qui le soutiennent au sein de l’usine où se situe le siège, les Carmes. Prugne est désigné responsable de son service au sein du Comité de grève. Les grévistes vont affirmer leur force en allant défiler à plusieurs milliers devant les murs du siège. La grève se conclut au bout de deux semaines par un succès pour la CGT. Cette grève eut un énorme retentissement dans la région. Des milliers d’ouvriers et employés rejoignirent la CGT qui était encore clandestine et ne comptant que quelques dizaines seulement d’adhérent au début de l’année.
Il devint rapidement l’un des cinq membres du bureau du syndicat CGT Michelin, en tant que responsable de la bibliothèque et des archives. Il fut aussi un membre actif de l’Union locale CGT et est bientôt élu délégué du personnel chez Michelin.
Il fut le fondateur et le responsable de la Bibliothèque créée par la CGT Michelin après juin 1936, riche bientôt de plus de 3000 volumes, une fierté du syndicat (qui conserve encore les belles armoires achetées à l’époque pour accueillir ces livres).
Le 15 avril 1937, il est élu délégué ouvrier des services TV, A, O à Cataroux. La CGT remporta ce jour là les 106 sièges ouvriers (53 titulaires) avec 5 820 voix, contre 276 à la CFTC et 72 au SPF. Prugne obtint 83 voix sur 86 votants (3 nuls).
En tant que délégué, il participa chaque mois aux rencontres avec les chefs de service mais il participa aussi à la discussion sur l’établissement de la convention collective où chaque poste doit être classé. De nombreux désaccords se manifestaient alors avec la direction. Prugne continua de s’investir pour la bibliothèque et tint rois permanences par semaine.
Au printemps 1937, la Commission administrative de l’Union locale CGT de Clermont-Ferrand, dont Prugne était membre, le désigna comme bibliothécaire et membre du bureau. Là encore, Prugne s’investit pour obtenir du mobilier de la mairie. Il initia aussi une contribution financière parmi les syndiqués pour constituer un fonds plus important.
Il participa au congrès national de la fédération des industries chimiques, à Paris, l’été 1937. Il consacre ces deux semaines de congés payés à réorganiser des deux bibliothèques dont il est responsable.
Le 20 mai 1938, il fut réélu délégué de service. Il obtint 98 voix pour 104 votants et 105 électeurs, preuve de la grande discipline et confiance des ouvriers dans leur délégué.
Antoine Prugne participa aux mobilisations ouvrières du 30 novembre 1938 qui fut succès local tandis que c’était un échec au niveau national. La répression frappa. Des centaines d’ouvriers furent licenciés tandis que plusieurs cadres syndicaux étaient arrêtés. Prugne fut convoqué devant le juge l’accusa d’avoir eu un rôle moteur dans l’évacuation de la Poste centrale mais aussi dans les incidents intervenus devant la Banque de France. Faute de preuve, il fut laissé en liberté.
En 1938 de nombreux convois de familles de Républicains arrivèrent à Clermont-Ferrand. La solidarité ouvrière s’organisa. La famille Prugne recueillit une jeune fille d’une douzaine d’années durant la semaine, celle-ci retrouvant ses proches le week-end.
Le 31 mai 1939, il fut de nouveau élu délégué. Il recueillait encore 102 voix mais il y avait 131 inscrits et 125 votants. Pour la 1ére fois, deux autres candidats lui faisaient face mais ne recueillaient qu’une voix chacun. La défiance d’une minorité d’ouvriers s’était traduite par des votes nuls ou blancs (20).
Il fut également réélu au bureau syndical de la section ouvrière Michelin en 1938.
En 1939, avec la majorité des membres des deux bureaux des syndicats CGT des Produits chimiques et CGT Michelin, il refusa de dénoncer le pacte germano-soviétique. Ces deux syndicats furent dissous à l’issue de cette consultation.
La répression frappa de nombreux cadres communistes dès fin 1939 et début 1940. Antoine Prugne échappa à une première série d’arrestations. En raison de son âge, il ne fut pas été mobilisé et continua son travail de vérificateur chez Michelin.
Il fut relevé de son poste mais son chef fut obligé de le garder en sa qualité de donneur de sang. Pour l’isoler, il travailla seul dans un atelier, la nuit, à ramasser et trier les enveloppes voitures. Les militants communistes encore en poste furent étroitement surveillés, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine.
Ainsi, des militants communistes dès 1940 reformèrent une CGT clandestine, Antoine Prugne, fut considéré comme l’un des principaux animateurs. Il participa notamment à la distribution de la presse clandestine à l’intérieur des ateliers.
En mai 1941, il entra en contact avec Robert Marchadier, l’ancien secrétaire de la section ouvrière CGT Michelin, alors emprisonné pour activité communiste.
Il lui fait parvenir plusieurs livres par l’intermédiaire de son épouse. Marchadier lui envoie clandestinement de longues lettres pour que Prugne les fasse lire aux ouvriers de l’usine. Prugne recueillit aussi de l’argent pour venir en aide à la femme de Marchadier.
De juillet 1941 à avril 1942, Antoine Prugne était en congés maladie, trop faible pour travailler. Il passa plusieurs mois au Sanatorium Michelin de Chanat-la Mouteyre. Il reprit son service à l’usine Estaing, avec des tâches en plein air, pénibles.
Il entra en contact avec les responsables régionaux du PC au cours de l’été 1942. On lui confia la mission de conseiller le responsable des délégués de la mutuelle Michelin. Créée par la CGT en 1937, cette mutuelle a été dissoute et des délégués cooptés ont été désignés pour assurer le fonctionnement de la nouvelle mutuelle. Le responsable désigné par la direction Michelin est un gaulliste. Prugne avait pour mission de l’amener dans les rangs communistes. Avec le responsable politique de la section PCF Michelin, il rencontra plusieurs fois par semaine ce responsable des délégués. Ce dernier essaya de convaincre les communistes de rejoindre le Mouvement Ouvrier Français (MOF), d’obédience socialiste.
Prugne reçut le pseudonyme de Le Rouge. Parallèlement il fut chargé du Secours populaire à l’usine, organisme d’aide aux emprisonnés et à leurs familles.
Jugé trop faible par le médecin, il est relevé de son poste à Estaing pour se retrouver aux Carmes, vérificateur à l’atelier secret du gommage des toiles.
En 1942, il siègea au Comité Régional FN aux côtés d’Alphonse Rozier et de Voisset.
Au printemps 1943, il fut relevé de sa tâche au Secours populaire et désigné par la direction régionale du PC pour faire partie du triangle de la direction de la section communiste de l’usine Michelin comme O.P., organisation de la propagande. Le triangle est formé avec le communiste Wallas (Leclair) et le socialiste Bongeat (Lenoir). Il existait alors une section clandestine d’entreprise avec quatre cellules ayant chacune trois groupes de trois militants.
Il distribua les tâches à accomplir, assura le contrôle de leur exécution, centralisa les cotisations, intensifia le recrutement, assura la répartition de la presse clandestine et des tracts.
Il prit contact avec une filière pour lui procurer des fausses cartes qui furent nécessaires pour munir ses camarades réfractaires au STO.
Momentanément, en l’absence de Syndical, c’est-à-dire du responsable chargé du travail syndical au sein du triangle de direction, il cumula cette fonction avec celle d’OP.
En exécution des directives reçues, il constitua au sein de l’usine un “groupe de choc”. Prugne ignorait le nom des volontaires qui venaient de secteurs différents. Après les avoir groupés, il mit ces hommes en liaison avec les FTPF.
Depuis le 4 octobre et la Charte du Travail, un Comité social fut créé dans chaque entreprise, élu par les ouvriers, et ayant pour but l’application de la Charte. L’objectif du PC était de faire échec à ce Comité. Prugne prit l’initiative avec les autres militants unitaires de l’usine de rédiger un tract pour appeler les ouvriers à voter blanc lors du vote.
En septembre 1943, le triangle régional le désigna au poste de Syndical adjoint régional pour prendre en mains la tâche syndicale sur le plan de Clermont, réaliser au plus tôt l’unité syndicale avec les confédérés et reconstituer les syndicats dans les grandes entreprises. Il fut aidé par un ouvrier des métaux de Clermont ayant le pseudo de Kiki.
La première réunion eut lieu fin septembre 1943 avec 5 confédérés et 2 unitaires présents. Prugne dit avoir eut pour mission d’appliquer les directives de l’organisme central de la CGT reconstituée sur le plan national clandestinement.
Il fit face à l’hostilité de ses interlocuteurs. Ceux-ci disaient représenter le Mouvement Ouvrier Français, mouvement de résistance constitué par la partisans de Jouhaux. Prugne dit reconnaître le MOF comme organisme de résistance mais que, sur le plan syndical, seule la CGT doit être reconnue et reconstituée dans la région. Ses interlocuteurs répondirent que pour eux, il n’y a qu’une tâche : “organiser les sizaines gaullistes, contacter les élites, les intégrer au MOF pour en faire des cadres.” La réunion s’acheva sur un échec. Selon Prugne, un confédéré aurait alors déclaré : “Nous avons travaillé sans eux jusqu’à présent, nous continuerons seuls.”
Les communistes proposèrent un nouveau rendez-vous après avoir pris consigne auprès de leur direction nationale. Les unitaires convoquèrent en réunion Inter-syndicales des représentants clandestins Unitaires, Confédérés, Chrétiens, pour discuter de la création d’un Comité clandestin d’action et d’union syndicale. Cette réunion a lieu début octobre 1943 au siège de la CFTC. 3 Confédérés, 2 Unitaires et 2 Chrétiens étaient présents. En arrivant, un confédéré prit Prugne à part et lui déclara que les confédérés étaient décidés à réaliser l’unité avec les unitaires au sein de la CGT préalablement à la création du Comité intersyndicale qui leur paraît inutile. Les chrétiens demandent à contacter leur direction pour se prononcer sur la création du Comité.
Prugne prit ensuite contact avec les confédérés et quelques jours après une réunion eut lieu. Fut alors formé un Bureau illégal restreint pour diriger l’UD illégale des Syndicats du Puy-de-Dôme (UDI).
Les unitaires proposaient que le Bureau soit composé de 5 membres : 3 confédérés et 2 unitaires. Les confédérés voudraient un bureau élargi et refusaient que les unitaires soient 2. Pourtant, dès 1939 on peut considérer que les unitaires étaient sans doute majoritaires dans le département.
À l’approche du 11 novembre, une nouvelle entrevue eut lieu pour préparer les actions à mener en commun pour célébrer l’anniversaire de l’armistice. Le Syndicat unitaire départemental et Prugne, au nom de la future UDI, rédigeaient un tract qui fut accepté par les confédérés. À la suite de cet appel, quelques débrayages eurent lieu et vers 18h plusieurs centaines de personnes vinrent place de Jaude pour affirmer leur opposition à Vichy et à l’Occupant.
Les désaccords persistaient avec les Confédérés. Les Unitaires voulaient faire revivre ou recréer les syndicats dans le cadre des Fédérations d’Industrie comme l’autorise la loi Vichyste. Les confédérés s’y opposaient. Ils se maintinrent dans les locaux de la Maison du Peuple, sous le couvert de l’Union locale des Syndicats, mais sans aucune activité. Devant cette situation, les unitaires décidèrent d’agir seuls, en commençant par reformer la section syndicale Michelin. Ils demandaient aux membres du Bureau syndical Michelin formé par les Confédérés lors de l’exclusion des unitaires fin 1939 de faire fonctionner le syndicat. Devant leur refus, on leur demanda de démissionner. Après plusieurs démarches, ces derniers acceptèrent d’envoyer une lettre collective de démission à la préfecture.
Les unitaires formèrent alors un nouveau bureau légal doublé d’un bureau clandestin qui dirigea l’action revendicative auprès de la direction de l’usine et des autorités : augmentation des salaires, amélioration du ravitaillement, attribution de la carte d’alimentation des travailleurs de force à tout le personnel des ateliers de l’usine, etc.
Les unitaires proposaient aux Confédérés d’intégrer le bureau, en choisissant leurs postes. Ces derniers refusèrent, pensant que les unitaires allaient échouer car trop isolés.
La composition du nouveau bureau légal fut donc déposée à la préfecture. Parallèlement, Prugne fut responsable du bureau illégal en liaison avec l’organisme central clandestin de la CGT. Le 1er janvier 1944, la section syndicale Michelin renaquit. Elle organisa des permanences, appelle par voie de presse le personnel à adhérer. En quelques semaines, près de deux milles cartes syndicales furent distribuées selon Prugne. Un cahier de revendications fut déposé à la direction de l’usine. Une délégation se rendit à la préfecture pour réclamer un meilleur ravitaillement. Des résultats furent obtenus.
Sur ordre du syndicat départemental Prugne prit contact avec les unitaires actifs dans les autres usines des produits chimiques de Clermont-Ferrand pour reconstituer leurs sections syndicales légales et illégales. Ils y parvinrent après des difficultés. La même opération se reproduisit dans les autres entreprises, sans l’aide des confédérés.
L’élargissement de l’unité à la base et de l’action syndicale amena l’unité au sommet.
Le 4 avril 1944, Unitaires et Confédérés créèrent le Bureau de l’Union Départementale, illégale (UDI) des syndicats du Puy-de-Dôme, composé de 8 membres : 3 unitaires, dont Prugne, et 5 confédérés.
Fin avril, un tract fut rédigé par les unitaires et proposé au bureau de l’UDI qui accepta le texte et donna mission à Prugne de l’éditer. Quelques jours après, le tract, signé du Bureau illégal de l’UD CGT, appelant au 1er Mai, fut distribué à des milliers d’exemplaires.
Le 1er Mai fut déclaré jour chômé et payé par Laval. Des milliers de personnes convergèrent vers la place de Jaude à l’appel de la CGT et du Front National.
Le 2 mai, quelques courts débrayages eurent lieu dans les entreprises. Chez Michelin, plusieurs ateliers marquent le coup, mais il n’y a pas de débrayage général. Prugne fut le seul de son atelier à débrayer une heure. Son chef de service ne lui fit aucune observation.
La Milice se fit de plus en plus pressante et violente. De nombreux ouvriers fuirent la Milice et rejoignirent le maquis. Prugne craignait pour lui et ses proches. Il demanda au responsable départemental de rejoindre les FTP. On refusa en raison de l’impossibilité de lui trouver un remplaçant comme syndical clermontois, unitaire, connaissant suffisamment les autres personnalités locales.
Par ordre de la région, il recruta un ouvrier de l’usine Michelin qui accepta d’être le responsable des Milices Patriotiques locales. Dans le courant du mois de mai, l’UDI organisa et contrôla le départ des “sizaines” pour le maquis du Cantal et de la Margeride (Mont Mouchet).
L’adjoint de Prugne, Kiki, échappa de justesse à la Gestapo et prit le maquis. Il fut remplacé par Raoul Sauer, dit la Meuse, un FTPF qui assurait en même temps la liaison entre l’État-Major des FTP et l’État-major des MUR au Mont Mouchet.
La direction de l’usine Michelin n’ignorait pas les activités clandestines de Prugne, informée par certains éléments ex Confédérés. Mais il ne fut pas inquiété. Les Miliciens travaillant à l’usine ne parvinrent pas à démanteler l’organisation clandestine qui distribue des tracts dans les vestiaires et ateliers.
La section syndicale Michelin mena une intense action revendicative. Les délégations se multiplièrent auprès des pouvoirs publics concernant le ravitaillement. Les secrétaires syndicaux légaux eurent une tâche jugée écrasante et souvent dangereuse.
Antoine Prugne trouva une filière qui évitait l’utilisation des stencils pour le tirage des tracts. Un typographe résistant du quotidien Le Moniteur, propriété de Pierre Laval, puis un artisan imprimeur, se chargeaient de ces tirages sous presse.
Prugne demanda à être relevé de son travail de vérificateur, ne souhaitant pas “embêter” les ouvriers. Il fut nommé manœuvre, sur des tâches assez pénibles.
Selon les archives d’Alphonse Rozier, c’est Prugne qui aurait demandé une couverture aérienne à Londres pour permettre l’action d’envergure du maquis au Mont Mouchet en juin-juillet 1944. Londres aurait demandé alors aux officiers sur place un plan de bataille. N’ayant jamais rien reçu, les Anglais ne voulurent pas prendre le risque de bombarder des résistants et donc renoncèrent à cette couverture aérienne
Le bureau de la section Michelin, élu lors du référendum de janvier 1944, se vit confirmé dans ses mandats au lendemain de la Libération, lors d’une assemblée générale sous la présidence de Prugne.
Le 30 août 1944, au surlendemain de la Libération de Clermont-Ferrand, il fut nommé membre de la Délégation Spéciale provisoire, composant le Conseil municipal de la préfecture.
Il fut également nommé membre du Bureau de l’Union départementale des Syndicats du Puy-de-Dôme. Il découvrit à l’intendance de Police un paquet de lettres de dénonciations anonymes interceptées par des postiers résistants. Lui et 6 de ses camarades unitaires chez Michelin y étaient dénoncés, début juin 1944.
Le 13 septembre 1944, Prugne fut désigné par l’UD CGT pour représenter la Confédération au sein de la nouvelle Commission d’épuration créée par le Comité départemental de Libération. Pour lui permettre d’accomplir sa tâche, le préfet demanda à la direction Michelin de le mettre en congé illimité. Il siégea à côté de 4 autres membres représentant les formations de la Résistance : Mouvements Unis de la Résistance, Front national, Parti Communiste, Parti Socialiste.
La Commission siégea tous les jours. Rapidement, Prugne perçut la difficulté de la tâche, due aux nombreux freins apportées par les autorités. À partir du 21 novembre 1944, seul le Parquet fut qualifié pour prendre des décisions concernant les collaborateurs. La Commission n’avait plus qu’un rôle consultatif et ses élus protestèrent à défaut de démissionner comme ils l’envisageaient initialement.
En juin 1945, le préfet informa les membres de la Commission d’Épuration qu’au 15 juillet, les crédits affectés à leur paiement seraient supprimés. Prugne reprit donc le chemin de l’usine Michelin.
On l’informa qu’on n’a pu lui trouver une place dans l’un de ses anciens services. Il fut envoyé aux ateliers du vieux matériel, là où sont relégués les malades et les “indésirables”. On y chômait un samedi sur deux et les gratifications y étaient plus réduites qu’ailleurs. De ce fait, les salaires étaient considérés par Prugne comme des salaires de famine. Il considéra que la direction se vengeait ainsi de son action syndicale.
Au sortir de la guerre, le tribut était lourd pour le milieu syndical. Des centaines de militants avaient été arrêtés ou déportés. Le seul syndicat des produits chimiques vit plus de 50 des siens tués pendant le conflit. 51 autres ouvriers Michelin revinrent de déportation.
Son atelier était syndiqué à 100% à la CGT. Face aux problèmes de ravitaillement et à l’essor du marché noir, Prugne prit l’initiative d’organiser une délégation au Directeur du ravitaillement. Plusieurs centaines d’ouvriers l’accompagnèrent avec les délégués d’ateliers le 2 octobre 1945. En l’absence du directeur, ils occupèrent les locaux.
Parallèlement à ses responsabilités syndicales, municipales et dans l’épuration, Prugne participa activement à la préparation des Etats-Généraux de la Résistance française qui s’ouvrirent à Paris le 14 juillet 1945.
Antoine Prugne participa aux diverses grèves qui agitaient l’usine Michelin après guerre, dès janvier 1947.
En juin, il fut changé d’atelier, muté au service des expéditions, à l’usine Estaing. Syndicalement, il était chargé de la collecte des timbres syndicaux de son service
La section communiste de l’usine lui confia la tâche d’organiser l’École élémentaire de section, en liaison avec la Commission fédérale de l’Education.
En octobre 1947, il fut candidat comme conseiller municipal sortant sur la liste d’Union Républicaine et Résistante présentée par le PCF. Il fut élu aux côtés de neuf autres camarades. Socialistes et communistes eurent chacun dix élus mais suite à des tractations et manœuvres, les communistes n’eurent aucun adjoint tandis que le socialiste Gabriel Montpied devenait maire.
En décembre 1947, une nouvelle grève éclata chez Michelin. Le 15 juin 1948, à la suite d’une grève chez Bergougnan et l’envoi des CRS, de violents affrontements eurent lieu entre ouvriers clermontois et forces de l’ordre. Le 16 juin, par solidarité avec les ouvriers Bergougnan, ceux de chez Michelin débrayaient. Le débrayage se transforma en grève revendicative après la reprise chez Bergougnan. Mais la direction Michelin ne céda rien. Le 2 juillet les ouvriers reprirent le travail sans rien avoir obtenu. Les critiques s’abattirent sur la direction cégétiste.
Le 5 octobre 1949, le syndicat FO Michelin lança un ordre de grève de 24 heures pour une augmentation de salaires de 3000 francs par mois pour tous et pour les conventions collectives. La CGT se rallia au mouvement et en prit la tête. L’arrêt des usines fut complet. Les ouvriers affrontaient les CRS pour tenir un meeting place de Jaude.
Le 2 février 1950, les ouvriers refusaient de charger les pneus devant partir pour la troupe en Indochine. Les ateliers d’expéditions se mirent en grève, par solidarité. Prugne fit échec à l’intervention d’un huissier chargé de dresser la liste des grévistes de son atelier. Mais malgré l’appel lancé par la CGT, les autres services ne suivirent pas et le travail reprit le 4 février.
Vint ensuite la grande grève de 2 mois en 1950. Comme à chaque grève postérieure à la Libération, le comité de grève confia à Prugne la tâche de responsable du service d’ordre et de sécurité de la grève. Il fut en particulier chargé d’assurer les piquets de grève face à une direction qui multipliait les menaces.
Les directions syndicales se contentèrent d’une position attentiste pendant des semaines, ce qui profita au patron. La division syndicale fit le reste.
Sur l’initiative de Prugne, le groupe communiste obtint la convocation d’un Conseil municipal qui vota à l’unanimité une aide alimentaire pour les familles ouvrières.
La grève se conclut par un échec pour la CGT, échec qui allait durablement fragiliser l’action syndicale au sein de l’usine et affaiblir considérablement la CGT.
Sa santé s’affaiblissant, Prugne renonça à solliciter un nouveau mandat municipal lors des élections de 1953. Il fut mis en congés maladie et dut suivre un traitement jusqu’à la fin de ses jours pour une spondylartrite contractée suite à sa captivité en Suisse en 1917.
En fin d’année, il demanda à reprendre le travail, ce que la direction Michelin lui refusa, objectant son mauvais état de santé. Il parvint finalement à obtenir une place de surveillant dans une dépendance de l’usine, en attendant d’avoir 65 ans. Son état de santé lui imposa d’avoir une activité politique et syndicale réduite.
Fin août 1957 il fit une chute de moto qui l’arrêta 7 mois. Il ne reprit le travail qu’au printemps 1958. Il prit finalement sa retraite cette même année à l’âge de 65 ans après avoir travaillé 55 ans. Il continua à militer au sein de la cellule Joliot Curie de son quartier.
En 1960 il écrivit le récit de sa vie d’ouvrier et militant chez Michelin, qui fut publié sous le titre Journal d’un caoutchoutier, 1919-1958 en 60 articles dans la rubrique « Regards d’Auvergne » de L’Humanité Dimanche, entre mai 1965 et août 1967.
Antoine Prugne fit paraître Paysan sans terre mais il avait écrit auparavant d’autres textes destinés à paraître mais qui ne le furent jamais. Journal de ma vie de Militaire et de Combattant, 1913-1919, puis Voyage à travers mon enfance et mon adolescence, 1893-1913.
Il fut également investi dans l’ANACR puisqu’il est membre du Comité directeur du Puy-de-Dôme en 1968.
Antoine Prugne mourut le 13 mars 1976 à Clermont-Ferrand .
Par Eric Panthou
SOURCES : Arch. municip. de Clermont-Ferrand : arrêté préfectoral du 30 août 1944 fixant les membres de la délégation spéciale provisoire du Conseil municipal de Clermont-Ferrand .— Henri Verde, Historique de l’organisation du syndicat, dactyl, circa 1951, (Archives Henri Verde, CGT Michelin Clermont-Ferrand) ; Assemblée générale de la section syndicale Michelin, 27 août 1944, (Archives Henri Verde, CGT Michelin Clermont-Ferrand) ; « Interview d’Antoine Prugne », L’Humanité Dimanche, 5 septembre 1965. — Antoine Prugne, « Journal d’un caoutchoutier : 1919-1958 », 60 articles parus dans Regards sur l’Auvergne, supplément à L’Humanité Dimanche, du 9 mai 1965 au 27 août 1967. — Attestation de Résistance pour Alphonse Rozier, établie par Louis Porte, ex lieutenant colonel des FFI, membre de la CT Inter Régional A, et R 6 (Auvergne), faite le 23 juin 1946 ( (Archives Alphonse Rozier). — Pierre Girardot, La Lavande et le Palais-Bourbon, Paris, éd. Sociales, 1980, p. 99-100. — Nécrologie : Antoine Prugne, La Montagne. Photo de son passeport (transmise par Christian Barbalat). Procès-verbal de la Réunion du Comité directeur de l’ANACR du Puy-de-Dôme, du 4 décembre 1968 (archives privées Martine Besset).