CERRETI Giulio. Pseudonymes et noms d’emprunt les plus courants : Giulio CERETTI, Paul et Pierre ALLARD, PIERRE, Sergio TOSCANI, Jacques MARTEL, Lucien FLAVIEN

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 11 octobre 1903 à Sesto Fiorentino (Florence), mort en juin 1985 ; mécanicien ajusteur, puis employé ; syndicaliste et communiste italien réfugié clandestinement en France en 1927, membre, sous le pseudonyme d’Allard, du comité central du PCF (1932-1945), proche collaborateur de Maurice Thorez et de Fried, important responsable des services financiers et commerciaux du Parti communiste et de l’Internationale.

Giulio Cerreti, photographie de sa fiche de police pendant l’Occupation
Giulio Cerreti, photographie de sa fiche de police pendant l’Occupation

Giulio Cerreti était issu d’une famille socialiste de Sesto (région de Florence). Son père, Agostino Ceretti (1870-1930), était un ouvrier chimiste d’origine paysanne chargé du chargement des wagons de pyrites et du mélange des acides. Il avait été hospitalisé en 1909-1911 après une tentative d’assassinat puis licencié en 1921. Adhérent dès 1898 au PS italien, il était passé au PC à la scission de Livourne et y resta jusqu’à sa mort. Il avait fondé le syndicat des ouvriers chimistes de la région de Florence et en fut trésorier. Il participa à toutes les grèves et actions de masse ainsi qu’à la défense armée de la Maison du peuple. La mère de G. Cerreti, Jiulia Pecchioli, fille d’artisans, fut ouvrière d’usine de quinze à vingt ans.

Cerreti avait épousé Anneris Barducci, ouvrière dans une usine d’alimentation de 1916 à 1919, puis dans une usine de savon et enfin chez un tailleur. Ceretti, qui était fils unique et de père invalide, ne fit pas de service militaire. Son père voulait qu’il devienne professeur. Il apprit le métier d’ajusteur dès 1913, après l’école, et travailla de 1916 à 1918 chez des artisans fabricants de vélo, puis jusqu’en 1920 comme ouvrier métallurgiste. Il dut quitter l’usine à la suite des grèves de 1920. Il reprit ses cours et obtint en 1921 le brevet des écoles secondaires et en 1923 un brevet privé d’instituteur. Ses études à l’université le menèrent à l’équivalant de professeur de français dans les écoles secondaires italiennes. Elles furent interrompues par son exil en 1927. De 1924 à 1927, il avait enseigné à domicile aux élèves d’écoles primaires et secondaires ; il fonda même en 1926 une école de « répétition » pour les enfants et de perfectionnement industriel pour jeunes ouvriers. À vingt ans il avait publié un roman et avait écrit deux pièces de théâtre dont une fut interdite de représentation.

Dès l’âge de quinze ans, Cerreti milita dans le mouvement ouvrier. Il adhéra à la Jeunesse socialiste en 1918. Fondateur d’un cercle, il devint secrétaire de section et membre du comité provincial de Florence. En octobre 1919, il était délégué de la minorité abstentionniste de sa province au congrès de Rome de la fédération des JS. Lors de la scission de 1921, la fédération de Toscane passa en bloc à la Jeunesse communiste. Secrétaire de l’organisation florentine des JC, il suivit en 1924 les cours d’une école du parti dirigée par Antonio Gramsci. Par ailleurs, il avait fondé le syndicat local des ouvriers métallurgistes et fut, de 1920 à 1924, secrétaire de la Fédération des métallurgistes de Florence. Il prit part aux congrès de la fédération en 1920 (Gênes), 1921 (Rome), 1922 et 1923. Il participa aux diverses grèves et actions contre le fascisme : barricades de Florence, Sesto, Sienne en 1921. Il fut aussi au bureau régional de la Fédération du bâtiment.

Entré en 1923 au PCI, Cerreti était membre du bureau régional de Toscane et secrétaire de la section de Florence où il travailla à la reconstruction du parti dans l’illégalité. Il connut la répression dès 1919 où il passa en procès pour une bagarre avec les membres d’un Cercle catholique et fut condamné à trente- deux mois de prison, peine amnistiée trois mois plus tard. Arrêté « par mesure d’ordre » en 1925, il fut libéré au bout d’une semaine. Il échappa plusieurs fois à la police qui traquait les responsables. La Fédération décida son départ qui eut lieu en juin 1927. Il passa en Suisse le 9 juin et se rendit en France cependant qu’en Italie il était condamné par contumace à la prison pour « offense au Duce » et pour expatriement clandestin. Sa femme le rejoignit en France en octobre.

Quelques jours après l’arrivée de Giulio Cerreti à Paris, la police, inquiète de la campagne en faveur de Sacco et Vanzetti, fit une rafle dans les milieux italiens. Il fut arrêté chez un restaurateur de l’avenue Philippe-Auguste et relâché à l’aube avec ordre de quitter la région parisienne. Il avait déclaré comme domicile pour le mois d’août 1927 : 100 rue Bellevue à Boulogne-Billancourt (Seine, Hauts-de-Seine). Après une enquête qui prouva sa qualité de membre dirigeant du Parti communiste italien, les autorités françaises prirent à son encontre un arrêté d’expulsion le 9 septembre 1927. Mais Cerreti avait pris la précaution de partir à Lyon (Rhône), aussi l’ordre d’expulsion ne lui fut-il jamais signifié. La police perdit sa trace jusqu’en 1934. Il fut accueilli par son cousin Rénatino, et par les frères Pierleoni, deux ouvriers métallurgistes communistes de Florence, mais ces derniers partageaient les thèses de Bordiga. Cerreti, favorable à Togliatti, s’éloigna d’eux. Il prit en main le travail antifasciste parmi les ouvriers italiens de Villeurbanne, Saint-Fons, Vénissieux, Bourgoin, Saint-Priest, et créa une école hebdomadaire du Parti communiste italien. Il était manœuvre dans un atelier de sculpture d’objets religieux en plâtre puis comptable à la coopérative l’Avenir régional. Présent à Toulon (Var) depuis juillet 1929, employé au café Maurice, il combattit les partisans marseillais de la direction Barbé-Celor (Duisabou*), lors d’un congrès régional à Marseille, à la fin de l’année 1930 (début 1930 dit Cerreti dans ses souvenirs, mais la situation qu’il décrit fait plutôt penser à l’automne 1930 et les recherches de Jacques Girault permettent de la situer fin 1930). Ses positions coïncidèrent avec celles du délégué du parti, Maurice Thorez*, qui le remarqua. Licencié des cafès Maurice en août 1930, Cerreti vint peu après à Paris assurer le secrétariat général des Comités prolétaires antifascistes puis travailler pour le Comité Barbusse-Romain Rolland qui devait contribuer à la naissance du mouvement Amsterdam-Pleyel. À la fin du mois de mars 1931, il fut amené à prendre, sous le nom d’Allard, la direction des Groupes communistes de langue italienne. Dès son arrivée à Lyon, il avait participé activement en 1928-1929 à la lutte contre l’opposition trotskyste et il s’était rendu dans le Var en 1929-1930 pour faire prononcer par les groupes italiens du département l’expulsion de Blasco*, Léonetti* et Santini du PC italien. Cette attitude favorisa son accès à la direction des groupes de langue italienne. Délégué au IVe congrès du Parti communiste italien qui se tint en deux sessions à Cologne et à Düsseldorf pendant l’année 1931, Cerreti y intervint pour soutenir le « tournant » politique. Maurice Thorez lui demanda d’entrer au comité central du Parti communiste français au congrès de Paris, réuni du 11 au 19 mars 1932 (les listes du comité central indiquaient la présence d’un « camarade italien » sans donner son nom, ni son pseudonyme). Auteur d’un roman et de deux pièces de théâtre en langue italienne, il apparaissait dans les milieux communistes parisiens comme un homme cultivé maniant remarquablement le français. Ajusteur de formation, il avait exercé les fonctions d’instituteur, d’employé et d’aide-comptable.

Les services de sécurité du Parti communiste français lui fournirent l’identité de Lucien Flavien (un militant parti au Canada). Il se servait surtout des pseudonymes de Paul et Pierre Allard, Pierre, Sergio Toscani et Jacques Martel. Militant français par son appartenance au CC du PCF, Cerreti restait un membre important du PCI comme directeur de La Vie prolétarienne puis de Vita proletaria, Nostra Bandiera, et Bandiera Rossa. Il fonda, en 1931, le journal Fraternité consacré à la défense de la main-d’œuvre immigrée. Dans toutes ses activités, il recevait les conseils et les encouragements de Maurice Thorez : « Ma fée aux yeux bleus » conduisant Pinocchio, écrivit-il dans ses souvenirs (p. 118). En retour, le secrétaire du PCF se confiait volontiers à lui. Cerreti effectua, en mai 1934, son premier voyage en URSS à la tête d’une délégation italienne : « Ce voyage devait marquer un point de non-retour : à peine revenu d’URSS en mai 1934, mon activité allait devenir uniquement française » (À l’ombre des deux T, p. 142). Il devint le discret responsable des services financiers et commerciaux du PCF dont le rôle fut de première importance pendant la guerre d’Espagne. Président du Comité d’aide internationale à la République espagnole et en liaison directe avec l’IC, il créa, au début de l’année 1937, la compagnie France-Navigation, avec la collaboration de Maurice Tréand* et Georges Gosnat*. L’aide de fonctionnaires antifascistes (voir par exemple la biographie de Gaston Cusin*) comme le soutien de Léon Blum* permirent de faire transiter par le territoire français du matériel militaire soviétique. Responsable des services financiers et commerciaux du PCF, il relatait son action à la commission d’aide à l’Espagne républicaine et auprès des Brigades internationales dans ses différents documents autobiographiques à la commission des cadres du Komintern. Il prit part à la fondation de « toutes les entreprises larges organisées ou contrôlées par le parti » (30 janvier 1941). Ses relations avec les hommes d’affaire et techniciens, établies « en accord avec la direction du parti et de la Maison [le Komintern] », quoique professionnelles, n’empêchaient pas, « par voie indirecte », de soigner nos rapports avec des personnages haut placés afin de réussir (21 octobre 1938). « Le camarade Le Gros [Maurice Tréand*] qui a suivi mon travail peut en faire état. Et Tréand confirmait dans une note du 10 février 1938 qu’Allard « a fait dans ce domaine un gros effort qui a abouti à des résultats très importants. Sa biographie [son autobiographie] est belle. » En mai 1943 encore, Maurice Thorez* (sous le pseudonyme de Jean) rappelait « qu’il travailla à la direction de plusieurs "grandes" entreprises du parti avec succès. » C’était donc un homme de confiance qui collaborait également à la Commission des cadres et à la Commission centrale de contrôle politique. Il fut chargé de plusieurs cours à l’École centrale du parti. Pendant l’été 1938, il prospecta dans les pays de l’Europe du Nord pour mettre en place une série de planques destinées à un éventuel repli de la direction française.

Le 23 août 1939, Fried dit Clément, représentant de l’Internationale communiste en France, lui aurait donné l’ordre de rejoindre la Belgique pour y organiser un centre de liaison. Il vécut à Anvers. Apprenant que la police belge s’intéressait à ses transactions financières et surtout à ses tentatives de vente au Chili de la flotte de France-Navigation, il quitta la Belgique le 29 décembre 1939 pour rejoindre le Danemark par l’Allemagne. Arrêté par la police danoise au moment de l’invasion allemande du pays, il fut libéré grâce à l’intervention diplomatique de l’Union soviétique et accueilli à Moscou. Il fit partie de l’appareil du Komintern dans la capitale, puis à partir d’octobre 1941, à Oufa dans l’Oural. Dans une note du 24 mai 1943, Maurice Thorez* (Jean) le jugeait intelligent, très actif, qui a toujours soutenu la ligne, ferme au début de la guerre, dévoué. Il relevait cependant « quelques tendances à la suffisance. Son travail lui avait un peu tourné la tête. » Cerreti reprit place dans le Parti communiste italien, collabora avec Palmiro Togliatti et fit partie du « Centre idéologique » du Parti. Il devint, en mai 1943, rédacteur en chef de Radio Milano-Libertà. Revenu en Italie en 1945, il fut député à l’Assemblée constituante, membre du 4e ministère De Gasperi en qualité de haut commissaire à l’Alimentation et député au Parlement jusqu’en 1963, année de son élection au Sénat. Cerreti fut, de 1947 à 1963, président de la Ligue nationale des coopératives et des mutuelles. Le Xe congrès du PCI (1962) l’avait élu membre du comité central.

Giulio Cerreti revint pendant un mois en France, en 1946, comme journaliste, puis en 1954 et 1957. Ses séjours en France furent ensuite fréquents, surtout au moment de la publication en français de son ouvrage, À l’ombre des deux T : 40 ans avec Palmiro Togliatti et Maurice Thorez (Julliard, 1973) qui offrait des informations nouvelles sur le tournant du Front populaire et l’aide à l’Espagne.

Il avait épousé Anna Barducci, née le 15 juillet 1904 à Sesto Fiorentino (Italie) dont il eut un fils, Jean-Claude, né le 16 juillet 1936 à Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19170, notice CERRETI Giulio. Pseudonymes et noms d'emprunt les plus courants : Giulio CERETTI, Paul et Pierre ALLARD, PIERRE, Sergio TOSCANI, Jacques MARTEL, Lucien FLAVIEN par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 23 janvier 2011.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Giulio Cerreti, photographie de sa fiche de police pendant l'Occupation
Giulio Cerreti, photographie de sa fiche de police pendant l’Occupation

ŒUVRE : En français, outre l’ouvrage cité dans sa biographie, Cerreti a publié sous le nom de Paul Allard des articles dans les Cahiers du Bolchevisme : « Le travail des fascistes étrangers en France » (1er novembre 1934) ; « Classe ouvrière et classe moyenne dans le Front populaire » (1er octobre 1935) ; « Le fascisme et sa démagogie nationale et sociale » (15 mars 1936).

SOURCES : Arch. Jean Maitron, notice Cerreti. — Cahiers d’histoire, de l’I.M. Thorez, n° 25-26, 2e trimestre 1978. — D. Grisoni, G. Hertzog, Les Brigades de la mer, 1979. — Franco Andreucci, Tommaso Detti, Il Movimento operaio italiano. Dizionario biografico, 1853-1943, Editore Riuniti (notice traduite à notre intention par P. Jodogne). — Deputati e senatori del I parlamento repubblicano, Roma-Milano-Catania, 1949. — P. Sechia, « L’azione svolta dal partito comunista in Italia durante il fascismo », dans Annali de l’Institut Feltrinelli, 1969, Milano. — P. Spriano, Storia del PCI, III, Torino, 1971, IV, Torino, 1973. — C. Pillon, I comunisti nella storia d’Italia, Milano, 1966. — Arch. Komintern, RGASPI 495 221 39 : autobiographie du 21 octobre 1938 ; note de Tréand du 10 février 1938 ; questionnaire (en russe) du 30 janvier 1941 ; autobiographie du 30 janvier 1941 ; note de Maurice Thorez (Jean) du 24 mai 1943.

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