SALLE Fernand

Par Nathalie Roussarie

Né le 14 février 1901 à Séderon (Drôme), tué le 18 octobre 1943 à Laroche-Canillac (Corrèze) ; cultivateur puis employé à la Manufacture des Allumettes et des Tabacs MAT de Tulle ; communiste ; volontaire en Espagne républicaine.

Le père de Fernand Salle était gendarme, sympathisant communiste. Titulaire du certificat d’études primaires, Fernand Salle parlait un peu l’espagnol. Après avoir suivi les « cours 1er degré » à l’armée, il s’engagea pour cinq ans dans l’infanterie coloniale, en mars 1919. Il participa aux combats de la guerre du Levant, fut nommé adjudant-chef, mais cassé de son grade pour « travail antimilitariste ». C’est en 1921, qu’influencé « par une campagne de guerre en Syrie », il s’éveilla à la vie politique.
À La Roche-Canillac (Corrèze) où il s’était établi comme cultivateur à son retour, Fernand Salle entra au Parti communiste en janvier 1928, présenté par François Aussoleil et soutenu par deux militants corréziens, Louis Prunier et Clovis Chirin. Il resta secrétaire de cellule et de rayon de 1928 à 1936, chargé de l’organisation et de la propagande. Délégué pour le Limousin au congrès national du PC en 1929 à Saint-Denis, il fut, la même année, élu délégué au congrès national des paysans travailleurs qui se tint en mars à Montluçon (Allier).
Marié et père de quatre enfants, il partit néanmoins pour l’Espagne, en janvier 1937, par l’intermédiaire du PC « pour combattre le fascisme et aider nos frères espagnols ». Il intégra, le 4 janvier, la 11e BI, dans le 2e Bataillon « Commune de Paris » et devint chef d’un groupe « franc » (chargé des coups de main, de la distribution de tracts dans les lignes fascistes, d’enlèvement de poste ennemi) au sein du bataillon. Il combattit sur le font à Jarama, à Valdemorillo et à Santa Maria de la Alameda. Le 23 février 1937, lors des combats de Jarama, il fut blessé au bras et à la jambe par une balle explosive « en allant chercher un camarade espagnol blessé. » Hospitalisé à Colmenar (Madrid), puis à Murcie, il fut déclaré apte au service auxiliaire mais il demanda à repartir au front. Dans une lettre à sa femme il écrivait :

« Tu me demandes pourquoi je ne suis pas habillé comme les autres : parce que j’ai un grade puisque je commande le groupe franc d’une brigade internationale. Quant à mes blessures, elles ne sont pas mortelles et j’espère en guérir ; mais tu sais, il faut être forte et te montrer digne d’une épouse de révolutionnaire ; quand je serai guéri, ce sera pour remonter et reprendre mon poste de confiance au front, à la tête de mes chers camarades. »

Il retrouva le bataillon « Commune de Paris » désormais passé à la 14e BI « La Marseillaise » et participa aux combats de Santa Maria de la Alameda. Il resta sur ce front jusqu’au 25 septembre 1937, date à laquelle la 14e BI fut envoyée au repos à l’Escorial. Bénéficiant alors d’une permission en France (septembre-novembre 1937) il en profita pour créer une cellule du PC dans sa région. Fernand Salle retourna en Espagne ; il fut blessé une seconde fois et hospitalisé à Moya, en mai 1938. Il était considéré comme « un camarade très actif », « bon antifasciste, discipliné » ou encore « politiquement bon ».
En Espagne, il s’était lié d’amitié avec Théo Rol et dans une lettre à Henri Rol-Tanguy il raconte :

« J’ai lu le numéro de janvier ou plutôt lu "le carnet de route d’un héros" avec une profonde émotion. "Rol Théo", mon ami, plus qu’un frère ! Je n’étais pas sûr et maintenant ... Oui, il est tombé comme il devait tomber. Tu penses, je l’ai connu en février 1937 à l’hôpital, blessé, puis en convalescence où nous trouvions le moyen de travailler dans une fabrique puisqu’on ne voulait pas qu’on remonte ; puis au front, dans un front trop tranquille. On partait tous deux seuls en patrouille, le commandant Hubert doit s’en rappeler. Puis notre désertion ensemble ; eh oui, déserteurs ! Revenant de l’hôpital de Madrid, je le retrouve à Barcelone blessé au bras ; il me fit voir sa blessure, tu penses, un rien."Je remonte". "Et moi alors ?". Mais rien à faire, à la visite on nous désigne pour un camp à proximité de Barcelone pour instruire les recrues, lui comme lieutenant instructeur à la C.M.(il commandait auparavant la C.M. du 13) puis moi à la compagnie de garde comme politique. Pour moi qui ne passais pas un jour avec mon groupe sans aller ou lancer des prospectus ou des grenades en force.
[....]
"[...] après avoir écrit une lettre d’excuse au camarade commandant, je prenais la route, direction Tortosa où, moitié à pied, moitié en camion, j’arrivais le lendemain vers les 11 heures, pour apprendre que la 14e était relevée... Quelle tuile ! Alors, j’ai dit : "je reste avec la brigade espagnole". On a fait des coups de main en traversant l’Ebre sur un radeau improvisé ; c’était ma marotte les coups de main. Puis un beau matin un tank a sauté et moi avec. Commotionné ! Bon et ... le bouquet, c’était que j’étais bel et bien déserteur. »

À son retour en France, en septembre 1938 il revint à La Roche-Canillac. Dans une lettre, datée du 11 décembre 1938 et adressée à Henri Rol-Tanguy, il décrivait les difficultés rencontrées à son retour :

« Tu sais que je suis rentré comme inutile total avec un convoi de blessés le 12 septembre 1938. Paris avait donné ordre au comité d’aide au peuple espagnol pour me verser 18 francs par jour. Or le comité d’ici n’a pas les fonds nécessaires. J’ai une femme et quatre gosses, et bientôt un cinquième. Je n’ai pu trouver du travail correspondant à mes infirmités. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas essayé de travailler. Si au bout de trois jours de travail trop pénible, une de mes blessures s’est ouverte et alors il a fallu s’arrêter, sinon ... Tu as dû voir sur mes feuilles : balles explosives cuisse gauche, fracture par balle bras gauche, blessure au ventre par balle, commotion à la tête, rhumatismes ; bref je suis servi. Ah ! les salauds ! mais enfin ils l’ont payé cher et je ne regrette rien. J’ai le plaisir de collecter des pommes de terre dans notre région qui est essentiellement paysanne, et la satisfaction d’en convoyer un wagon jusqu’en Espagne que j’ai revue avec une émotion que tu peux penser . »

Son attachement à l’Espagne était en effet toujours fort : il aida et logea chez lui la famille espagnole Herrero-Arrieta. Il avait appuyé la demande du père qui souhaitait que ses trois fils Josef, Lino et Santiago détenus au camp d’Argelès puissent les rejoindre, comme l’autorisait le regroupement familial. Il se rendit d’ailleurs lui-même à Argelès, puis il intervint auprès du préfet de la Corrèze, le 11 mars. Mais il n’obtint pas satisfaction : le préfet donna un avis défavorable en arguant du manque de ressources de la famille Salle.
En 1939-1940, il rejoignit Tulle où, en raison de son état de santé il fut « affecté spécial » à la Manufacture d’armes de Tulle. Arrêté à la suite de la manifestation du 28 octobre 1942 et interné au camp de Saint-Paul d’Eyjeaux près de Limoges, il fut libéré le 12 janvier 1943 avec d’autres militants. Il restait surveillé étroitement par les services de police et était qualifié d’ « ancien militant-chef du parti communiste, ex-chef de cellule et ex-chef de groupe des Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne. Individu dangereux pour la sécurité publique. » Au printemps 1943, lors d’une grève à la MAT, il aurait hissé un drapeau rouge sur la plus haute cheminée de l’usine.
Fernand Salle fut assassiné, abattu de plusieurs coups de feu, au petit matin du 18 octobre 1943 devant sa maison de Cerice alors qu’il se préparait à partir travailler. On trouva près du corps des douilles de 9mm de la marque « WRA » de provenance anglaise, identiques à celles ramassées dans certains camps du maquis en Corrèze. Selon un rapport du Commissaire de police, Fernand Salle aurait été soupçonné d’avoir « changé d’avis » et il aurait été « mal vu » par certains de ses amis communistes d’hier devenus ses ennemis, qui l’auraient ainsi condamné à mort. Il aurait aussi reçu des menaces. Selon le commissaire de police il aurait été tué par des membres du Maquis, communistes, qui l’auraient soupçonné de trahison.
Aucun hommage ne fut rendu à la MAT, contrairement à l’usage.
Aujourd’hui encore, l’affaire n’a pas été élucidée. Fernand Salle laissait une veuve et six jeunes enfants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article192422, notice SALLE Fernand par Nathalie Roussarie, version mise en ligne le 20 mai 2017, dernière modification le 4 avril 2022.

Par Nathalie Roussarie

SOURCES : ACER : www.brigadesinternationales.fr. — BDIC, Mfm 880/32, 545.6.1392) (bio du 24 mai 1938, rapports). – Archives familiales communiquées par son petit-fils Christian Salle. — Archives départementales de la Corrèze, 550 W 341.

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