CHAINTREUIL Hildebert, Henri

Par Maurice Moissonnier

Né le 24 septembre 1906 à Lyon (IIIe arr), mort le 18 juillet 1999 à Amphion-Évian (Haute-Savoie) ; couvreur-plombier-zingueur ; syndicaliste du bâtiment dans le Rhône, secrétaire fédéral à la propagande et à l’éducation de la Fédération CGT du bâtiment ; adhérent du Parti communiste ; résistant, déporté.

Hildebert Chaintreuil naquit dans une famille ouvrière. Il se fit appeler Bébert Chaintreuil, car il ne supportait pas son prénom – Hildebert - le trouvant trop aristocratique. Son père, maître mineur, avait travaillé dans des mines en Algérie et était devenu directeur des mines de plomb argentifère de La Plagne (Savoie) au moment où naquit son premier fils, Hildebert. L’enfant avait six ans lorsque la famille s’installa à Aime, autre localité minière de la Savoie. C’est là qu’il fit, jusqu’à l’âge de treize ans, ses études primaires et obtint son certificat d’études primaires. À cette époque, la vie était devenue relativement facile malgré la naissance de quatre autres enfants, tous des garçons (l’un, sergent pilote, est mort en service commandé, un deuxième est devenu grand invalide de guerre après avoir connu les camps de représailles réservés aux prisonniers évadés, les deux plus jeunes furent réfractaires au STO). Cette enfance heureuse devait prendre fin lorsque le père atteignit l’âge de la retraite sans que soit comptabilisé dans le calcul de ses droits, le temps passé en Algérie. Afin de compléter des ressources devenues insuffisantes, la compagnie lui confia, pour un salaire dérisoire la garde d’une mine désaffectée en Saône-et-Loire. Dès la fin du séjour à Aime, Hildebert Chaintreuil avait commencé à travailler pour subvenir quelque peu aux besoins de la famille, tour à tour chez des paysans, avec des bûcherons, des maçons, sur le carreau de la mine d’Aime et enfin aux mines de pyrites de fer de Chizeuille en Saône-et-Loire. À dix-sept ans il était rémunéré 1 franc de l’heure alors que l’homme qui tenait le même emploi que lui gagnait le double. De son propre aveu, c’est à cette époque-là, devant l’ingratitude dont était victime son père et en réfléchissant sur sa propre situation, qu’il sentit naître des sentiments de révolte et la soif de justice qui devaient alimenter son ardeur militante. À Neuvy-Grandchamp (Saône-et-Loire) entre 1923 et 1926, en travaillant chez un couvreur, il fit son apprentissage, le perfectionnement se faisant plus tard « sur le tas ». Après son service militaire, il s’installa à Lyon, mais, pendant deux ans, en raison du chômage qui sévissait dans le Bâtiment, il travailla à l’usine Berliet dans des emplois non qualifiés. C’est le 29 avril 1929 qu’il réintégra sa profession en entrant aux établissements Pétavit, 3 rue Octavio-Mey à Lyon. En raison de la vive activité syndicale des travailleurs lyonnais du Bâtiment, les tarifs étaient dans cette ville, beaucoup plus élevés qu’ailleurs (7 F de l’heure pour les plombiers zingueurs à dater de septembre 1930). Avec les débuts de la crise, le patronat entreprit de reprendre les avantages concédés ; c’est ainsi que vers le 10 mai 1932 l’entreprise Pétavit prétendit réduire les salaires de 0 F 50 de l’heure. Avec plusieurs de ses camarades, Chaintreuil tenta d’organiser la résistance. Il fut contraint de quitter l’entreprise le 19 juin 1932, à la suite de l’échec du mouvement, nanti d’un certificat de travail où son nom et le mot certificat, soulignés en rouge signalaient à l’employeur éventuel l’esprit revendicatif du titulaire...

Il épousa Lucienne Trouillet, fille d’un employé de la Compagnie du gaz et de l’électricité de Lyon, couturière par intermittence, syndicaliste. Ils avaient un garçon né en 1934.

C’est à partir de ce moment que commença réellement son activité militante. Il était adhérent au syndicat autonome, membre du puissant Cartel du Bâtiment de Lyon et région formée de dix-sept organisations qui, en 1925, avaient refusé de choisir entre les centrales CGT, CGTU et CGT-SR. Le Cartel, très rompu aux méthodes d’action directe du syndicalisme révolutionnaire décida de mettre à l’index la maison Pétavit et quelques autres et confia à Chaintreuil que son licenciement rendait disponible l’organisation des « roulantes », équipes de syndiqués rémunérés par l’organisation, chargées de visiter les chantiers et d’assurer, en même temps que le recrutement, la discipline syndicale et l’exécution des décisions. Les succès remportés par les équipes de Chaintreuil renforcèrent son autorité aux réunions des délégués des différents syndicats du Cartel et le désignèrent comme un militant d’élite aux yeux de ses camarades. Dans le dernier semestre 1933, le mandat du secrétaire du Cartel, Vacheron*, arrivant à expiration, il fut désigné à l’unanimité pour prendre le poste vacant. À cette époque, le Cartel était une organisation majeure du syndicalisme lyonnais.

Il était dominé par le syndicat des maçons et agissait presque totalement sur les directives d’un ancien secrétaire de ce syndicat Gustave Eysseris* directeur de l’Imprimerie intersyndicale qui éditait l’hebdomadaire très combatif du Cartel : l’Effort.

Les dirigeants qui avaient poussé à cette élection regrettèrent rapidement leur choix : Eysseris ancien membre de la CGTU nourrissait à l’égard des unitaires une hostilité solide et ne concevait l’unité syndicale que sous la forme du ralliement à l’organisation qu’il contrôlait. Chaintreuil, au contraire, s’affirmait de plus en plus décidé à explorer dans la recherche de l’unité toutes les voies nouvelles. En 1934, il écrivait, dans le n° 456 de l’Effort : « L’exemple de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Autriche est là, sous nos yeux. À nous de nous unir pour éviter pareille épreuve d’abord, ensuite pour opposer à nos ennemis les forces neuves du prolétariat ainsi réunifié. » Il s’efforçait de prendre en compte toutes les démarches qui lui semblaient aller en ce sens et c’est à cette époque que le Cartel du Bâtiment épaula le mouvement frontiste de Bergery (cf. La Flèche, hebdomadaire de combat et de doctrine contre le fascisme du 7 juillet 1934 : « Paris-Lyon » par Gaston Bergery).

Dans son autobiographie de janvier 1939, il fut amené à s’expliquer sur ce passage à Front commun de Bergery, mouvement qui était dirigé, à Lyon, par Emery* : « J’ai certainement été lié (écrivait-il) avec des trotskystes lors de mon passage à Front commun. Leur théorie et leur conception de la lutte, plus rapidement que toute autre chose, ont contribué à hâter mon départ de ce groupement devenu un refuge d’anticommunistes desquels je n’ai jamais été même si parfois dans des écrits j’ai pu critiquer telle ou telle position du parti [...] Leur ennemi [aux trotskystes] n’était point le capitalisme mais bien le parti communiste. » (La commission des cadres qui citait ce passage remplaça « le parti communiste » par « le communisme »).

C’est en 1934 encore que, pour saboter des exercices de défense passive dénoncés comme moyens de préparation psychologique à la guerre, le Cartel organisa une illumination imprévue de Lyon, ce qui détermina une vive réaction de la police qui coûta à Chaintreuil, arrêté à cette occasion, l’une de ses dents...

Mais ce qui inquiétait le plus Eysseris et ses amis, c’était l’ouverture du nouveau secrétaire du Cartel aux offres d’unité venues depuis février de la CGTU et du PC. À la fin de l’année 1934, arguant des difficultés économiques, de l’épuisement des ressources du syndicat des maçons, ils proposèrent de mettre en sommeil le Cartel. Chaintreuil prit alors la tête d’une minorité qui ne tarda pas à devenir majorité. Celle-ci combattit avec vigueur l’orientation des anciens dirigeants et se développa au sein même du syndicat-pivot des maçons. Dans la polémique qui s’ouvrit, des preuves furent apportées montrant que le syndicat des maçons s’épuisait à financer l’Imprimerie intersyndicale dont les fonds étaient utilisés à leur tour par Eysseris à des fins personnelles.

Au moment où, menacés d’être mis en minorité, les anciens dirigeants négociaient avec Vivier-Merle* leur retour à la CGT et l’organisation d’une scission, le local des maçons fut occupé par l’ancienne minorité qui, désormais majoritaire, désigna une nouvelle direction. Devenu maître des archives et des livres de comptes, Chaintreuil, par une campagne de presse développée en 1935 dans l’Effort révéla toute la gamme des escroqueries d’Eysseris écroué au mois de mai sous l’inculpation d’abus de confiance, faux et usage de faux. (cf. L’Effort 1er juin 1935 : « Et de un !... À quand les autres ? »). Et sauvant le Cartel de la désagrégation en conduisant la « lutte pour la propreté », Chaintreuil avait acquis dans son organisation et en dehors de celle-ci un prestige qui se mesure à la place que lui accordait désormais la presse locale (cf. par exemple dans Lyon Républicain du 26 juillet 1935 une longue interview sur les réactions des travailleurs aux décrets lois du gouvernement Laval). Cette autorité nouvelle, il la mit tout entière au service du combat pour l’unité et la lecture des numéros de l’Effort de 1935 et 1936 montre avec quelle fougue et quel talent journalistique, il argumentait en sa faveur.

Après avoir noué avec les unitaires des liens solides, le rapprochement se fit avec les confédérés. Le 25 octobre 1936, après le congrès de Toulouse où il avait été délégué, un congrès régional tenu à Lyon donnait au Bâtiment dans le cadre de la Xe région, une structure qui rassemblait toutes les organisations CGT du Bâtiment, des travaux publics et des matériaux de construction du Rhône et de l’Ain. L’élection des trois secrétaires donna des résultats significatifs du prestige dont jouissait Chaintreuil : il réunissait 4 278 voix, pour 2 978 à Bressand* et 2 280 à Morizetti*. S’ouvrit alors pour le syndicat du Bâtiment lyonnais une période faste : bataille victorieuse pour la libération d’Antoine Villard* maçon condamné pour un crime qu’il n’avait pas commis, « journées chaudes » de l’été 1936 au cours desquelles les syndicats du Bâtiment jouèrent dans les mouvements de mai-juin un très actif rôle d’encadrement des autres corporations avant d’agir pour leur propre compte et d’obtenir de substantiels avantages au cours de négociations qui avaient été précédées par l’occupation de la chambre patronale et la séquestration des entrepreneurs qui y étaient réunis. Pendant la période du Front populaire, Chaintreuil participa à l’activité de nombreuses organisations : comité régional antifasciste puis Comité de Front populaire, Secours rouge, Ligue contre l’antisémitisme, comité de soutien à l’Espagne républicaine ; pendant une courte période, Ligue des droits de l’Homme, et, aussi, groupement d’aviation populaire du Rhône avec lequel il constitua, aidé par un pilote nommé Girardet, un club aérien.

Il parvenait à concilier toutes ses activités avec ses tâches de secrétaire général de la 10e région fédérale du Bâtiment et de membre du comité national de la Fédération des industries du Bâtiment CGT qu’il exerça de 1936 à 1939.

À l’occasion du 20e anniversaire de la Révolution d’Octobre, il fit partie d’une délégation syndicale qui visita l’URSS et fut reçue par Kalinine. À son retour il rédigea une brochure compte rendu intitulée Les Bâtimenteux en Union Soviétique, puis, tout à fait à la fin de l’année 1937, remit son adhésion au Parti communiste entre les mains du secrétaire fédéral du Rhône Julien Airoldi*.

Membre de la cellule Jacobins, section Lyon Ville, il était avant tout militant syndical, déclarant : « Je ne milite pas d’une façon active pour le parti [...] le travail pour le parti consiste à populariser de mon mieux [ses] mots d’ordre parmi les travailleurs que je peux influencer en rapport avec mes fonctions syndicales [...] en liaison avec le comité régional. » D’ailleurs Chaintreuil ne fut pas retenu pour une école régionale du PC en 1939, car, écrit la commission des cadres, « on a besoin de lui au syndicat. Il ne peut abandonner son poste dans le moment présent. Voir pour une autre année. »

Pendant cette période, il joua, à la tête de son organisation un rôle important dans le sauvetage du barrage de Génissiat dont la construction était vivement critiquée par les forces politiques conservatrices. L’entreprise Chagnaux de Paris, chargée des travaux prenant, avec un chantier de six cents ouvriers un retard croissant, le sénateur de l’Isère Perrier fit appel à Chaintreuil. Avec l’aide d’ingénieurs appartenant à la Fédération CGT du Bâtiment, il établit un projet qui portait l’effectif de 600 à 3 000 travailleurs avec quatre postes assurant un travail ininterrompu. Ce projet fut entériné, au cours d’une entrevue, par Léon Blum lui-même. Il comprenait des dispositions totalement inédites : constitution d’une commission tripartite (entreprise-Cie Nationale du Rhône et syndicat CGT) qui devait être réunie pour la prise de toutes les décisions ; contrôle absolu de l’embauche par les soins du syndicat ; satisfaction de nombreuses revendications concernant la sécurité, l’hygiène, la cantine, le logement. Le retard fut ainsi comblé et le chantier offrit un refuge aux travailleurs sanctionnés au moment de la grève du 30 novembre 1938 et aux volontaires des Brigades internationales souvent dépourvus d’emploi à leur retour. L’année 1938 fut aussi pour Chaintreuil l’année d’une très rude épreuve. Après un arbitrage favorable aux revendications syndicales (sentence Reutenauer qui accordait des augmentations allant de 11 à 15 % au printemps 1938), les entrepreneurs firent appel ce qui entraîna, en réplique, une grève générale du Bâtiment commencée le 6 août. Le mouvement devait se durcir lorsque la sentence du surarbitre Dilhac ramena l’augmentation à 10 %. Le conflit traversa sans s’éteindre la période de mobilisation provoquée par les événements de Tchécoslovaquie (à la différence de ce qui s’était passé dans la région parisienne où un conflit du même ordre avait été interrompu).
Le patronat, profitant de la conjoncture politique, s’efforça de prendre sa revanche des journées de 1936. « Nous n’avons pas à signer quoi que ce soit avec les agitateurs et les provocateurs de la 10e région fédérale », écrivait au préfet, le 5 octobre, le président du syndicat patronal Rousseau. Le conflit, marqué par des heurts violents avec la police, par l’arrestation, la poursuite et la condamnation de dizaines de militants et de dirigeants prit fin dans les derniers jours d’octobre, après que l’assassinat d’un contremaître d’une maison de construction ait été exploité pour déconsidérer le mouvement. Le patronat atteignit largement son objectif : cette défaite retentissante ébranla l’organisation lyonnaise du Bâtiment, vida ses caisses et fit refluer considérablement la syndicalisation. La situation n’était pas améliorée lorsque survint la période trouble de la déclaration de guerre.

Mobilisé deux jours après le début du conflit Chaintreuil fut affecté à Autun, au 608e pionnier et, trois jours après, il se retrouva au-delà de Bitche, devant la ligue Maginot, travaillant à la construction de casemates. À ce moment se situe un épisode intéressant. Conscient d’avoir entre ses mains la vie des soldats qui viendraient s’abriter dans ces ouvrages avancés, animé par un souci de solidarité qui découlait de son expérience militante, le secrétaire de la Xe région CGT du Bâtiment s’employa à combattre le laisser-aller qui régnait sur les chantiers et, avec l’appui d’une poignée de syndicalistes, entraîna son groupe à réaliser le mieux possible le travail qui leur était confié. À tel point qu’au cours d’une inspection, un général proposa Chaintreuil pour le grade de caporal... proposition qui fut en fin de compte refusée pour les raisons que l’on devine mais qui fut transformée, le 16 avril 1940, en une promotion au titre de soldat de 1re classe ! Au moment où prit fin la « drôle de guerre », en juin 1940, l’unité de Chaintreuil fut envoyée dans les Ardennes. Plutôt que de suivre l’ordre d’attendre dans une grange l’arrivée des avant-gardes allemandes, convaincu « qu’il ne fallait pas se laisser prendre pour ne pas avoir à s’évader », il organisa le repli d’un groupe de soldats qui furent les seuls de leur régiment à échapper au bouclage de la Wehrmacht. Il fut démobilisé en juillet 1940. Dès son retour à Lyon, il reçut la visite du délégué du Comité central du PC clandestin pour la zone sud et, avec Antonin Dumas*, ex-secrétaire du syndicat départemental des métaux, il contribua au regroupement des militants et des moyens matériels d’action (ronéos, papier, etc.). En même temps, il organisait, au grand jour, un comité de soutien aux emprisonnés et à leur famille. Au début d’août 1940, André Philip* qui avait entretenu avec Chaintreuil de longues relations lors de la campagne pour la libération d’Antoine Villard le pressentit pour partir en Angleterre. Décidé à poursuivre le combat sur le sol national, Chaintreuil refusa mais accepta la suggestion de contacter un ancien commissaire de police d’Oullins, nommé Mareaud, membre du réseau Buckmaster. De ces contacts, il retira la possibilité de se procurer quelques revolvers, des explosifs et du papier moyennant un « échange de services » qui consistait surtout en transport de matériel. Parallèlement, Chaintreuil se préoccupait de reconstituer un embryon d’organisation syndicale clandestine du Bâtiment. Pour survivre, il travailla successivement comme manœuvre à la manutention du charbon puis chez un briqueteur-fumiste. Le 17 novembre 1940, quelques jours avant son entrée en clandestinité totale, à l’occasion de la visite de Pétain à Lyon, la police lança une vaste opération de sécurité et, en même temps que de nombreux autres militants, il fut arrêté et interné au Fort Barraux, (Isère) près de Lyon. Jusqu’au 30 novembre 1942, il parvint à garder un contact épisodique avec ses camarades du syndicat restés en liberté, rédigeant même quelques tracts, mais, à cette date, il fut transféré dans le Tarn, au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe. Élu chef de baraque par ses compagnons de détention, il avait minutieusement préparé son évasion, lorsque le 29 décembre, il permit, en différant son départ, la fuite de l’ex-commissaire Mareaud qu’il avait retrouvé au camp et qui devait être transféré à Lyon pour y être jugé et condamné à la peine de mort. Il lui fallut attendre ensuite trois mois pour réaliser son projet, et le 18 avril 1943, utilisant le procédé qui avait réussi à Mareaud - en se cachant entre les roues arrière d’un camion de légumes - il s’évada par la grande porte du camp. Le 19 avril, vers onze heures, grâce à la solidarité des cheminots, il sortait sans encombre de la gare de Vienne (Isère) et gagnait Oullins, puis une cabane de jardin à Saint-Genis-Laval dans la banlieue lyonnaise. Au bout de quinze jours, ayant repris contact avec les organisations clandestines par l’intermédiaire des militants du Bâtiment qu’il connaissait, il fut affecté successivement, par la direction du PC, à des postes de responsabilité à Nîmes puis à Grenoble et enfin en Haute-Savoie et Savoie où il s’occupait particulièrement des questions syndicales. Son activité, au moment de la construction du barrage de Génissiat, ses fréquentes visites entre 1937 et 1939 à Ugine, Chambéry ou Annecy semblaient le désigner pour remplir ici de telles fonctions mais cette connaissance du milieu comportait des périls : bien qu’il se fît alors appeler Sandaz, beaucoup trop de militants connaissaient son véritable nom. Il anima alors l’action d’un groupe de sabotage qui, par l’intermédiaire d’Émile Marty*, ancien secrétaire CGT du chantier, s’approvisionnait en explosifs au barrage de Génissiat. C’est justement dans la maison d’Émile Marty où il logeait exceptionnellement pendant l’une de ses périgrinations clandestines que, le 27 mars 1943, il fut arrêté par une brigade du SPAC (service de police anticommuniste) dirigée par le commissaire Durand et formée de plusieurs policiers lyonnais pour qui il n’était pas un inconnu. Décidés à exploiter cette prise à laquelle ils ne s’attendaient pas, convaincus - à tort - que Chaintreuil connaissait la résidence secrète de Benoit Frachon, ils le conduisirent à l’Intendance d’Annecy transformée en prison et lui firent subir, pendant toute la nuit du 27 au 28 mars, de terribles tortures. Transféré à la prison Saint-Paul à Lyon, il ne tarda pas, grâce au concours de l’ex-avocat de la CGT, Me Branche*, à renouer des liens avec les résistants locaux et à préparer, de concert avec eux, une nouvelle évasion. Le bombardement de Lyon, le 26 mai 1944, en provoquant une tentative de fuite prématurée de tous les prisonniers fit échouer ce projet et, le 29 juin suivant, il fut embarqué à Perrache, dans un convoi ferroviaire qui devait amener à Dachau, le 2 juillet, sept cent trente-quatre survivants d’un épouvantable voyage. Affecté au blok 19, où il retrouva un certain nombre de ses camarades qui avaient transité par Eysses, il fut détaché, dès le début d’août au commando de Kempten qui, dans l’usine Helmut Sachs travaillait à la fabrication d’éléments stabilisateurs pour les V1 et V2 et de roulements à billes. D’emblée, Chaintreuil participa à l’organisation clandestine du camp en collaboration avec le futur ministre Louis Terrenoire. Il s’agissait d’assurer la solidarité et l’hygiène, gages d’un bon moral chez les détenus et moyens d’action destinés à déjouer la division que les geôliers SS s’efforçaient d’entretenir chez les prisonniers politiques.

Dans cette tâche, Chaintreuil, habitué, selon ses propres termes, « à créer un esprit collectif au service du plus faible », fit merveille. Il fut littéralement plébiscité par ses camarades comme chef de blok. En même temps qu’il participait à l’organisation clandestine internationale du camp, il avait repris sa place dans le Parti communiste et apportait à ses amis l’expérience que lui avait donnée une longue pratique unitaire. Au début de l’année 1945 il prépara, avec quatre autres détenus - dont Émile Marty qui avait été déporté lui aussi à Kempten - une évasion. Marty fut surpris au moment où il travaillait au percement d’un mur, fut envoyé à Buchenwald où il mourut et l’entreprise tourna court. Outre les conditions de Kempten, Chaintreuil connut, celles, peut-être plus dures encore du commando de Kottern où il fut un moment détaché alors qu’y sévissait une épidémie de typhus. Lorsque survint l’effondrement nazi, le camp de Kempten fut précisément évacué sur celui de Kottern le 25 avril 1945 et c’est au cours de ce transfert, le 26 en fin d’après midi que, bénéficiant de la mansuétude de SS soucieux de ménager leur avenir, les déportés s’évadèrent en masse près du petit village de Pfronten-Kappel. Le 27, les troupes américaines survenaient assurant définitivement leur liberté. Il racontait un épisode : scène se déroule à Kempten après l’évasion.
“Les déportés ont retrouvé un kapo qu’ils haïssaient, ils le capturèrent et veulaient le pendre sans autre forme de procès. H. Chaintreuil arriva au moment ou le kapo est placé sur une table, une corde autour du cou. Il traverse les rangs, grimpe sur la table et dit “arrêtez çà tout de suite ! vous ne comprenez pas ce que vous êtes en train de faire ? vous vous comportez comme eux ! Il doit être jugé.” Le kapo qui fut remis à l’armée américaine.

Pour Chaintreuil commença alors le temps de nouvelles responsabilités dans un nouveau combat.

Il lui fallut, avec l’ex-direction clandestine défendre d’abord la santé fragile de ses camarades à qui les Américains donnaient sans précaution une nourriture meurtrière par son abondance, mais aussi lutter pour la dignité et les droits de ses compagnons que les autorités militaires avaient ramenés - malgré leurs protestations - au camp de Kempten, dès le 30 avril. Finalement, de connivence avec un officier de la 1re Division blindée avec qui il avait pris contact, il organisa l’évacuation vers Biberach, dans le secteur français de 250 déportés véhiculés à bord de camions récupérés sur place. Cette initiative leur valut de rentrer en France dès le 8 mai, le jour même de la capitulation allemande.

Après quelques semaines de repos, Chaintreuil reprit sa vie militante. Il fut appelé à la direction de la Fédération nationale du Bâtiment, d’abord comme membre du bureau ensuite comme secrétaire à la propagande et à l’éducation. Avec la CGT, il participa à la « bataille de la reconstruction », puis aux luttes de 1947 à 1950. En 1951, frappé par une dépression nerveuse, fatigué par les vives discussions qui avaient lieu dans le syndicat sur des problèmes de tactique, il quitta la direction fédérale en même temps que René Arrachard*. Il refusa alors toute fonction de permanent. Après dix-neuf ans d’interruption, il reprit son métier de plombier-zingueur à Paris et, pendant douze ans, il fut élu et réélu délégué du personnel de l’entreprise Bonnel dans laquelle la CGT syndiquait 90 à 95 % du personnel. Il prit sa retraite en 1966 sans abandonner l’action militante qui fut toute sa vie. En 1976, toujours membre du PC, il était membre du bureau départemental de la Haute-Savoie de la FNDIRP, co-président de l’ANACR, président de l’amicale des anciens de Kempten-Kottern, membre de l’Amicale des anciens de Dachau et vice-président de la section départementale etc. Son activité au service des anciens déportés et de leur famille restait considérable dans le département de Haute-Savoie où il s’était fixé (à Amphion-Publier) et, le 19 septembre 1971, lorsque l’ancien ministre Louis Terrenoire, remit les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Hildebert Chaintreuil, l’écho profond qu’eut dans la presse régionale cet événement, permit de mesurer une fois encore le rayonnement d’une personnalité tout à fait exceptionnelle.

Après s’être consacré à l’Institut CGT d’histoire sociale et avoir collaboré aux Cahiers d’histoire CGT Rhône-Alpes, Hilbert Chaintreuil mourut, à l’âge de quatre-vingt-douze ans, en son domicile, à Amphion-Évian le 18 juillet 1999. Il fut incinéré.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19274, notice CHAINTREUIL Hildebert, Henri par Maurice Moissonnier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 7 février 2022.

Par Maurice Moissonnier

SOURCES : RGASPI, Moscou, archives biographiques du Komintern, 495 270 5440, autobiographie du 17 janvier 1939 (Claude Pennetier) (noté B). — Arch. Dép. Rhône, 10 M, Grèves 1934-1938. — Collection de L’Effort, organe d’action sociale et de défense syndicaliste, 1934-1939. — Compte rendu analytique du congrès régional de la 10e région fédérale du Bâtiment, 25 octobre 1936. — Arch. du syndicat des maçons et aides, Bourse du Travail de Lyon. — Les Bâtimenteux en Union soviétique, édité par la Fédération des Travailleurs du Bâtiment, des Travaux publics et des Matériaux de construction, Imprimerie Mamadour, 1938. — Résonances, revue, juin 1976. — Lettre fédérale, Revue d’informations, de documentation et d’éducation syndicale de la Fédération nationale des Travailleurs du Bâtiment, du bois et parties similaires où Chaintreuil, en 1948 rédigeait articles et notes éducatives. — Documents et témoignages personnels transmis par H. Chaintreuil. — Notes de Michel Dreyfus.
Bibliographie : Bernard Pudal, Claude Pennetier, Le Souffle d’octobre 1917. L’engagement des communistes français, Les éditions de l’Atelier, 2017 : le chapitre 5 lui est consacré.

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