DESRODY Léonard

Par Jean-Luc Labbé

Né le 12 juin 1872 à Nevers (Nièvre) ; ouvrier porcelainier et syndicaliste CGT à Villedieu-sur-Indre (Indre) de 1900 à 1904 ; porcelainier à Foëcy et Vierzon (Cher), gérant d’une coopérative de consommation ; mort à Dun-sur-Auron (Cher) le 16 octobre 1912.

Né à Nevers (Nièvre), Léonard Desrody était le fils de Charles, manoeuvre puis ouvrier porcelainier. Léonard fit un apprentissage de boulanger et cette profession fit partie des éléments retenus ("sait cuire le pain") dans sa fiche militaire établie lors de son passage en conseil de révision. Sa description physique le montrait avec des "cheveux blonds, des yeux gris-bleus, une grande bouche, un visage large" ; il mesurait 1,62 m. Léonard Desrody s’engagea volontairement dans l’armée avec un contrat de quatre ans qui, d’octobre 1891 à septembre 1895, le mena en Algérie avec le 3ème régiment de zouaves. Il quitta l’armée avec le grade de sergent.

Quelques mois plus tard, Léonard Desrody, qui ne sera pas boulanger mais ouvrier qualifié de la porcelaine, arriva à Villedieu-sur-Indre (Indre) où le recensement de 1896 le déclarait hébergé chez son oncle maternelle Pierre Clément. Si ce Pierre Clément (1867-1925) était né à Saint-Pierre le Moutier (Nièvre), il s’était marié à Villedieu-sur-Indre avec Mathilde Ginet, journalière et née dans cette ville qui abritait plusieurs usines de porcelaine.

Léonard Desrody se maria à Villedieu le 26 avril 1897 avec Joséphine Ginet (née à Villedieu en 1871), jeune ouvrière de l’industrie de la confection. Lors de son mariage, Léonard Desrody ne se déclarait plus manoeuvre mais porcelainier, signe d’une qualification professionnelle reconnue. Les frères de sa femme, témoins au mariage, se déclaraient manoeuvres (de la porcelaine ?) pour deux d’entr’eux et journalier (agricole ?) pour le troisième. Contrairement à Léonard, ils déclarèrent ne pas savoir signer de leur nom. Du couple Desrody naquirent trois premiers enfants : Charlotte née le 8 septembre 1897, Marguerite le 23 mai 1899 et Léonie le 7 avril 1901.

En 1901, Léonard Desrody habitait dans la Grande Rue à Villedieu-sur-Indre avec sa femme Joséphine, ouvrière chemisière dans l’usine du groupe Rousseau et leurs enfants. Léonard travaillait dans les ateliers Frélon-Frères, l’une des quatre ou cinq usines de porcelaine de la ville, usines qui employaient au total entre 300 et 400 ouvriers. Ce fut dans ce contexte et alors qu’il avait une trentaine d’années que Léonard Desrody allait contribuer à structurer le mouvement ouvrier dans la petite cité industrieuse des bords de l’Indre (2840 habitants).

Léonard Desrody fonda le syndicat CGT des porcelainiers dont la déclaration officielle portait la date du 19 mars 1902. Dans le premier bureau syndical, il en était le secrétaire alors que Florentin BERTRAND en était le président et Désiré GION le trésorier. Desrody fut l’un des dirigeants de la longue grève de 1903 pendant laquelle il organisa la campagne de solidarité financière en se déplaçant dans les grands centres porcelainiers qu’étaient Vierzon et Limoges. Les journaux socialistes, dont l’Humanité, publièrent des communiqués signés de sa main.

La grève, qui toucha surtout l’usine Maillat et Gigot (filiale du groupe Noublanche dont le siège était à Paris) trouvait sa justification dans le renvoi de cinq ouvriers qui venaient de montrer leur volonté de constituer un syndicat. Débutée le 12 mars, elle mit en mouvement 109 hommes, 10 femmes et 8 jeunes de moins de 18 ans, sur les 133 salariés que comptait l’entreprise. La direction considéra que la grève était terminée fin septembre avec la reprise du travail par 55 grévistes et l’embauche d’une trentaine de nouveaux salariés venus de l’extérieur de la ville. Pour la CGT la grève se poursuivait puisque 16 ouvriers s’étaient embauchés (temporairement pensaient-ils) dans les usines de Limoges et Vierzon et qu’une soixantaine s’était repliée dans les travaux agricoles.

Mais dans un communiqué en date du 26 décembre, Léonard Desrody jetait l’éponge : « Après 10 mois de lutte, nous sommes obligés d’arrêter ». Depuis le mois d’août, Desrody avait été inculpé pour « faits de grève » et son avocat était Auguste Manoury, dirigeant du secteur coopératif parisien et candidat socialiste aux élections législatives de 1902 dans la circonscription de Châteauroux. Le 20 novembre 1903, le Bulletin officiel de la Bourse du Travail de Châteauroux informa que le procès était renvoyé devant le tribunal de Châteauroux et que Maître Albert Willm (avocat et journaliste socialiste, député de La Seine) le défendrait. La solidarité qui se manifesta alors ne put empêcher une condamnation de 50 Francs pour un délit "d’outrage à agents" (Jugement en date du 9 décembre 1903 du tribunal correctionnel de Châteauroux).

Léonard Desrody avait échappé à la prison mais, sans le sou et probablement "interdit professionnel" à Villedieu, il dut se résoudre à partir. Le 20 mars 1904, il se déclarait porcelainier et domicilié à Vierzon-Village, rue des Echelles. Le 3 avril naissait un quatrième enfant, Louise (décédée 22 mois plus tard, le 10 février 1906).

Malgré sa domiciliation à Vierzon en cette année 1904, Léonard Desrody se mit à la disposition des ouvrières de l’usine de chemises Rousseau à Villedieu (où sa femme avait été ouvrière) lors d’une grève motivée par le renvoi de syndicalistes et la baisse des salaires. Comme pour les porcelainiers, cette grève dura plusieurs mois et Desrody anima une campagne de solidarité. Il aida les ouvrières grévistes, qui ne voulurent pas rentrer à l’usine aux conditions imposées par le patron, à ouvrir fin 1904 une société coopérative ouvrière de production que dirigera Marie Potier.

En 1906, Léonard Desrody (porcelainier chez Boutin) et sa famille habitaient toujours Vierzon-Village, non plus rue des Echelles mais rue des Donneaux dans un immeuble collectif de huit appartements. Suite à un nouveau déménagement pour des raisons professionnelles, la famille se trouvait à Foëcy (Cher), autre centre porcelainier, en 1907 où naquit un dernier enfant, Emile (1907-1975) le 9 novembre.

Ce fut ensuite le retour à Villedieu-sur-Indre (vers 1909 ?). Le recensement de l’année 1911 notait la présence de la famille Desrody au 19 rue de la Gare : Léonard s’y déclarait porcelainier chez Noublanche et sa fille aînée de 14 ans, Charlotte, était chemisière chez Rousseau. Comment se passèrent ces mois, deux ans tout au plus, de retour à Villedieu dans le groupe industriel de la longue grève de 1903 alors que Léonard Desrody n’avait pas cessé d’être un militant syndical CGT très en vue ?

Ce furent, selon toute vraisemblance, ses contacts syndicaux qui l’amenèrent à Dun-sur-Auron (Cher) assez rapidement. Il s’y trouvait en 1912, toujours porcelainier mais aussi gérant d’une coopérative de consommation liée au mouvement syndical. Il avait alors 41 ans. Le 16 octobre de cette année 1912, il se donna la mort par pendaison. Ce fut son frère Jean (domicilié alors à Vierzon) qui vint déclarer ce décès à la mairie de Dun-sur-Auron.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article192982, notice DESRODY Léonard par Jean-Luc Labbé, version mise en ligne le 8 juin 2017, dernière modification le 31 mai 2020.

Par Jean-Luc Labbé

SOURCES : Arch. Dép. Indre, rapports de gendarmerie. - Journaux 1902-1905. --- Recensements de diverses années et état civil. - Arch. UD CGT Indre. - Recherches et notes de Lydie Desrody, petite fille de Léonard.

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