JOURDRIN Paul, Rémi

Par Jean-Luc Labbé

Né le 12 mai 1862 à Issoudun (Indre) ; charpentier ; syndicaliste CGT de 1896 à 1914 ; condamné en 1906 ; socialiste autonome puis unifié.

Fils du charpentier Jean Jourdrin et de Marie-Euphrasie Rouet, Paul Jourdrin ouvrier charpentier comme son père se maria à Issoudun avec Augustine Brébion. Probablement adhéra-t-il à L’Union syndicale des ouvriers en bâtiment d’Issoudun, lors de la création de ce syndicat qui déclara 71 membres fondateurs en avril 1895. La première mention du nom de Paul Jourdrin apparait lors du conseil d’administration du syndicat du 2 mai 1897. Le président (Birtègue) venait de démissionner et un vote fut organisé pour le remplacer. Jourdin ne recueillit que 5 voix contre 11 à Naudet. Mais ce dernier démissionna à son tour et une nouvelle élection fut organisée le 12 décembre de cette même année 1897. Jourdin fut élu secrétaire du syndicat par 7 voix sur 12 exprimés. Il avait alors 25 ans et dirigera son syndicat d’ouvriers du bâtiment jusqu’en 1914.
Parallèlement, Paul Jourdin pris des responsabilités dans Union des syndicats d’Issoudun qui fut créée le 21 mai 1897 avec les trois syndicats existants : les cuirs et peaux, le bâtiment et les typographes. Il fut membre du premier conseil d’administration qui comprenait douze membres et dont le président était Paul Meunier. À cette date Paul Jourdrin était domicilié rue Petite Foulerie et déclarait la profession de charpentier, certes, mais également de mégissier dans les périodes creuses de son activité principale. En 1898, il fut élu vice-président de cette Union locale avec le parcheminier Paul Meunier à la présidence, le parcheminier Jules Filloux secrétaire et le tanneur Jules Ardault chargé de la trésorerie ; une équipe de trentenaire à peine, ouvriers qualifiés ; une génération passée par l’école de la République qui savait lire et écrire contrairement à beaucoup de ceux de la génération antérieure. En mai 1898 tous firent campagne pour Jacques Dufour, le maire d’Issoudun, qui accéda dès le 1er tour à l’assemblée nationale. En 1904, Paul Jourdrin était toujours vice-président de cette union locale CGT au côté de Paul Meunier avec un conseil d’administration auquel accédait la génération née dans les années 1880. Paul Jourdin en demeura vice-président au moins jusqu’en 1908, date au-delà de laquelle les déclarations syndicales font défaut, laissant supposer la dissolution et la fusion avec une autre organisation.
Entre-temps en effet, les syndiqués avaient créé la Bourse du Travail en juillet 1904 dont l’inauguration et l’ouverture effective fut repoussée à la fin décembre, à l’issue d’une longue grève des mégissiers, parcheminiers et tanneurs. Paul Jourdrin fut élu secrétaire-adjoint de cette nouvelle organisation interprofessionnelle qui regroupait une dizaine de syndicats et près de 450 adhérents (un plus haut historique avant la 1ère guerre mondiale sera atteint en 1911 avec 810 syndiqués CGT grâce à l’apport des syndicats de journaliers agricoles et de bûcherons des villages situés dans l’aire d’influence d’Issoudun). Les missions d’intérêt général que se fixait cette Bourse du travail (placement des ouvriers chômeurs, bibliothèque, formation professionnelle) avaient l’avantage de pouvoir être subventionnées par la ville qui mit à disposition un local (24 rue des écoles) et versa en 1904 une subvention d’aménagement puis des subventions annuelles de fonctionnement. Paul Jourdrin s’y domicilia vers 1910 comme concierge et archiviste, et donc en réalité comme permanent partiellement appointé.
Un tel parcours ne pouvait échapper à la surveillance policière. En 1907, il fit l’objet de deux signalements qui le disaient, pour le premier, « socialiste autonome » (donc « réformiste ») et, pour le second, « antimilitariste lors de réunions publiques révolutionnaires en 1905 et 1906 ». Que faut-il comprendre, a postériori, de cette apparente contradiction ? Le mouvement socialiste et ouvrier issoldunois s’était profondément divisé en 1900 avec la création d’une fédération socialiste autonome (qui rejoindra Jaurès) et celle d’une Union Socialiste Révolutionnaire (fruit du regroupement des guesdistes et des blanquistes-vaillantistes). Les premiers s’appuyaient sur le maire Auguste Bonjour et les seconds sur le député Jacques Dufour. Les militants ouvriers et les conseillers municipaux se répartirent entre les deux tendances, avec des motivations politiques autant qu’à partir de relations personnelles et de réseaux de solidarité. La CGT organisa en son sein un équilibre : trois dirigeants se revendiquaient du courant « républicain socialiste », dont Paul Jourdrin, et autant du courant « Union révolutionnaire ». Cette classification perdura au-delà de la réunification de 1905-1906 au sein du P.S.U. (Parti socialiste unifié, plus couramment appelé Parti socialiste SFIO) ; réunification laborieuse qui ne fit pas disparaitre la fédération autonome qui évolua vers le radicalisme gouvernemental. Parallèlement, les socialistes révolutionnaires (anarcho-syndicalistes), imprimaient leur marque et dirigeaient nationalement la CGT. Deux dirigeants nationaux (Victor Griffuelhes et Auguste Delalé) vinrent à Issoudun et conseillèrent utilement les grévistes des cuirs et peaux au cours de la grève de cinq mois de mi-juillet à fin décembre 1904.
En 1905, Victor Delalé revint pour organiser une section locale de l’AIAT, l’association internationale antimilitariste des travailleurs, qui permit à une nouvelle génération de jeunes travailleurs issoldunois d’accéder aux responsabilités. Paul Meunier et Paul Jourdin accompagnèrent cette nouvelle génération en phase avec la charte d’Amiens (congrès national de la CGT en 1906) et présidèrent des conférences qui rassemblèrent des centaines de participants ; au-delà de la capacité de la contenance de la grande salle du théâtre de la ville. Paul Jourdrin, toujours classé par la police parmi les « réformistes » devint donc en même temps un « dangereux activiste » à surveiller. Paul Meunier, qui avait été conseiller municipal de 1896 à 1904, ne fut candidat sur aucune des deux listes (PSU et Républicaine-socialiste) en 1908) mais marqua son choix politique en étant candidat sur la liste PSU en 1912. Paul Jourdrin suivit ce même cheminement politique quoiqu’il ne fût candidat à aucune élection. Mais le pouvait-il ?
Il avait été radié des listes électorales suite à une condamnation pour faux témoignage. Les faits incriminés s’étaient produits au cours de l’été 1906, moment de mobilisation sociale des employés de commerce pour imposer aux commerçants et artisans le dimanche comme jour de repos obligatoire pour les apprentis et employés. La loi venait d’édicter le principe d’un jour de repos hebdomadaire et en laissant le choix aux chefs d’entreprises ; des commerçants et artisans hostiles au principe même d’un jour de repos, quel qu’il soit. Dans ce contexte, un jeune prit l’initiative, sans concertation syndicale semblait-t-il, de jeter un pavé dans la vitrine d’un artisan coiffeur du centre-ville. Il courut se réfugier dans les locaux de la Bourse du travail de la CGT où se trouvait Paul Jourdrin. Celui-ci déclara que le jeune ne pouvait pas être l’auteur du forfait puisqu’il était avec lui depuis plus d’une heure. Les gendarmes, qui étaient à la poursuite du jeune qu’ils avaient identifié, dressèrent procès-verbal pour faux témoignage. Le jeune Louis Baracher passa en jugement et Paul Jourdrin, pour cet acte spontané de solidarité, fut condamné par le tribunal correctionnel à une amende, un mois de prison avec sursis et à la privation de ses droits civiques. On imagine qu’il fut compliqué pour Jourdrin de retrouver du travail, et ce d’autant plus que les conservateurs gagnèrent la mairie en mai 1908, du fait des dissensions entre socialistes. À la suite de ces évènements, Paul Jourdrin fut hébergé dans les locaux de la Bourse du travail avec le titre de concierge et d’archiviste partiellement appointé.
Le fils de Paul, Marcel Jourdrin, eut également maille à partir avec la justice en 1904 et décéda suite à ses blessures dans les premières semaines qui suivirent l’entrée en guerre avec l’Allemagne en 1914. À cette date, Paul Jourdrin était toujours l’un des principaux dirigeants de l’Union locale CGT : secrétaire de son syndicat du bâtiment et membre du secrétariat de la Bourse du travail. Il n’avait alors que 52 ans. Il ne figura dans aucun organigramme syndical en 1919, date à laquelle le syndicat du bâtiment n’existait plus (il ne sera reconstitué qu’en 1925). Que devint Paul Jourdin après le décès de son fils ? Quelle fut la date de son décès ? Avait-il quitté Issoudun ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article193542, notice JOURDRIN Paul, Rémi par Jean-Luc Labbé, version mise en ligne le 28 juin 2017, dernière modification le 18 octobre 2022.

Par Jean-Luc Labbé

SOURCES : Arch. Nat. F7/13 567 et F7/13 604. — Arch. Dép. Indre, M 6562, M 6612, M 6659. — État civil. — Journaux socialistes. — Notes de Louis Botella.

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