LECONTE Alfred

Par Jean-Luc Labbé

Né le 21 décembre 1824 à Vatan (Indre), mort le 18 septembre 1905 ; pharmacien à Issoudun (Indre) ; conseiller municipal d’Issoudun de 1865 à 1898, conseiller général de Vatan, député de l’arrondissement d’Issoudun de 1876 à 1898 ; Franc-maçon fondateur de La Gauloise, républicain démocrate sous le Second Empire puis radical-socialiste, puis socialiste à partir de 1895 ; membre du conseil d’administration de la société vigneronne d’Issoudun ; poète et écrivain.

A la suite de ses études, Alfred Leconte s’installa pharmacien à Issoudun où il vendait des potions, eaux gazeuses et de la moutarde qu’il fabriquait lui-même. Plusieurs textes le décrivaient bon vivant, toujours prêt à rendre service, organisateur des fêtes locales. Mauvais orateur, il écrivit beaucoup ; on lui prête la rédaction de 20 000 vers mais aussi des chansons dont l’une à la gloire du vin d’Issoudun est dédiée à Jean-Baptiste Lumet, vigneron issoldunois déporté suite au coup d’Etat de Napoléon III : « … O vieille cité berrichonne, Bacchus et Cérès t’ont baillé, pour te dresser une couronne, pampres de vignes, épis de blé. Laissons aux fastes de l’histoire les fleurs de lys de ton blason. Nous qui savons chanter et boire, savourons et vin et chanson, en buvant à la République, c’est bon, dites-vous, gardons-là ».
Mais loin de se contenter de chansonnettes, il fut très tôt surveillé pour sa propagande républicaine. Il raconta, en août 1895 dans le journal socialiste « Le Progrès de l’Indre », avoir été perquisitionné le 2 mars 1862 : « … le commissaire de police m’a dit qu’il avait des ordres et qu’une locomotive chauffait à la gare pour m’emmener illico [à Paris] si on avait trouvé la moindre chose suspecte chez moi ». Le même jour, le moulin de son ami Louis Sineau avait également été fouillé (Moulin de Chinault, quartier d’Issoudun). En 1868, Alfred Leconte fut condamné à 300 Francs d’amende par la Cour Impériale de Bourges pour « propagation de fausse nouvelle ». Il organisait des fêtes locales mais aussi un théâtre de marionnettes sur le balcon du premier étage de sa pharmacie. Des rapports de police le disaient en contact avec des militants de Châteauroux mais aussi de Bourges et de Vierzon.
En mai 1869, il participa avec onze autres fondateurs à la création d’une loge maçonnique à Issoudun, La Gauloise, qui sera très surveillée par la police et la préfecture : l’un des membres, fonctionnaire des impôts, sera muté avant les élections municipales de 1870. Cette loge maçonnique fut le creuset des futurs dirigeants républicains, à l’image d’Alexandre Lecherbonnier, maire d’Issoudun à partir de 1878 et neveu d’Auguste Lecherbonnier, condamné à huit mois de prison en 1850 et opposant au coup d’état bonapartiste de décembre 1851.
Alfred Leconte obtint son premier mandat électif en 1865 lorsqu’il fut élu au conseil municipal d’Issoudun, minoritaire avec quelques autres républicains comme le vigneron Raimond Jean-Louis et le président de la société vigneronne Ernest Aumerle. En 1870, il fut réélu dans un conseil municipal devenu très majoritairement républicain. Le résultat des élections municipales organisées les 30 avril et 7 mai 1871, pendant la Commune de Paris, firent dire au Sous-préfet que « la liste du parti radical et révolutionnaire a eu un succès complet ou presque complet ». Dans ce conseil, Alfred Leconte eut le plaisir de retrouver un ami proche : Jean-Baptiste Lumet, ancien déporté politique de Napoléon III.
Cette même année 1871, Alfred Leconte fut élu conseiller général du canton de Vatan, sa ville natale, et sera réélu sans discontinuer pendant 25 ans. Le canton de Vatan avec les trois autres cantons (Issoudun-sud, Issoudun-nord et Saint-Christophe-en-Bazelle) constituait la troisième circonscription législative du département de l’Indre, frontalière du département du Cher. L’ancrage électoral de Leconte dans les deux villes principales de cette circonscription fut un atout politique pour la suite.
Dans un environnement politique départemental très réactionnaire, il entreprit d’organiser des débuts de réseaux républicains et participa à la création du journal L’Ordre républicain, imprimé à Châteauroux à partir de 1873, qui, malgré une ligne éditoriale modérée, fut confronté à des interdictions de vente sur la voie publique et à des amendes. Au sein de la direction de ce journal il côtoyait aussi bien Ernest Périgois, républicain très modéré, que Joseph Patureau-Francoeur, conseiller municipal de Châteauroux soupçonné d’avoir été membre de l’Association Internationale des Travailleurs (1ère internationale communiste) en 1871.
Les élections législatives de février 1876 permirent à Alfred Leconte d’être élu pour la première fois à l’Assemblée nationale en venant à bout du député sortant conservateur Jean Dufour (orléaniste constitutionnel) avec 6664 voix sur 12481 votants (53,40%). Bottard, républicain modéré, était élu dans la première circonscription de Châteauroux mais à la faveur une triangulaire au second tour : 36% pour le républicain Bottard, 34% pour le bonapartiste Lejeune et 30% pour le royaliste Balsan. Bonapartistes et royalistes se partageaient les autres circonscriptions. Alfred Leconte devenait donc, de fait, le chef incontestable du parti républicain dans le département.
Il fit partie des 363 députés qui refusèrent la confiance au Cabinet de Broglie et, après la dissolution de la Chambre le 16 mai 1877, fut réélu face à Jean Dufour avec 57% des suffrages exprimés. Signe de la mobilisation populaire, le nombre de votes exprimés avait augmenté de 700 par rapport à l’année précédente, progression quasi exclusivement au bénéfice de Leconte.
Il siégea sur les rangs de la gauche. Fin mars 1881, à titre d’exemple, Alfred Leconte vota à l’Assemblée nationale un amendement qui ne recueillit que 133 voix : « Le travail effectif de l’ouvrier dans les manufactures et usines ne pourra excéder dix heures par jour, ni six jours par semaine ». Cet amendement fut rejeté par 309 voix dont les quatre autres députés de l’Indre (Source : L’Echo des Marchés du Centre, 3 avril 1881). Les élections législatives de 1881 lui permirent conserver facilement son mandat de député avec 7823 voix (66%) contre 2416 voix au bonapartiste Daussigny et 1557 voix au républicain « opportuniste » Cotard. Cette nouvelle poussée républicaine se traduisit également par l’élection de républicains « opportunistes » dans les deux circonscriptions de Châteauroux. Si l’idée républicaine devenait irrémédiablement majoritaire dans la plupart des villes, la domination royaliste et bonapartiste se maintenait dans les villages.
Alfred Leconte perdit son mandat de député en 1885 du fait du scrutin de liste départementale qui permit à la droite royaliste et bonapartiste de remporter les cinq sièges. Mais les villes de la circonscription législative d’Issoudun confirmaient leur ancrage républicain et depuis 1882 on notait la création d’organisations socialistes en lien avec les socialistes blanquistes et vaillantistes de Vierzon. En 1889, avec le retour du scrutin d’arrondissement, Alfred Leconte retrouva facilement au 2ème tour son siège de député face au royaliste Comte de Bonneval. Mais au 1er tour, il avait été confronté à un candidat (Gustave Doré) qui avec 15% marquait l’entrée en scène d’un électorat socialiste. Avec la consolidation de la République, Alfred Leconte exprimait de plus en plus clairement sa proximité avec les radicaux puis avec les radicaux-socialistes.
L’élection législative de 1893 l’incita à faire un nouveau pas en avant ; au premier tour, il avait failli être devancé par un candidat socialiste soutenu par le Parti Ouvrier Français. Réélu au second tour, il affirmera dans les années qui suivirent des convictions franchement socialistes en accord avec Jacques Dufour qui a été élu maire d’Issoudun en 1892. Bien que ne rejoignant pas le groupe des députés socialistes de l’Assemblée Nationale, Alfred Leconte participa localement à la prise de pouvoir des socialistes au sein du comité électoral républicain.
Aux élections municipales de 1896, il fut réélu conseiller municipal sur la liste alors franchement ouvrière et socialiste de Dufour, contre la droite, mais aussi une liste radicale « progressiste » durablement marginalisée. Comme député, Il apparaissait en tête de liste des candidats (Le maire Dufour était second) avec une profession de foi qui se concluait par cette phrase : « Entre le suffrage restreint et le suffrage universel, entre la réaction bourgeoise et la démocratie ouvrière, entre eux et nous choisissez librement ». Précédemment, en 1895, il avait soutenu la candidature socialiste d’Edmont Augras à l’élection cantonale de Châteauroux, contre le maire radical, avec cette phrase : « Le socialisme est la théorie qui veut mettre en pratique la devise inscrite sur tous nos monuments publics et qui symbolise celle de la Révolution, cette théorie née et développée dans la Révolution de 1848 va avec le principe d’association et formera l’héritage des hommes qui ont proclamé le suffrage universel ».
A-t-il agi par opportunisme ? La fermeté de ses engagements pouvait se lire dans le fait qu’en ces années 1893-1898, il était septuagénaire et savait qu’il était au terme de ses mandats électoraux. En 1895, il n’avait donc plus rien à perdre et pouvait sans arrière-pensée électorale, en proclamant son admiration pour Jaurès, aller vers l’aboutissement d’un parcours politique en phase avec l’expression des citoyens de sa circonscription. En 1898, il transmit son écharpe de député à Jacques Dufour qui adhéra immédiatement au groupe des députés du Parti Ouvrier Français de Jules Guesde.
En devenant député, Alfred Leconte avait abandonné son métier de pharmacien. Il créa dans l’Indre des organisations républicaines puis radicales-socialistes, des journaux (L’Ordre républicain en 1883 puis L’Eclaireur du Berry en 1886), des sociétés d’encouragement à l’instruction publique. Il se fit le porte-parole des ouvriers d’usines (il présida la réunion qui fonda le syndicat des ouvriers du bâtiment d’Issoudun en 1895) et des ouvriers agricoles. Et bien entendu, il fut membre de la Société vigneronne, laïque et rouge, qui s’opposait à la société de Saint-Vincent qu’avait créé le Conte de Bonneval.
A Paris, il fut à l’initiative de la création en 1881 du cercle des Berrichons de Paris, initialement prévu pour les seuls originaires de l’Indre mais qui, à la demande du Cher, devint le club politique parisien de tout le Berry.
Féru de poésie et auteur prolifique, Il était également un membre actif de la Société des gens de lettres. En 1880, il présida la séance d’installation d’une nouvelle association culturelle en soulignant son engagement pour l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi qu’en rendit compte le journal L’Ordre républicain du 9 mars : « Le dimanche 29 février 1880, dans la salle des conférences de l’Union des chambres syndicales (Paris) et sous la présidence de M. Leconte, député de l’Indre, a eu lieu la première « Matinée artistique et littéraire » de « l’Alliance des sciences, des arts et des lettre. Cette société, fondée depuis le 28 novembre dernier [1879], sous la devise Aidons-nous les uns les autres, et dont le but est de produire [en spectacle] ceux de ses membres que certaines difficultés matérielles ou autres, entravent dans leur carrière, compte déjà un nombre relativement considérable d’adhérents ». Parmi les noms d’artistes connus : Scriwaneck, Scalini, Ponnelle-Dumesnil, Paul Viardot, A. de Kontski, Daubray, C. Braille, la Lyre de Belleville. Leconte prononce le discours inaugural : « … Cette société a sur ses devancières cet avantage immense qu’elle n’est pas exclusive pour la femme, et qu’elle admet dans ses rangs les penseurs comme les penseuses, les savants comme les savantes, les artistes en un mot. Devant elle il n’y a pas de sexe. Le talent et l’honorabilité, voilà les titres qui en ouvrent les portes. L’Alliance va plus loin encore, c’est une femme qu’elle a choisi comme présidente : Madame Jenny Touzin … En nous exprimant ainsi nous rendons hommage à nos maitres, à Michelet, le philosophe historien, à Quinet, le grand penseur. Tous les deux ont tout fait dans leur discours et dans leurs écrits pour hâter le règne de l’harmonie humaine en travaillant à l’émancipation de la femme … ».
En 1874, le commissaire de police d’Issoudun s’était chargé de rédiger ce qui restera la première notice biographique de celui qui fut élu député deux ans plus tard : « Leconte Alfred, Laurent. 49 ans, né le 21 décembre 1824, rentier, ancien pharmacien, conseiller général et conseiller municipal. Demeurant 7 Boulevard Saint-Louis [à Issoudun]. Condamné en 69 ou 70 pour insulte à la gendarmerie, accablait l’empereur de ses injures. Gendre d’un failli, Laurent. Poursuivi pour maraudage sur le chemin du terrailler, suivant procès-verbal du garde François Pierre : il abattait des noix et en avait rempli ses poches. [SIC]. Démagogue à tous crins, révolutionnaire enragé, homme dangereux sur toutes les coutures, homme à surveiller le jour, la nuit, en ville et en dehors, chez lui et chez les autres ; en un mot partout. Patelin vis-à-vis de la police qu’il craint plus qu’il ne l’aime. Mauvais esprit dans toute la force du mot, infatigable dans la propagande, factieux populaire, sachant se garer en compromettant les autres. Lié avec les sommités démagogiques et les communards de Paris et de toutes parts ; septembriseur, jacobin et à l’occasion guillotineur de fabricant de mariage dans la Loire [?]. A de l’influence mais en a perdu par suite de ses recouvrements de pharmacien, ayant fait croire qu’il les donnait ses dragées de préparateur. Libre-penseur, orateur de la loge maçonnique La Gauloise, orgueilleux, vaniteux, se croit capable de gouverner la France. Compromis dans plusieurs affaires politiques, lâche, traitre, poltron ». En écrivant ce texte en 1874, le commissaire de police établissait un dossier d’instruction pour une possible arrestation de Leconte. La surveillance quasi quotidienne de Leconte (et de tous ses contacts) se poursuivra jusqu’au lendemain de son élection à l’Assemblé nationale en 1876.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article193656, notice LECONTE Alfred par Jean-Luc Labbé, version mise en ligne le 11 juillet 2017, dernière modification le 11 juillet 2017.

Par Jean-Luc Labbé

SOURCES : Arch. Dép. Indre, résultats électoraux et surveillance policière. - Journaux Le Progrès de l’Indr, L’Ordre Républicain et l’Éclaireur du Berry. – Robert Durandeau, Histoire des Francs-maçons en Berry, Éditions Souny 1990, p. 35.

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