ROSSIGNOL Jules

Par Jean-Luc Labbé

Né le 6 septembre 1850 à Vierzon (Cher) ; ouvrier porcelainier ; conseiller municipal de Vierzon (élu en 1884) ; socialiste vaillantiste ; coordinateur des C.R.C. du Cher en 1885 ; condamné à deux mois de prison pour "incitation à la grève" ; présent à Villedieu-sur-Indre (Indre) en 1876-1879 et 1891-1895 ; ami du député Eugène Baudin (Vierzon) qu’il fit venir à Villedieu en 1894.

Dans le département de l’Indre, l’influence des socialistes blanquistes et du Comité Révolutionnaire Central se manifesta surtout à Issoudun à partir de 1882. A Villedieu, petite cité industrieuse et porcelainière de 2800 habitants, le socialisme « arriva » en 1892 par un concours de circonstance. Jules Rossignol venait de sortir de prison à la suite d’une condamnation à Vierzon et, soit par interdiction de séjour, soit pour simplement pouvoir trouver du travail, vint à Villedieu-sur-Indre pour exercer son métier d’ouvrier porcelainier dans les ateliers Sauvaget. Les recensements de 1991 et 1896 ne signalaient pas sa présence qui avait dû être circonscrite à un peu moins de quatre ans (1992-1895). En 1893, son fils Ernest (né en février 1877), âgé de 17 ans, habitait et travaillait comme ouvrier porcelainier à Saint-Genou (Indre).
La préfecture de l’Indre et la gendarmerie de Villedieu s’intéressèrent alors à Jules Rossignol qui n’était pas un inconnu, du moins à Vierzon où il avait été élu conseiller municipal en 1884, année au cours de laquelle les socialistes vierzonnais étaient devenus majoritaires. En 1885, Jules Rossignol avait été un militant très actif de la campagne électorale lors des élections législatives et, dans une lettre datée du 1er septembre 1885 se disait secrétaire du comité central électoral républicain socialiste. Il devint ensuite l’organisateur départemental (pour le département du Cher) des comités locaux du CRC bâtis avec les listes d’adresses et de contacts pris pendant la campagne électorale. Ouvrier et syndicaliste de la porcelaine, Jules Rossignol participa à plusieurs grèves, dont celle de 1886 à la suite de laquelle il fut condamné à deux mois de prison pour "incitation à la grève". Jules Rossignol était proche d’Eugène Baudin, ouvrier de la porcelaine également, qui, lui, avait déjà une longue histoire : participation à la Commune de Paris, condamné à mort par contumace, exilé, revenu en France en 1880, conseiller municipal de Vierzon en 1884, premier conseiller général socialiste élu en 1886, député en 1889 et réélu en 1893 ; et entre-temps condamnés plusieurs fois. Alors député en 1894, Eugène Baudin vint à Villedieu dans des circonstances relatées plus loin.
Ce fut en avril 1893 que la présence de Rossignol à Villedieu fut rapportée pour la première fois (Arch. Dép. Indre, M2598). Il aurait été question pour « M. Balsan [alors député conservateur et candidat à sa réélection] de chercher à diviser les voix républicaines en soudoyant la candidature du citoyen Rossignol ouvrier porcelainier à Villedieu ». A-t-il été sérieusement question d’une candidature socialiste dans cette 1ère circonscription de Châteauroux ? Une telle candidature de Rossignol ne se produisit pas et Balsan fut réélu face au candidat républicain modéré.
Mais cet épisode vaudra à Rossignol une fiche individuelle de police : « Rossignol Jules, domicile Villedieu-sur-Indre, ouvrier porcelainier, taille 1,64m, cheveux et sourcils noirs, barbe rasée, nez fort, visage ovale, menton à fossette, teint brun, moustache brune, Détails particuliers : a été conseiller municipal à Vierzon pendant les grèves qui se sont produites dans cette ville et dont il a été l’un des instigateurs. Il a subi une condamnation à cette époque pour faits de grève puis une deuxième fois en 1891 pour coups et blessures [Suite à des incidents survenus lors d’une grève ?]. Socialiste avancé, est considéré comme dangereux à cause de son caractère très violent [Aucun fait ne venait à l’appui de cette affirmation] mais ne jouit d’aucun crédit à Villedieu où les ouvriers lui sont hostiles. Fauteur de désordres, n’hésiterait pas à se mettre à la tête d’un mouvement, quel qu’en soit le but. Travaille actuellement à l’usine Sauvaget ». En fait, sa seule condamnation à deux mois de prison de Jules Rossignol avait eu comme motif "l’incitation à la grève" lors des mouvements sociaux dans les entreprises de Vierzon en 1886.
Ecrire, comme le fait la police, que les ouvriers de Villedieu lui étaient hostiles fut pour le moins hasardeux. La gendarmerie rendit compte d’une réunion publique à laquelle participèrent 200 ouvriers le 18 mars 1894 : « Eugène Baudin, député du Cher (Vierzon) se trouvait mercredi à Villedieu où il était venu reconduire un nommé Rossignol, fils d’un ouvrier porcelainier, ancien conseiller municipal de Vierzon, ancien agent électoral de M. Baudin, connu pour ses opinions très avancées. Les ouvriers porcelainiers de Villedieu ayant appris la présence de M. Baudin dans leur localité, se rendirent auprès de lui pour l’inviter à faire une conférence. La réunion eut lieu le soir même dans une salle de bal. Environ 200 personnes y assistaient. M. Firbach, ancien maire de Villedieu, désigné à mains levées présidait. L’orateur avait choisi dans le programme socialiste les questions qui lui semblaient le moins susceptibles de soulever des protestations de la part des républicains qui se trouvaient en grande majorité. Il s’est surtout étendu sur l’impôt progressif dont il a fait ressortir les avantages pour les ouvriers. Les ouvriers porcelainiers, à quelques exceptions près, sont républicains et le travail ne fait pas défaut. M. Baudin est reparti le lendemain matin à Saint-Genou pour affaires privées ».
La présence de Baudin à Villedieu s’expliquait par le fait de reconduire le fils de Rossignol qu’il avait pris avec lui pour une opération chirurgicale dont il avait payé les frais ; signe de la proximité des deux hommes. Pour les ouvriers de Villedieu, ce fut certainement un évènement que de voir un député, ouvrier porcelainier comme eux. Cet évènement ne laissera pas de trace immédiate mais continua certainement à vivre dans la mémoire collective. Des réseaux de solidarité durent se mettre en place et se manifesteront plusieurs années plus tard avec la création d’un syndicat CGT. Dans le rapport de police cité ci-dessus, il était dit que M. Baudin était reparti à Saint-Genou « pour affaires privées ». Des affaires privées qui coïncidèrent avec la création peu après d’un syndicat d’une quarantaine de membres dans cette petite ville qui se signalait également pour sa tradition porcelainière …
Selon un rapport de police daté du 6 juillet 1895, Jules Rossignol, sa femme Lucie (née Fabry) et leur fils Ernest quittèrent définitivement Villedieu et Saint-Genou pour aller travailler à Limoges. Les ouvriers porcelainiers de Villedieu, avec Léonard Desrody, créèrent un syndicat CGT en 1902.
En 1896, de retour à Viezon, Jules Rossignol devint adjoint au maire (Baudin) et ouvrit un commerce de vin.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article194314, notice ROSSIGNOL Jules par Jean-Luc Labbé, version mise en ligne le 3 août 2017, dernière modification le 19 août 2020.

Par Jean-Luc Labbé

SOURCES : Arch. Dép. Indre, surveillance politique art. M3519. – Michel Pigenet, Les ouvriers du Cher, I.H.S. CGT, SADAG 1990.— Claude Pennetier, Le Socialisme dans le Cher 1851-1921, Éditions Delayance, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1982.
Jean-Jacques Rossignol, Fraternels destins. Des Rossignols à Vierzon. Le combat de Jules, Éditions Valmont, 2018 (un descendant de Jules Rossignol propose une version romancée, mais très documentée de la vie de Jules Rossignol).

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable