BELNOT Lucien, Maurice, Henri [alias "Grand Lucien" au maquis Bir Hakeim du Languedoc]

Par André Balent, Jean-Louis Ponnavoy

Né le 2 juillet 1922 à Nuits (Yonne), exécuté sommairement le 9 juin 1944 à Servas (Gard) ; employé de commerce ; résistant dans l’Yonne puis, à partir de décembre 1943 dans le Gard, l’Ardèche et la Lozère (Maquis Bir Hakeim, de l’Armée secrète).

Lucien BELNOT (1922-1944)
Lucien BELNOT (1922-1944)

Lucien Belnot était le fils d’Ernest, comptable, et de Lucienne, Augustine Gauthier. Il était célibataire et demeurait chez ses parents à Nuits-sur-Armançon [Nuits, nom officiel] (Yonne). Il exerça la profession de garçon boucher à Ravières selon Robert Bailly, puis fut vendeur aux Grands magasins Barbe-Gabot, à Montbard (Côte-d’Or). Son père décéda le 23 mai 1941 à son domicile.
Réfractaire au STO, Lucien Belnot entra dans la Résistance en février 1943 au premier maquis de l’Yonne, constitué par Émile Proudhon dit « Le Père Robert », le maquis Vauban. Le 1er mai 1943, ce maquis sabota par deux fois les installations ferroviaires de Nuits-sous-Ravières (Yonne). Deux maquisard furent arrêtés, ce qui provoqua le repli du maquis dans un bois près de Noyers puis dans la forêt d’Othe (Yonne). Par la suite, avec son maquis, Belnot participa à plusieurs actions, la première à la sucrerie de Brienon (Yonne) afin de récupérer du sucre, la seconde, le 27 mai 1943, à la mairie de Montbard (Yonne) pour s’emparer de cartes d’alimentation, avec trois autres maquisards, Philippot, Chaussenot et Déry. Belnot connaissait les lieux car il avait travaillé dans cette mairie. Pour cela, il prit le commandement du groupe. Cette opération échoua et les quatre prirent le train afin de revenir à Brienon d’où ils étaient partis. La gendarmerie qui enquêtait sur le vol à la sucrerie les arrêta à leur retour alors qu’ils étaient armés. Conduits à la gendarmerie, ils sont tirés d’affaire par le commissaire spécial Grégoire et le commandant de la gendarmerie d’Auxerre qui s’étaient rendus à Brienon. Le procès-verbal dressé par les gendarmes qui faisait mention des armes portées les maquisards — dont un mauser pris sur le cadavre d’un sous-officier allemand — fut déchiré et les quatre s’en tirèrent avec un procès en correctionnelle à Auxerre (Yonne) où ils furent condamnés le 27 juillet 1943 à 3000 francs d’amende et relâchés, sauf Émile Philippot qui réussit à s’évader lors d’un transfert à Dijon. À la suite de cet échec, le maquis Vauban, se replia puis se scinda en deux groupes avant d’être attaqué par les troupes d’occupation à l’automne 1943, ce qui entraîna la dispersion de ses hommes ;

La dispersion de son maquis décida sans doute Belnot à se rendre dans le Gard, près de Bagnols-sur-Cèze où vivait sa sœur. Il entra rapidement en contact avec le maquis Bir Hakeim (AS) qui venait de s’installer dans la région de Pont-Saint-Esprit (Gard). Ce maquis, atypique, très mobile avait été créé à Toulouse au printemps de 1943 par Jean Capel et quelques proches. Maquis de la R 4 (Toulouse), il fut ensuite transféré à la R 3 (Montpellier) dont il ne cessa désormais de dépendre. Avant d’aboutir dans la vallée de la Cèze, il avait transité par l’Aveyron, l’Hérault, les Basses-Pyrénées, puis à nouveau l’Hérault où il établit son état major à Montpellier. Capel et ses amis décidèrent, en décembre 1943, d’implanter leur formation principale près de Pont-Saint-Esprit où ils installèrent un maquis école pour les réfractaires au STO. L’AS spiripontaine, en relation avec Bir Hakeim, envoyait à ce maquis les réfractaires qui la contactaient. Lucien Belnot fut l’un d’eux. Le 5 décembre 1943, il intégra le maquis Bir Hakeim et fut affecté comme chef de section dans l’équipe spéciale (Corps franc de reconnaissance). Il fut nommé, par la commission militaire de la R 3, au grade d’adjudant-chef le 8 janvier 1944 avec le pseudonyme « Grand Lucien ». Le 25 février 1944, il faisait partie d’une patrouille de cinq hommes qui barra la route à un convoi allemand pendant une partie de la nuit, au niveau de Saint-Jean-de-Peyrolas, sur l’axe Barjac-Pont-Saint-Esprit (Gard), tuant 5 soldats allemands dont 4 officiers. Le 26 février 1944, une colonne motorisée composée d’éléments de la 9e Panzerdivision SS Hohenstaufen du général Bittrich et d’un détachement de la Wehrmacht monta à l’attaque du mas de Serret où était cantonné le maquis, près du hameau des Crottes, à Labastide-de-Virac (Ardèche). Pendant 2 heures Lucien Belnot défendit l’accès au mas, armé d’un fusil-mitrailleur permettant ainsi le repli des maquisards et du matériel. La version donnée par Maruéjol et Vielzeuf (op. cit., pp. 63-64) diffère sensiblement car le convoi allemand, comprenant sept véhicules, circulait près de Saint-Julien-de-Peyrolas le 25 février vers 3 ou 4 heures du matin et fut aperçu par une patrouille de Bir Hakeim qui fit feu sur la première voiture, tuant un commandant et trois officiers. Les Allemands n’insistèrent pas, firent demi-tour, préparant contre le maquis une action de grande envergure. Entre temps, les maquisards étant revenus se faire héberger dans le hameau, les soldats allemands se vengeront le 3 mars en massacrant tous les habitants (15 hommes, femmes et enfants).

Le maquis dut se déplacer ensuite dans les Cévennes lozériennes et se regroupa à la Picharlarié (commune de Moissac-Vallée-Française) où il fit sa jonction avec la Brigade Montaigne (AS) — qui rassemblait en grande majorité des Allemands antinazis adhérents ou proches du Parti communiste d’Allemagne (KPD) clandestin en France — avec laquelle il fusionna. Auparavant Bir Hakeim avait absorbé le maquis école (AS) déjà installé à la Picharlarié par le « comité de Saint-Jean-du-Gard ». Les 7 et 12 avril 1944, Belnot participa, avec un maquis Bir Hakeim accru par ces deux fusions, aux combats de la Vallée Française (Lozère). Le 7, selon le dossier des AVCC, contre des patrouilles allemandes tirant avec son groupe sur les Feldgendarmes près de Saint-Étienne-Vallée-Française. Mais ce jour-là, les trois Feldgendarmes tués le furent, d’après un témoin cité par Brès, (op. cit., pp. 176-187), par Miguel Arcas alias « Victor » ancien officier de cavalerie de l’armée espagnole resté fidèle à la République et devenu instructeur du maquis école de la Picharlarié qui disposait d’un fusil-mitrailleur. Toutefois Éveline et Jean Brès acceptèrent (op. cit. p. 177) la version de Maruèjol, Vielzeuf, (op. cit., pp. 104-105) qui font également état de tirs de maquisards de Bir Hakeim qui auraient provoqué la mort de deux Feldgendarmes alors que Arcas en aurait tué un troisième d’un coup de pistolet. Lucien Belnot aurait donc pu être présent lors de cet affrontement. Par ailleurs, Belnot aurait pu participer au combat du lendemain au cours duquel les maquisards tuèrent plusieurs soldats allemands. Ces combats des 7 et 9 avril provoquèrent, le 12 avril, une nouvelle intervention de la 9e SS Panzerdivision Hohenstaufen qui mobilisa de forts effectifs. Les maquisards réussirent à faire face et à se replier en tuant plusieurs ennemis et en ne perdant qu’un seul homme, Louis Veylet, blessé et abattu par un officier allemand.

Lucien Belnot se distingua également à l’attaque de Laval-Saint-Roman (Gard) où conduisant le camion de tête de la colonne du maquis, il se trouva face à un détachement allemand en nombre dix fois supérieur et resta dans son camion essayant de faire demi-tour sous le feu ennemi. [Date ? Après février, Bir Hakeim n’était — normalement — plus actif dans cette région du Gard].
Le 10 mai 1944, alors qu’il effectuait une mission pour le compte de Bir Hakeim, un transport d’armes avec une camionnette des PTT, il fut arrêté entre Thoiras (Gard) et Saint-Jean-du-Gard (Gard), par des Waffen SS [Français de la 8e compagnie de la Waffen SS Brandenburg] déguisés en membres des Chantiers de jeunesse portant la croix de Lorraine. Il se trouvait alors sur la route Alès-Lassalle. Il fut interné au fort Vauban à Alès (Gard) où il fut durement interrogé et torturé, toujours par des Waffen SS de la même unité. Refusant de parler, il résista à ses tortionnaires et eut un bras cassé. Jean Todorow, alias « Jean le Serbe », un résistant qui avait participé à l’action de Bir Hakeim et à sa direction avant de rompre avec Jean Capel en février 1944, avait été arrêté le 12 mai. Il a pu raconter le calvaire vécu par Belnot, lors de sa dernière nuit au fort Vauban le 9 juin. Il expliqua que Belnot fut extrait de sa cellule enchaîné avec d’autres condamnés eux aussi à mort, Lagier alias « Spada », Raynaud alias « Bretelle » deux miliciens impitoyables à l’égard de la Résistance qui avaient trahi la cause collaborationniste et un résistant dont il ignorait le nom, de fait Gustave Nouvel, instituteur des Mages (Gard), village du bassin houiller d’Alès lui aussi sauvagement torturé. Todorow fut épargné in extremis. Belnot, enchaîné à Nouvel fut jeté dans la camionnette qui les conduisit à Servas. Ils y furent assassinés d’une balle dans la nuque. Le 8 septembre 1944, des corps déchiquetés dont celui de Lucien Belnot, furent détectés dans le fond du puits de mine de Célas, à Servas (Gard), baignant dans l’eau. À la demande de Laurent Spadale, sous-préfet d’Alès après la Libération, une enquête fut rapidement menée. Un spéléologue, Robert de Joly, et le lieutenant René Soustelle alias « Ulysse » (des FTPF du Gard) constatèrent que nombreuses victimes gisaient dans le puits et purent en remonter deux. Pendant trois jours (14-16 septembre) des miliciens détenus après la Libération purent remonter les autres corps, au total trente et un. Le 18 septembre des obsèques solennelles furent organisées à Alès et les victimes furent inhumées dans le cimetière de la ville. La reconnaissance de certains corps intervint après cette cérémonie et fut parfois difficile. Entre temps, Anna Rousseau, secrétaire du CDL de la Lozère, chargée d’identifier les corps des victimes des tueries de La Parade et Badaroux pensa que Lucien Belnot pouvait être l’une des victimes fusillées à Badaroux le 29 mai 1944. Elle écrivit même à sa mère. Mais finalement, au début de 1946, Belnot fut identifié par plusieurs personnes dont sa mère grâce au blouson de cuir qu’il portait et qui fut retrouvé au fond du puits. L’acte de décès fut transcrit le 20 mars 1947 à Nuits (Yonne).
Lucien Belnot est inhumé dans le carré militaire emplacement 12M, rang 1G, tombe 116, au cimetière communal, à Alès (Gard).
Il obtint la mention "Mort pour la France" le 9 septembre 1946 et celle d’"Interné résistant" le 6 mai 1955. Il fut cité à l’ordre de la division et reçut à titre posthume la Croix de guerre avec étoile d’argent le 7 août 1946.
Il fut homologué avec le grade d’aspirant des FFI le 22 juillet 1946.
Son nom figure sur le monument commémoratif du Puits de Célas, à Servas (Gard), sur le mémorial du maquis Bir Hakeim, à Mourèze (Hérault), sur le monument aux fusillés et déportés, à Auxerre et sur le monument aux morts de Nuits (Yonne). Il figure sur le monument édifié dans le ravin de la Tourette (Badaroux) à la mémoire des fusillés du 29 mai. Ce monument fut pourtant inauguré en 1948, deux ans après qu’il ait été établi qu’il avait été tué à Servas (Gard) et précipité dans le puits de Célas. Il a été aussi inscrit sur le monument de La Parade (Lozère) érigé, également en 1948, à la mémoire des victimes des tueries des 28 et 29 mai 1944 dont furent victimes les maquisards de Bir Hakeim.
Voir Servas, Puits de Célas (9, 10, 27 juin 1944 ; 11, 12 juillet 1944)
.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article194488, notice BELNOT Lucien, Maurice, Henri [alias "Grand Lucien" au maquis Bir Hakeim du Languedoc] par André Balent, Jean-Louis Ponnavoy, version mise en ligne le 15 août 2017, dernière modification le 25 mars 2022.

Par André Balent, Jean-Louis Ponnavoy

Lucien BELNOT (1922-1944)
Lucien BELNOT (1922-1944)

SOURCES : Dossier AVCC 21P 245137 contenant de nombreux témoignages très précis. — Association pour des études sur la Résistance intérieure (AERI), Association départementale des Anciens de la Résistance de Lozère, ANACR Lozère, La Résistance en Lozère, CDROM , accompagné d’un livret, 27 p., Paris, 2006. — Ange Alvarez, P.C.F. – O.S. – F.N. — FTPF L’épopée patriotique des FTPF cévenols, Nîmes, Lacour, 2007, 131 p. [pp. 121-124]. — Robert Bailly (ancien résistant mort en 2010), Les feuilles tombèrent en avril, Clamecy, Éditions sociales, 1983. — Éveline & Yvan Brès, Un maquis d’antifascistes allemands en France (1942-1944), Montpellier, les Presses du Languedoc/Max Chaleil éditeur, 1987, 348 p. [pp. 176-180]. — Claude Émerique, La Résistance dans le Gard, CD-ROM, AERI 2009. — Aimé Vielzeuf, René Maruéjol, Le maquis Bir Hakeim, 2e édition, Genève, Éditions de Crémille, 1972, 251 p. [pp. 104, 108, 109]. — Aimé Vielzeuf, Bloc-notes 44 (Dans le Gard en attendant la liberté), Nîmes, Lacour, 1994, 150 + XXXII p. [pp. 145-149, XXX-XXXII). — Site internet "Maquisards de France" dans le Gard (consulté par JL. Ponnavoy). — Site MémorialGenWeb (consulté par André Balent, 30 août 2017). — État civil.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable