CHARLES Robert, Albert

Par Jean Charles

Né le 17 avril 1913 à Morteau (Doubs), mort le 7 septembre 2000 ; ouvrier horloger ; syndicaliste et militant communiste ; résistant ; secrétaire permanent de l’union départementale CGT du Doubs ; membre du bureau fédéral du PC du Doubs (1945-1980).

Fils cadet d’une famille ouvrière, dont le père mourut en 1920 des suites de la Grande guerre, laissant sa femme ouvrière sans la moindre qualification et ses deux enfants dans une réelle misère, Robert Charles fut d’abord un écolier rebelle et passionné, surtout par l’Histoire, tout particulièrement celle de la Révolution française. Reçu premier du canton au certificat d’études, il aurait pu bénéficier d’une bourse, mais il la refusa, d’abord pour ne pas aggraver la gêne du foyer mais surtout par intérêt pour le travail horloger. À treize ans, il entra, comme apprenti dans une entreprise mortuacienne d’une quarantaine d’horlogers. Il eut la chance d’apprendre son métier dans cette unité de dimensions modestes et d’accéder, par paliers, au plus haut stade de qualification : à vingt-deux ans, il était déjà capable de fabriquer une montre « tout du long ».
En 1929, il rejoignit la CGTU seul syndicat présent - à l’exception d’un minuscule syndicat CFTC - à Morteau, petite cité de 5 000 habitants mais centre horloger fort actif (alors qu’à Villers-le-Lac, autre ville horlogère distante de 4 kilomètres avait un seul syndicat, CGT, comme si dans ces petites villes où le patronat était puissant, les travailleurs refusaient la division syndicale), il devint rapidement « dizenier » (collecteur de cotisations à domicile) - la Suisse est proche - puis dizenier central du syndicat qui comptait environ 70 adhérents, organisés sur la base de la localité En 1930, sous l’influence de Robert Balanche, il adhéra au Parti communiste : à cette adhésion selon l’intéressé, trois séries de raisons : prolongement naturel de l’appartenance à la CGTU (encore qu’à Morteau, de nombreux socialistes adhéraient à la CGTU) ; exemple de l’URSS. magnifiée et mythifiée par les articles exaltants de Vaillant-Couturier* que Robert Charles dévorait ; contraste violent entre la misère du foyer maternel et l’opulence du patronat horloger local. Il était également membre de « L’évolution », société de gymnastique de gauche, dont il était un brillant élément, de « l’Harmonie municipale » dont il fut exclu en 1930 avec trois autres communistes pour avoir refusé de jouer « La Marseillaise » devant le Monument aux Morts), et de la « Libre Pensée » qui regroupait communistes et socialistes, organisait des réunions publiques : à dix-sept ans, il déposa son testament pour ne pas être enterré à l’église ; d’ailleurs le journal régional de la SFIC, Le Semeur, avait une tonalité violemment anticléricale.
En 1931, la crise économique était particulièrement violente à Morteau horlogère : la plupart des entreprises fermèrent au moins six mois, et la CGTU organisa un actif comité des chômeurs qui poussa la municipalité radicale à ouvrir des chantiers de fortune.
En octobre 1933, il partit à l’armée : et fut incorporé à Colmar au 152e RI ; en bon « rabcor », il expédiait régulièrement des articles à l’Humanité sur son régiment. À sa démobilisation en octobre 1934, il retrouva une cité en pleine effervescence ; un groupe de « Jeunesses patriotes » s’y était organisé et socialistes et communistes avaient créé de concert une « ligue antifasciste » adhérente au mouvement « Amsterdam-Pleyel ».
En 1936, Robert Charles devint membre de la direction régionale des Jeunesses communistes : à ce titre, il assista, sans en être membre, aux réunions du comité de la région communiste du Centre-Est ; et quand le PC se réorganisa sur la base des fédérations départementales, il devint membre du comité fédéral du Doubs. Il fut délégué au congrès national du PCF, tenu à Arles en. décembre 1937. Il avait néanmoins, au milieu de l’avalanche du travail usinier et des tâches politiques et syndicales, pris le temps de courtiser puis d’épouser, le 2 octobre 1937, Victoire - dite Lily - Vernier, ouvrière coiffeuse, qui partagea toute sa vie et lui donna trois enfants.
Sur le plan syndical, l’afflux des adhérents de 1936 permit d’organiser des unions locales de la CGT réunifiée, souvent dotées de permanents ; ce fut un socialiste, Charles Sire, qui devint secrétaire permanent de l’UL de Morteau, tous les syndicats des environs étant dirigés par des ex-confédérés, alors que les syndicats de Morteau étaient dirigés par des ex-unitaires. Robert Charles devint secrétaire adjoint, non permanent, de l’Union locale CGT. Fin 1938, après le désastre de la grève du 30 novembre, Sire quitta Morteau et Robert Charles devint secrétaire de l’UL qu’il représenta à la commission administrative de l’Union départementale CGT du Doubs.
Les rapports entre ex-unitaires et ex-confédérés y devinrent vite exécrables. Au sectarisme de nombre d’ex-unitaires du pays de Montbéliard, habitués à commander, répondaient les ex-confédérés dont le dirigeant, Adrien Jeannin*, secrétaire général de l’UD appartenait au courant anticommuniste Syndicats. Les haines entre tendances étaient exacerbées par le mode de représentation aux congrès, qui surévaluait le poids des petits syndicats bisontins, composés en majorité d’employés et de travailleurs à statut et en majorité partisans de la direction de l’UD En 1938, quinze syndicats regroupant au total moins de 300 adhérents bénéficiaient de plus de mandats que les 8000 syndiqués de Sochaux. Comme le dira beaucoup plus tard Robert Charles dans une interview : « Les réformistes dirigeaient non parce qu’ils avaient l’appui des syndiqués mais parce qu’ils organisaient les syndicats pour avoir la majorité  ». Début 1939, un congrès départemental exclut même de la CA de l’UD les militants ex-unitaires sauf R. Charles qui demeura à la CA comme représentant d’une U.L.
Entre-temps, il s’investit dans le combat pour le soutien au peuple espagnol. Sous son impulsion, un « Comité pour l’Espagne républicaine » fit à Morteau un travail important : collectes pour le lait, les armes, puis accueil des réfugiés.
Il eut aussi quelques activités plus souterraines : à son domicile furent entreposées les brochures de l’I.C. en toutes langues (en particulier l’Histoire du PC (b) de I’union soviétique.) imprimées en France et qui rejoignaient les pays de l’Europe centrale et orientale, via la Suisse. En sens inverse, il fut chargé d’organiser le passage de la frontière suisse pour les Kominterniens qui entraient en France ou se rendaient en Espagne.
À Morteau, la grève du 30 novembre 1938 fut un fiasco : une douzaine de militants firent grève et furent pour la plupart licenciés. Il fut mis à pied une semaine, puis dut à sa qualification d’être réintégré rapidement.
Après la signature du Pacte germano-soviétique, seul ex-unitaire assistant à la CA de l’UD, il fut sommé de désavouer le Pacte, ce qu’il refusa de faire, malgré le grand trouble qui l’habitait. Il eut à peine le temps de réaffirmer sa confiance en l’Union soviétique avant d’être expulsé. Vinrent la guerre, la débâcle : fait prisonnier dans la région de Nancy, il fut interné près de Ludwigshaffen : il s’évada en avril 1941 et gagna Lyon où il reprit contact avec le Parti communiste. Il y demeura jusqu’à l’automne 1942 ; durant cette période, sa participation à la clandestinité se limita à des distributions de tracts à la volée dans les rues. Malade, il ne pu demeurer à Lyon. Il franchit la ligne de démarcation, se réfugia en Auvergne et commença une vie mi-clandestine, mi-publique : arrêté en février 1943, il fut interrogé à Clermont-Ferrand par la police française et relâché faute de preuves. Il gagna alors un maquis des MUR et participa à la lutte armée en Auvergne, jusqu’à la libération de la région.
Rentré en Franche-Comté en novembre 1944, il fut aussitôt happé par les responsabilités : membre du Comité mortuacien de Libération, puis conseiller municipal, secrétaire demi-permanent de l’Union locale, membre du bureau fédéral du Parti communiste -en charge des problèmes syndicaux-, membre (seul communiste) du bureau de l’Union départementale des syndicats CGT, encore contrôlée, comme avant la guerre, par les militants de la tendance « Force Ouvrière ». À Morteau, aux élections municipales d’avril-mai 1945, la liste d’Union de la gauche qu’il dirigeait fit jeu égal avec la liste de droite. Pour le poste de maire, Robert Charles obtint 11 voix contre 11 au candidat de la droite qui fut élu au bénéfice de l’âge. En juin 1945, il fut délégué au Xe congrès du PCF et fut candidat en 3e position aux élections à la Constituante du 21 octobre 1945 (la liste communiste obtint 24 170 voix, 17,6 % des suffrages exprimés) puis à nouveau aux élections du 2 juin 1946, toujours en 3e position sur la liste communiste qui obtint 22 738 voix (16,1 % des suffrages exprimés).
Mais c’est sur le plan syndical que s’exerça l’essentiel de son action. Dès la Libération, les rapports entre tendances redevinrent tendus à la CA de l’UD du Doubs, pour la même raison qu’en 1937 : le système de représentation favorisait encore les petits syndicats d’employés et de travailleurs à statut, base d’audience du courant Force ouvrière ; les communistes ne cessaient de protester contre ce mode de représentation qui les avait exclus de la direction de l’UD en l936-1939 et qui les tenait à nouveau en lisière en 1945-1946.
La scission syndicale fondit sur l’UD du Doubs dans les conditions apparemment les plus difficiles, pour les « ex-unitaires » : les trois secrétaires permanents de l’UD, cinq secrétaires d’Unions locales sur huit, 66 dirigeants de syndicats sur une centaine abandonnèrent la CGT. Robert Charles devint secrétaire général permanent de l’UD (alors qu’un ex-confédéré, Georges Vagneron, devenait président ) dès lors, la tâche essentielle était de maintenir la CGT. C’est là que R. Charles révéla, dans des conditions matérielles éprouvantes, de solides qualités d’homme de terrain, organisant ou participant à la plupart des réunions dans le département, visitant les syndicats un par un, tentant d’en créer de nouveaux, s’appuyant sur une équipe de plusieurs militants ex-confédérés et de communistes qui émergèrent à ce moment-là. Non sans succès ; alors qu’en 1947, l’UD du Doubs comptait 32 000 adhérents, elle en regroupait 20 000 à la fin de l’année 1948.
Dans les difficiles conditions de ces temps de scission et de guerre froide, Robert Charles conduisit des grèves nombreuses et importantes : papetiers, ouvriers des scieries, métaux de Sochaux, horlogers du Haut Doubs en 1950. Un rapport de police de 1951 le disait « très populaire en milieu ouvrier ». Comme il était peu et très irrégulièrement payé, ce fut son épouse Lily, devenue coiffeuse indépendante, acceptant sans rechigner la vie de permanent de son mari, qui assura la vie matérielle du foyer et l’éducation de leurs trois enfants. Il demeura permanent de l’UD jusqu’en 1957, date à laquelle cette vie éprouvante eut raison de ses forces.
Il rentra alors à Morteau où aucun patron horloger n’accepta de l’embaucher. À contrecœur, car il rêvait de retravailler en usine, il fut contraint de réapprendre son métier et de l’exercer à domicile, mi-salarié, mi-artisan, attendant parfois des semaines un travail qui ne venait pas. Là encore, le foyer reposa souvent sur les épaules de son épouse.
Pour ne pas gêner son successeur à la direction de l’Union départementale CGT, il refusa de rester au bureau. Son activité politique s’intensifia : après 1958, il fut à plusieurs reprises candidat du PCF aux législatives dans l’arrondissement de Pontarlier, souvent contre Edgar Faure ; il obtint 9,42 % des suffrages exprimés en 1957, 7,14 % en 1968, dernière de ses candidatures. De surcroît, il demeura membre du bureau fédéral du PCF. jusque vers 1970 ; et en 1983, à 70 ans, il était toujours membre du comité fédéral.
C’est à peu près à cette période que s’approfondirent les divergences, apparues dès le milieu des années soixante-dix - par exemple au sujet de la grève Lip en 1973 - entre la direction du PCF et la fédération du Doubs
Ces différents portaient sur plusieurs points : critique des pays dits du « socialisme existant » ; fonctionnement du PCF, en particulier désaccords profonds sur le centralisme démocratique ; politique d’union avec les militants et le parti socialistes. R. Charles qui, du fait de son passé militant et de son expérience faisait figure de « sage »très écouté, intervint à plusieurs reprises sur ces problèmes majeurs, à la fois avec mesure (il désapprouvait ceux qui exposaient publiquement ces problèmes, par exemple dans la presse régionale) et fermeté. Délégué au XXVe congrès du PCF, il se trouvait parmi les neuf délégués qui, dans un silence glacial, refusèrent de voter la résolution finale.
Les désaccords s’aggravèrent rapidement. Au début de 1987, René Le Guen, membre du bureau politique qui « suivait » la fédération déclare ne plus pouvoir et vouloir assister aux comités fédéraux de celle-ci. C’est alors que R. Charles écrivit, en février, à Gaston Plissonnier, secrétaire du comité central, qu’il connaissait bien, une longue lettre qui mérite citation partielle : « De quoi s’agit-il ? Nous sommes en désaccord sur certains problèmes qui remontent au XXVe congrès. Mais nous en avons le droit le plus absolu, garanti par nos statuts : défendre notre point de vue dans les instances du Parti, garder nos opinions, même minoritaires et les défendre dans les organismes où nous militons. C’est ce que font la majorité des communistes du Doubs et leur comité fédéral. Si nous sommes convaincus, dans l’intérêt du Parti, que les positions que nous avons prises nous semblent toujours justes, pourquoi voulez-vous que nous les abandonnions ? Au nom de quel article de nos statuts ? Du centralisme démocratique ? Mais les délibérations de ma cellule, de ma section, du comité fédéral démontrent que nous sommes d’accord sur les positions exprimées par la direction du Parti, que nous diffusons l’Huma et l’Huma Dimanche, les tracts et les brochures édités par le comité central, que nous participons aux campagnes engagées par le Parti ».
Tout au contraire la direction du PCF et une minorité des communistes du Doubs considéraient que Robert Charles et ses camarades n’appliquaient plus la politique du parti. Les choses s’enveniment au point que la direction du PCF, en octobre 1988, déclarait « dissoute » la fédération du Doubs et en créait aussitôt une autre, à laquelle les bons communistes furent invités à adhérer, après filtrage. Robert Charles représenta alors un réel enjeu pour la réussite de la fédération « orthodoxe » que plusieurs courriers de G. Plissonnier l’assuraient qu’il avait toute sa place dans celle-ci. Mais il refusa de se laisser fléchir : c’était affaire d’honneur ouvrier. La nouvelle fédération demeura squelettique, malgré quelques ralliements isolés et tardifs.
Après six mois d’hésitation, durant lesquels Charles et ses camarades ainsi exclus, proclamant leur volonté de rester au PCF demandaient l’annulation de la mesure de dissolution, ils furent contraints, sous peine de s’effilocher, de créer une structure d’accueil : la « fédération démocratique des communistes de Franche-Comté », dont Robert Charles était sans doute un des membres de la nouvelle direction fédérale les plus écoutés. Mais la fédération était tiraillée entre ceux qui considérèrent rapidement le PCF comme leur cible principale et ceux, tels Robert, qui voulaient éviter de creuser plus encore les désaccords. C’est contre son gré qu’en novembre 1991, la fédération abandonnait le qualificatif de « communiste », ce qui entraîna le départ de plusieurs militants parmi lesquels ses amis particulièrement chers, Mauricette et André Vagneron*. Robert Charles resta, car, leur écrivit-il « je ne veux pas être deux fois orphelin ». Mais il se dégagea progressivement de ses responsabilités et, l’âge aidant, prit de plus en plus de distances. Reste que ce fut pour lui un crève-cœur, lorsque, derrière Martial Bourquin - qu’il considérait un peu comme son fils spirituel -, une soixante de militants du Pays de Montbéliard adhérèrent collectivement, en juin 1998, au parti socialiste, mettant ainsi un point final à l’expérience de la fédération démocratique.
Toutes ces années ne furent pas seulement consacrées aux activités politiques et syndicales. Grand marcheur, avide de longues promenades dans les champs et les forêts, Robert traquait inlassablement les champignons. Part ailleurs, tenant table ouverte, ils accueillaient pêle-mêle amis de toujours comme connaissances de passage et les invitaient presque toujours à déjeuner. La jeunesse d’esprit de Lily et Robert était si communicative que le 5 rue de la gare voyait défiler toute la journée parents, amis, voisins. Là ne se limitait pas leur serviabilité. Qui, à Morteau avait une déclaration d’impôts un peu compliquée à faire, un dossier de pension de retraite tissé de dix métiers successifs à démêler, rencontrait souvent une bonne âme qui lui disait : « va voir Robert Charles, il t’arrangera ça » : c’était un bon conseil. De sorte que l’affection qui les entourait se manifesta à plusieurs reprises.
Robert était depuis longtemps président d’honneur de l’UD-CCT du Doubs, qui avait demandé pour lui une Légion d’honneur saluant ses soixante-dix ans de militantisme syndical. Cette distinction lui fut remise le 16 avril 1999 par Georges Séguy, lors d’une fête joyeuse mêlant de très nombreux militants de tous horizons, hier adversaires, ce jour-là à nouveau réunis.
En octobre 1999, Lily et Robert Charles furent victimes d’un grave accident de voiture. Tandis que sa femme guérissait lentement, Robert en sortit brutalement diminué et ne s’en remit jamais. Il mourut le 7 septembre 2000. Une foule de gens de tous bords et de toutes conditions assista à ses obsèques, sous un grand soleil de fin d’été.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19475, notice CHARLES Robert, Albert par Jean Charles, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 28 avril 2022.

Par Jean Charles

SOURCES : Arch. Dép. Doubs, M 3103. — Archives et interviews de l’intéressé. — Le Peuple Comtois. — Notice DBMOF, par Jean Maitron et Claude Pennetier.

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